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De la gravité de la vulgarité

Revenons à l'élégance pour cette part si précieuse de choix qu'elle suppose. Mais il faut, préalablement commencer par son antonyme

On y sent bien le profond refus, sinon la ferme répugnance à l'égard de la vulgarité. Peut-être ne la pourra-t-on bien comprendre, comme souvent, que par son envers. Qu'est cette lourdeur si implacable et insupportable qu'on peine à la nommer ; plus encore à la définir ? Au delà du préjugé de classe sur lequel je ne veux pas revenir, il y a le déni de ce qui ne se dit pas ; ne se fait pas. La vulgarité manque de finesse, heurte la bienséance : il y a de l'épais, de gros et gras ; du grossier là-dessous.

J'aime assez que gravitas eût donné à la fois cette pesanteur qui attire les corps vers le centre de la terre et ce sérieux, cette austérité devant ce qui peut entraîner conséquences lourdes précisément. On n'échappe pas au doublet pesanteur et grâce. Grâce dont l'élégance est une des expressions.

L'exemple des Bacchanales

Le culte venait d'on ne sait où, d’Étrurie sans doute, mais s'inspira vraisemblablement des fêtes qu'autrefois l'on donnait en l'honneur de Dionysos. Il y a, là-dessous quelque chose des obsessions étrusques à revisiter la Grande Grèce tout en enfonçant profondément en la terre ces sources dont il fallait être fier ; qu'il fallait perpétuer en les honorant !

A Athènes, ces fêtes avaient dégénéré en orgies où débauches sexuelles et ivresse se donnaient tant libre cours que le pouvoir, qui sait la nécessité de ces vastes exutoires mais ne peut ni tolérer qu'ils se prolongent ni admettre que s'y constitue quelque élite mystique vite sectaire, s'employa, à partir de Pisistrate, à en canaliser la ferveur autour de vastes compétitions théâtrales où la subversion contre le réel risquait d'autant moins de perturber l'ordre politique que le peuple entier y était convié et qu'on en voulait rester à de simples expressions esthétiques. .

Il en alla ainsi de même à Rome : fêtés deux fois par ans seulement, les mystères de Dionysos étaient initialement réservés à une élites et les officiantes - les Bacchantes - étaient des femmes. Vin et excès sexuels prirent rapidement la place des mystères d'Eleusis ou de Dionysos qu'on était supposé faire vivre ; les fêtes devinrent publiques ; plus fréquentes elles ne furent bientôt plus que prétextes à tous les débordements. Il se dit qu'en réalité ces orgies étaient prétexte à faux témoignages, tricheries, vols et détournements de fortune, empoisonnements parfois et meurtres qui profitaient des secrets du rite pour ne laisser aucune trace. Voici constante : les mœurs dissolues cachent toujours violence brute et brutale comme si, des pulsions intimes ne pouvaient naître que des résurgences barbares que nulle société ne pouvait admettre.

Tite Live le raconte à propos du scandale suscité par les Bacchanales qui fut si grand qu'on les interdit bientôt : il faut dire que peu de pouvoirs supportent ces rituels, toujours subversifs, où les mystères cachent difficilement menées complotistes comme il est de règle en toute société fermée, élitaire. Le parti-pris évident qui est le sien, la violence de la réaction politique montrent bien l'affaire d’État qui se trouve là-dessous. Il n'empêche : que ce fût affaire de femmes, de liberté des corps n'est pas anodin et indique la ligne intime à ne pas franchir.

Je crois bien que l'ordre public aura toujours eu peur de ce monde souterrain que représente la sexualité. Après tout Freud avait raison.

Où le voir mieux sinon dans le rapport aux femmes.

Je voudrais ici, en préalable, moins par prudence que par honnêteté, me départir de toutes les controverses, invectives et manichéismes empressés que l'on voit aujourd'hui fleurir autour de cette nouvelle étape dans la cause des femmes depuis le mouvement #metoo. Je ne doute pas que des esprits dogmatiques ou simplement paresseux des deux bords - puisqu'un virilisme absurde semble éclore en réaction - y touveront ici à redire à maintes reprises voire à chaque paragraphe. Qu'importe ! je ne l'éviterai pas ; argue de ma bonne foi et reste certain de ne pas m'adresser à eux.

La distinction de l'humanité en deux genres est assurément au centre de toute morale : l'invention de la sexualité, ainsi que l'avait noté en son temps F Jacob, garantissait collectivement, à chaque génération la production d'êtres singuliers, nouveaux qui ne pouvaient jamais totalement être ramenés à leur source. Elle nous met, individuellement, devant ce défi de rencontrer l'autre, sans le soumettre, de satisfaire ses désirs sans les imposer à l'autre et même plutôt à permettre à l'autre de satisfaire les siens , au défi de la bête qui rugit quand l'esprit peine tant à se faire entendre. Expérience limite, cruciale et particulièrement risquée selon l'heureuse expression de Manon Garcia, la sexualité nous place au-devant de nos faiblesses comme de nos forces ; de notre invraisemblable aisance à glisser dans la violence, l'ignorance de l'autre voire le mépris mais tout autant et parfois en même temps de nous sublimer, comme l'on dit depuis Freud, et d'y inventer vertu, amour, générosité, gratitude et élégance.

On n'effacera pas d'un trait de plume ou de rage les traces si anciennes dans les cultures méditerranéennes d'une misogynie - mais est-ce le terme correct ? - qui est commune aux grecs aux latins comme aux juifs. Il semble clair qu'effectivement on y eût plus célébré les mères que les femmes qui devaient d'autant plus rester pures qu'elles déterminaient les générations ultérieures. M Garcia a raison : la sexualité est plutôt ce qu'on fait aux femmes que ce qu'ensemble on pratiquerait et, ceci est visible notamment pour le viol, toute atteinte aux femmes n'importe que pour la flétrissure supposée de l'honneur de l'époux ; assurément pas la violence exercée sur la femme.

Malgré cela, ou peut-être à cause de cela, la représentation de l'absolue inélégance de la vulgarité dit quelque chose, si l'on veut bien mettre un instant de côté la question - légitime en soi - de la ségrégation de genre - sur la frontière à ne pas franchir qui vous fait quitter le monde de la morale, de l'humain.

Cette différenciation rend l'individu possible qui bientôt sera honoré plutôt que le groupe mais la violence également qui rend nécessaire une morale venant la contrecarrer.

M Serres avait certainement raison de d'évoquer hominescence tant l'humanité :de l'homme se construisait imperturbablement au gré de ses pérégrinations mais à l'occasion tout autant de sa rencontre avec l'autre. C'est en ce processus qu'il peut, ou non, y avoir élégance. Qu'importe de savoir si effectivement la pulsion sexuelle est au centre et à l'origine de tout comme le supposa Freud ; en réalité la sexualité est au moins le révélateur de tout et c'est ainsi que nous l'entendrons.

A l'une des extrémités, la pure grossièreté de la violence ; ici du viol. A l'autre, amours, amitiés ou socialités apaisées canalisées par un code moral ou légal. Entre les deux toutes les nuances qui vont de la vulgarité à la délicatesse.

Figure de l'élégance : la pudeur

Puissance du langage : avec mon langage, je puis tout faire : même et surtout ne rien dire. Je puis tout faire avec mon langage, mais non avec mon corps . Ce que je cache par mon langage, mon corps le dit. Roland Barthes. Fragments d’un discours amoureux

Ce sera toujours une erreur de vouloir cantonner la pudeur au corps seul et surtout à la gêne voire la honte éprouvée à l'exhibition des parties génitales. La pudeur atteste de cette limite entre l'intime et cette extériorité qui commence avec l'autre, le corps de l'autre ou la distance qu'il met d'entre lui et moi, la famille, la société. En réalité la pudeur, à sa façon, atteste de la lente naissance de l'individu qui cherche sinon à se protéger en tout cas à se distinguer du collectif.

C'est bien ainsi au reste que les latins entendirent la pudicité

Le latin écrit intus - qu'il tient du grec ἐντός en dedans, à l'intérieur du corps et par suite en retrait - interior en est un comparatif : plus intérieur désignant notamment les organes internes ou les parties retirées d'une maison ; intimus en est le superlatif : avec lui, on est au cœur, au plus profond. Que cette pudeur connaisse une géographie mouvante est évident : les frontières bougent que l'on ouvrent à ses proches, ses intimes précisément ; pour autant elle atteste de la lente construction de l'individu qui ne peut dire je qu'en se distinguant de ce qui n'est pas lui et en tâchant d'en préserver l'intégrité. Evidemment c'est le corps qui fera d'abord les frais de l’exaltation de la pudeur et ce n'est certainement pas un hasard que l'on appelât si vite dans le monde chrétien parties honteuses les organes génitaux ne serait-ce que parce que la sexualité fut hâtivement associée au péché originel. Quand en réalité elles n'étaient honteuses que pour la gêne éprouvée par qui n'avait pas à les voir et le plaçait honteusement en situation de voyeurisme. Les limites sont floues aussi socialement : selon l'idéologie dominante, les normes sociales, mais aussi les situations, les mœurs du moment la frontière entre ce qui est montrable et ne l'est pas fluctue.

Mais elles sont aussi abstraites : l'impudeur commence avec ce que l'on dit, ces indiscrétions que parfois on laisse filer ou que d'autres percent à votre insu et place. Voire, plus encore, engager la pensée elle-même dès lors qu'elle s'aventurerait sur terrains interdits …

Rien à ce titre n'est plus intéressant que la signification très riche de pudeur qui renvoie tout aussi bien à l'honneur voire la chasteté à quoi l'on se doit et ce, même de manière différenciée que l'on soit jeune fille ou matrone ; au déshonneur, à l'indignité, à la honte éprouvée face à certaines situations qui signale le sens que l'on possède du bien et du bienséant et un outil pour se prémunir contre tout ce qui ruinerait votre réputation ; au souci enfin de voiler ses parties intimes.

Cinq récits pour le comprendre

Claudia Quinta

Belle jeune fille, de noble extraction, Claudia souffrait d’une réputation déplorable. Tout le monde, ou presque la déclarait dévergondée et, son allure même, ses cheveux aux vent, sa démarche libre et sans complexe, ses propos enjoués qui respiraient autant la joie de vivre qu'une innocente envie de liberté suscitaient à son encontre à peu près autant de convoitises que de rumeurs. Elle passa vite pour une femme légère. On le sait, rien n'est pire qu'une réputation bafouée ; qu'une rumeur qu'on ne peut éteindre … que la calomnie. Virgile déjà la voyait comme un monstre d'autant plus agile que renforcé de son propre mouvement. Il ne lui suffisait déjà plus de protester de sa bonne foi. Elle n'eut d'autre parti que de prendre à témoin autant les matrones scrupuleuses aux moues aussi dubitatives que réprobatrices que les dieux.

Or, il se trouvait qu'au même moment arriva à Rome un navire qui ramenait de Pessinonte en Phrygie la pierre sacrée, représentant la Déesse-Mère Cybèle : cette pierre noire était réputée protéger le peuple durant les guerres et guérir nombre maladies. Or, il se trouva que le bateau s'enlisa dans les vases du Tibre sans que personne ne parvienne à l'en dégager. On consulta les oracles sibyllins qui annoncèrent que seule une femme chaste et pure y pourrait parvenir. Claudia, qui sous le regard de tous avait puisé en ses mains l'eau du fleuve et s'en était par trois fois aspergé le visage, s'adressa alors à la déesse, se soumettant par avance à son jugement mais l'appelant par un signe à dire à chacun si elle avait manqué à ses devoirs ou non. Elle s'attacha au bateau par une simple corde et, comme si rien n'eût été plus aisé ou ordinaire, ne paraissant fournir aucun effort, dégagea le navire de la vase et l'entraîna plus loin. La preuve était faite. La déesse avait parlé.

Tacite souligne même qu'une statue de Claudia fut érigée dans le temple consacré à Cybèle, qui, par miracle, échappa par deux fois aux flammes.

Comment dire mieux que se joue ici, sous cette pudor si ambivalente, ce qu'il y a de plus fragile finalement c'est l'honneur et la dignité ; j'écrirais plus volontiers aujourd'hui, la confiance. Qu'il fallût invoquer la caution de ma mère des dieux dit assez bien à quelles fondations s'incruste la pudeur, sa qualité de principe.

Bien plus que la simple virginité de jeunes filles pour qui ce serait presque une seconde dote, bien mieux qu'une prétendue pureté qui s'entend toujours mal et rarement sous d'autres formules que l'emprise qu'on veut exercer sur vous, cette pudeur, si on accepte d'en étendre la définition n'est autre que la confiance que l'on inspire autour de soi autant qu’une forme de protection de digue. Elle est ce refus de la violence que Lévinas voyait dans le visage signifiant tu ne tueras point !

Persée et Andromède

Etrange histoire que celle de ces deux personnages, tous eux pris dans un piège qui en réalité ne les concernait pas. Persée d'abord : fils de Danaé, petit-fils d'Acrisios, roi d'Argos. Ce dernier, averti par un oracle qu'il aurait bientôt un petit-fils mais que ce dernier le tuerait, enferma sa fille. Ce qui ne l'empêcha pas de donner naissance à Persée, fécondée, dit-on - mais peut-on être jamais certain de ces choses-ci? - par Zeus lui-même transformé en pluie d'or à moins que ce ne soit tout simplement par Protéos. Telle en tout cas est la version d'Apollodore. Qu'importe au fond, la rage du Roi les fit enfermer dans un coffre qu'il jeta à la mer. Echoués sur l’île de Sériphos, ceux-ci furent accueillis par Dyctis. L'histoire aurait pu s'arrêter là qui donnait suffisamment à rêver ou extrapoler : un fils de dieu échoué en pleine mer, un héros venu d'on ne sait où fait partie des canons de l'héroïsme : comment mieux faire entendre ses origines et puissance stellaire que de surgir de l'eau - mer ou fleuve - c'est-à-dire de nulle part ?

Parvenu à maturité, il se voit défié par Polydecte, qui convoitait sa mère et espérait par là écarter obstacle éventuel, de tuer la gorgone Méduse. Créatures malfaisantes mais primordiales qui avaient toutes le pouvoir de pétrifier leur adversaire d'un seul regard. Mais des trois seule Méduse était mortelle. C'est elle que Persée attaqua, protégé qu'il fut du casque d'Hadès qui avait la propriété de rendre invisible qui le portait. C'est ainsi qu'il lui trancha la tête qu'il plaça dans la kibisis, besace qu'il avait reçue des nymphes en même temps que le casque d'Hadès et les sandales ailées. Il réussit ainsi à s'enfuir grâce aux sandales. C'est sur le chemin du retour qu'après avoir pétrifié Atlas qui lui avait refusé l'hospitalité et libéré Andromède, qu'il rendit aux nymphes les trois objets qu'elles lui avaient confiés et remit à Athéna la tête de Méduse que celle-ci fit placer à l'aide d'Héphaïstos sur son bouclier.

Andromède, de son côté, a tout de la jeune fille modèle : de royale extraction, réservée et modeste comme il se doit, elle souffrit seulement du malheur d'avoir une mère. Cette dernière, Cassiopée, prétendit un jour que sa fille était plus belle que même les Néréides, nymphes qui habituellement escortaient Poséidon. tant dire que celles-ci, vertes de rage, demandèrent à Poséidon de laver l'affront ce qu'il fit en déclenchant, inondations et déluges sur les côtes du pays. L'oracle, consulté, déclara que la seule manière de tempérer la colère de Poséidon était de sacrifier sa fille à Céto, ce monstre qui, sur ordre, avait déclenché toutes les catastrophes. Voici Andromède attachée nue à un rocher sous la surveillance de Céto, payant de sa personne et de sa jeunesse la vanité maternelle.

C'est en cette fâcheuse posture que Persée la trouva, qui interrompit son vol, charmé par la beauté de la jeune fille, intrigué par la désespérance de sa situation. Il s'enquit de la libérer auprès de ses parents, qui troquèrent immédiatement leurs plaintes vaines contre la promesse de l'épouser. C'est ce monstre que Persée allait tuer, pétrifier plus exactement à l'aide de la tête de méduse. Passons les détails qui font se ressembler ce combat à l'un des nombreux d'Hercule.

Je veux retenir ici seulement cette remarque, faite comme en passant par Ovide : Andromède d'abord ne répondit pas aux questions de Persée. Elle se tait : vierge, elle n'ose regarder un homme, elle n'ose lui parler. Elle eût même, si ses mains avaient été libres, caché son visage de ses mains. Du moins elle pouvait pleurer; ses yeux se remplirent de larmes avant de répondre enfin de peur qu'il ne la crût honteuse de culpabilité. Voici marque encore de cette retenue, de ces discrétion et humilité qui, loin d'être honteuse, constituent au contraire la matrice positive de la pudeur, ce qui précisément permet de distinguer bien et mal, convenance et inconvenance où se situe précisément la marque de l'élégance.

A l'autre extrémité, celle non plus de la bienséance ou de la civilité mais de la violence pure, de la barbarie. Des histoires de viol.

Rhéa Silvia

Cette histoire, maintes fois racontée, est originaire. C'est celle d'une usurpation de pouvoir d'abord qui permet à Amulius de chasser son frère du trône d'Albe. Faire de sa nièce Rhéa une vestale était moyen assuré d'empêcher toute descendance et donc tout rival ultérieur. Las, la Vestale se retrouve enceinte. Tite Live sous-entend quelque écart amoureux plutôt que ce viol par Mars qu'accréditent tant Virgile, Ovide ou Denys d'HALICARNASSE. Les dieux, assurément, vengeront Numitor : les fils qui naîtront de cette union coupable fonderont l'Empire le plus puissant qui existât jamais et dont Tite-Live déclare qu'il est le second après celui des dieux ; et seront, ivres de violence et de pouvoir ceux-là même qui vengeront à la fois leur mère et leur grand-père.

Histoire de pouvoir, me dira-t-on ; d'origines, ajoutera-t-on - de celles que l'on enfouit sous les mythes, dans les eaux ou les forêts puisqu'il ne saurait y avoir de puissance qui possédât trace assignable. Mais quel rapport avec la pudeur ?

histoire fabuleuse en disant que c’était une apparition de la divinité à qui l'endroit était consacré; et ils ajoutent que le merveilleux fut accompagné de beaucoup de signes surnaturels, y compris la disparition soudaine du soleil et une obscurité qui remplit le ciel, et que l’apparence de l’apparition était bien plus merveilleuse en stature et en beauté que celle d'un homme. Et ils disent que le violeur, pour consoler celle-ci (ce qui montre clairement que c'était un dieu), lui demanda de ne pas s'affliger de ce qui s'était produit, puisqu'elle s’était unie dans le mariage à la divinité du lieu et de ce viol naîtraient deux fils qui surpasseraient de loin tous les hommes par leur valeur et par leurs exploits guerriers. Et ayant dit cela, il fut enveloppé d'un nuage et, s’élevant de la terre, il fut emporté dans les airs. 

J'ai toujours été surpris par la sanction infligée à Rhéa qui - après tout - a été plutôt victime que coupable à moins d'accréditer les doutes de Tite Live ? Doit-on seulement l'interpréter comme une de ces insupportables saillies d'une culture décidément trop patriarcale où les femmes sont coupables même des malheurs qui les accablent ? Se souvenir qu'en tant que mères, elles portent toute l'espérance d'une postérité qui supporte mal la souillure ? Qu'elles sont condamnées d'avance et recluses pour l'incroyable puissance qu'elles détiennent d'ensemencer l'avenir.

Le récit - surtout celui de Denys - insiste sur le caractère surnaturel de l'épisode : il faut admettre que c'est dans le cadre de son sacerdoce qu'elle se trouve dans un bois consacré à Mars ; que Mars - dieu de la guerre - la viole certes, mais semble arguer que la Vestale lui étant consacrée il s'agissait non seulement d'un acte d'amour mais surtout un acte de vengeance puisque naîtront de cette fugace liaison ceux-là même qui renverseront l'imposteur et fonderont Rome. On se situe ici à l'exacte intersection entre le sacré et le profane, le drame personnel et l'épopée collective ; entre l'intime et le public … entre l'odieux et l'acceptable.

Lucrèce

Celui-ci, dans la tradition romaine occupe une place particulière : elle aussi est racontée à la fois par Tite-Live, Ovide et Denys. Même au premier elle paraît déjà légendaire mais soyons certains que s'il la raconte néanmoins c'est précisément pour son caractère exemplaire. Lucrèce est le prototype même de la matrone romaine vertueuse soucieuse de son honneur comme de celui des siens. En tout cas Tite-Live ne doute pas ici de la réalité du viol contrairement au cas de Rhéa Silvia.

Le contexte est différent, il faut dire : voici affaire de militaires qui s'ennuient lors d'un siège ; affaire de mœurs militaires donc où violence, viol et pillage voisinent avec prétention à l'honneur et à la dignité. Les officiers - il n'est pas dit que l'histoire s'intéressât jamais au vulgaire - au fil d'une soirée d'enivrement et de débauche font le sot pari de la vertu de leurs femmes et s'en vont parier chacun sur la vertu de leurs épouses. Arrivés à Rome, ils ne purent que constater que ces dernières, elles aussi, étaient fort occupées à partager le festin que la cour leur offrait ; toutes, sauf une, Lucrèce. Sextus Tarquin, l'un des fils du roi Tarquin le Superbe, excité par l'aventure, reviendra plus tard et violera Lucrèce après avoir tenté de la séduire. Elle finira par céder sous le coup des menaces et du chantage. « Silence, Lucrèce, dit-il, je suis Sextus Tarquin : je tiens une épée, vous êtes morte, s'il vous échappe une parole. »

Un peu plus tard, Lucrèce, fera venir son père et son époux et devant témoins racontera le crime dont elle fut victime, en appellera à la vengeance mais se suicidera ne voulant pas que son déshonneur rejaillisse sur les siens. C'était bien d'un double crime dont il s'agissait - rompre les liens de l'hospitalité et attenter à la dignité d'une femme romaine - et dont le fils du roi était l'auteur. La légende veut, que tous les narrateurs reprennent, que l'entourage immédiat de Lucrèce, outré ameuta le peuple de Rome qui finit par mettre fin à la royauté. Tarquin le Superbe, absent de Rome, tenta mais en vain de rentrer dans la ville. C'en était fini de la royauté romaine et du règne des étrusques.

Voici qui est étrange : c'est un viol qui autorisa la fondation de la ville ; un autre qui permit la fondation de la république.

Mais ce récit est exemplaire pour une seconde raison que l'on a appelé la malédiction de Lucrèce : en se plongeant le couteau dans le cœur celle-ci s'écrie : C'est à vous, reprend-elle, à décider du sort de Sextus. Pour moi, si je m'absous du crime, je ne m'exempte pas de la peine. Désormais que nulle femme, survivant à sa honte, n'ose invoquer l'exemple de Lucrèce ! » Ni plus ni moins Lucrèce jette l'anathème sur toutes celles qui, violées, choisiraient de ne pas se suicider : ce serait jeter le doute sur la réalité du viol que de ne pas le faire.

Voici récit bien étrange qui en dit long sur notre sujet : voici chose courante en matière de viol que l'on en vienne à douter de l’agression et que l'on suspecte chez la femme une légèreté telle que le consentement fût probable ; chose courante d'ainsi non sans cruelle perversion métamorphoser la victime en coupable. Sauf à considérer qu'ici l'accusation ne vient pas de l'extérieur ; n'est pas proférée pas les hommes - bien au contraire : ils lui disent que le corps n'est pas coupable quand le cœur est innocent, et qu'il n'y a pas de faute là ou il n'y a pas d'intention - mais de Lucrèce elle-même. Intériorisation du code moral et social ? voici en tout cas inversion des lignes entre intimité et extériorité qui est l'objet exact de notre réflexion.

le viol de Chiomara

Attitude exactement contraire : celle qu'adoptera Chiomara femme noble galate lors de la guerre que Rome mène contre les Galates. Elle fait partie des prisonniers. Mais ce n'est pas n'importe qui : elle est la femme du chef Orgiago ; elle est fière et tous les narrateurs disent qu'elle est belle. Placée sous la garde d'un centurion - avide et débauché, écrivent Tite Live et Plutarque. Un vrai soldat ajoute l'auteur des Histoires Romaines - ce qui n'excusait rien mais expliquait tout. C'est peu de dire que le soldat n'honore ni la discipline militaire ni la vertu romaine : il est loin d'avoir le beau rôle. Attiré par la belle femme , la concupiscence et la lâcheté aidant, il la viola. Son crime est triple qui pourfend aussi la veule lâcheté de s'en prendre à être en situation de faiblesse et de dépendance. Mais comme l'animal est avide de surcroît, il lui propose, contre rançon, de la libérer et, pour n'avoir rien à partager avec personne, se charge lui-même de la transaction.

La scène a lieu au bord du fleuve. C'est au moment exact où le centurion compte la somme - celle qui était convenue précise l'auteur, que Chiomara, dans sa langue, donne l'ordre de le tuer.

Elle rejoindra son époux mais avant toute chose, avant même de l'embrasser, elle avoue le viol mais aussi la vengeance, et jette aux pieds de son époux l'hideuse tête ensanglantée. Surpris, il lui demande quelle est cette tête, que veut dire une action si extraordinaire chez une femme. Viol, vengeance, elle avoua tout à son mari; et, selon Plutarque, ajouta mais il est plus beau encore de n'avoir laissé vivre qu'un seul des deux hommes qui ont joui de moi. »

Au reste, qu’on rejette ou qu’on accueille cette tradition, cela n’est pas à mes yeux d’une grande importance. (9) Mais ce qui importe, et doit occuper surtout l’attention de chacun, c’est de connaître la vie et les mœurs des premiers Romains, de savoir quels sont les hommes, quels sont les arts qui, dans la paix comme dans la guerre, ont fondé notre puissance et l’ont agrandie ; de suivre enfin, par la pensée, l’affaiblissement insensible de la discipline et ce premier relâchement dans les mœurs qui, bientôt entraînées sur une pente tous les jours plus rapide, précipitèrent leur chute jusqu’à ces derniers temps, où le remède est devenu aussi insupportable que le mal. (10) Le principal et le plus salutaire avantage de l’histoire, c’est d’exposer à vos regards, dans un cadre lumineux, des enseignements de toute nature qui semblent vous dire : Voici ce que tu dois faire dans ton intérêt, dans celui de la république ; ce que tu dois éviter, car il y a honte à le concevoir, honte à l’accomplir. (11) Au reste, ou je m’abuse sur mon ouvrage, ou jamais république ne fut plus grande, plus sainte, plus féconde en bons exemple : aucune n’est restée plus longtemps fermée au luxe et à la soif des richesses, plus longtemps fidèle au culte de la tempérance et de la pauvreté, tant elle savait mesurer ses désirs à sa fortune. (12) Ce n’est que de nos jours que les richesses ont engendré l’avarice, le débordement des plaisirs, et je ne sais quelle fureur de se perdre et d’abîmer l’état avec soi dans le luxe et la débauche.
Tite Live Préface

La scène est intéressante, assurément, parce qu'elle contrevient aux deux canons de la dignité et de la bienséance : le centurion, on l'a dit déjà, offense autant le courage que la dignité de l'armée romaine qui, quoique utilisant à foison des mercenaires, avait néanmoins un solide code d'honneur ; mais cette femme qui n'est pas romaine mais, puisque galate, d'origine celte, ni par son esprit de vengeance ni par ses réactions guerrières ne correspond à la vie paisible et chaste que l'on s'attendrait à voir chez les matrones romaines.

On peut légitimement s'interroger sur les raisons qui poussèrent Tite-Live à intégrer ce récit à son histoire tant le seul protagoniste romain est détestable et fait peu de gloire à Rome que précisément l'auteur tint à honorer ; tant, par ailleurs, la femme tranche assez violemment avec les canons antiques de la féminité. Ce qui explique au reste que ce passage fut assez peu commenté par les spécialistes.

La réponse, en partie, se trouve dans la préface de son ouvrage : toute dégradation de la discipline, tout relâchement des mœurs entraine pour lui, inéluctablement, une pente fatale où l'empire ne pourra que succomber. Derrière l'historien, il y a bien un moraliste ; derrière cette histoire, notamment, il y a bien une morale qui est d'autant plus intéressante qu'elle donne le beau rôle non seulement à une femme mais à une étrangère qui plus est.

Aller jusqu'au bout de cette histoire c'est comprendre ce que le geste de Chiomara a à la fois de sacré et d'expiatoire : elle reconnaît le viol sans évidemment admettre en rien la faute mais elle agit, comme le ferait un homme, en lavant la souillure par un acte de sacrifice au sens de Girard. C'est ici la gravité romaine qui se met en scène qu'il faut entendre comme dignité, élévation, noblesse, solennité, sérieux c'est-à-dire ce qui confère sa cohérence à la vertu romaine.

A bien y regarder, tout dans ce récit est affaire de poids : celui de la rançon que le centurion compte ; celle du double crime ; celle de la vengeance mais de la probité morale de la victime encore.

Sans doute faudra-t-il revenir, encore et toujours, sur cette notion qui paradoxalement est l'antonyme des figures de la pesanteur : ce qui se donne à penser ici c'est combien cette gravité est à la fois une vertu publique - ce qui donne à sa parole prix et valeur - mais privée également - ce par quoi l'on respecte et applique dans le domaine privé ce que l'on proclame à l'extérieur. Chiomara parle à la fois de ce qu'elle a subi et de la vengeance qu'elle a orchestrée : elle le fait gravement et par définition en public. Ce n'est qu'après qu'elle embrassera son époux. En somme elle annonce en public ce qu'elle assume de vertu en privé : la pureté, l'austérité de sa conduite, soutint jusqu'au dernier moment la gloire de cette belle action conjugale.

On remarquera enfin, mais ce sera identiquement le cas dans les textes bibliques - Esther, Judith, Rahab - que le cours de l'histoire change sitôt que les femmes sortent de la retenue qui leur est prescrite. Elles le font, le plus souvent contraintes en tout cas amenées par les circonstances (Lucrèce) ; parfois de leur propre initiative (Esther, Judith mais aussi Véturie) mais à tout coup, le cours des événements bifurque.

Au bilan

Si l'on accepte de dépasser tout ce que la sexualité peut comporter de sur-investissement émotionnel, sentimental, passionnel bien sûr, d'un côté ; mais d'idéologique, de religieux, de métaphysique sans doute ; de psychologique voire de psychanalytique évidemment ; de politique, de social voire d'anthropologique enfin, alors on pourra en avancer qu'elle

De Parménide à Hegel, tous ont vu que tout se jouait dans le rapport au monde : mais ce que cela veut dire, que l'on peut entendre aussi bien d'un point de vue symbolique ou furieusement matériel, revient toujours à une affaire d'ingestion ou de déjection ; de flux , mais donc aussi de pénétration. L'air que nous respirons puis rejetons ; l'aliment que nous assimilons … La violence elle-même en prend le plus souvent la forme - exemplaire : le glaive qui nous transperce la poitrine ; le couteau que Lucrèce cache sur son cœur ; l'aliment empoisonné ; l'air vicié. Rien à cet égard ne nous est plus insupportable que le geste de vie qui finalement tue : c'est le cas pour l'empoisonnement ; ce fut le cas des chambres à gaz où la perversité des nazis aura fait que ce soit le geste de vie lui-même qui donna la mort ; le viol évidemment.

Ce qui nous met en danger toujours est ce qui nous pénètre. Et je ne tiens pas pour anodin que tous ceux qui, un jour furent cambriolés, aient perçu ceci comme un viol quand bien même l'on ne leur eût rien volé ou presque. C'est que toute intrusion dans ce que nous n'avons pas d'autre mot pour le qualifier qu'intimité ; dans ce qui fait notre être propre ; en ce lieu de jointure entre le corps et l'âme, entre le psychique et le physique, est nécessairement vécue comme une violence si elle n'a pas été consentie ; si elle n'est pas ce qu’elle prétendait ou parut être.

Voici pourquoi pour comprendre la pudeur, il faut l'envisager du côté de ce qui l'offense - qui ne saurait se réduire à la sexualité fût-elle la plus frustre.

La vulgarité est tout sauf un choix mais ce qu'on vous impose ; une violence donc. Une des pires.

Ainsi la loi a été notre conducteur pour nous amener à Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi.
Mais la foi étant venue, nous ne sommes plus sous ce conducteur ;
car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ.
Car vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ.
Il n'y a plus ni Juif ni Grec ; il n'y a plus ni esclave ni libre ; il n'y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ.
Or, si vous êtes à Christ, vous êtes donc la postérité d'Abraham, héritiers selon la promesse.
Gal 3; 24-29

De quoi la pudeur est-elle le nom ? Mais de l'individu !

De cet individu si long à éclore dans nos cultures qu'il parait presque miraculeux qu'un Paul eût à en affirmer le crucial avènement. Tout à coup ce que l'on attend de vous n'est plus de seulement se lover dans l'appartenance à un groupe ; de se conformer aveuglement à des préceptes - si excellent pussent-ils être ; non, dans ce passage de la loi à la foi, il y va d'un engagement personnel et donc d'une construction de soi face à l’Être. Vient alors le moment de l'Œuvre, ou des œuvres, d'un salut que l'on prépare en même temps que l'on échafaude son probe être. Et c'est dans cet engagement que se joue la moralité qui a nom : responsabilité. Or cet individu, qui ne se résume pas à ses appartenances si nombreuses, riches ou complexes qu'elles fussent, que ses appartenances ne protègent assurément pas vraiment en tout cas moins que celles qu’il protège lui par ses sacrifices, cet individu est fragile, ouvert qu'il est au quatre vents ; dépendant tellement de ce qui n'est pas lui.

Cet individu, si mystérieux mais qui se terre au creux de cette intimité, a besoin de protection. Elle peut venir de l'autre ; de l'être aimé ; elle provient souvent de la famille qui en est la providence spontanée dès l'enfance. Elle naît d'abord de soi ; de cette retenue ou silence que l'on appelle parfois pudeur - qui n'est pourtant souvent que de l'implicite.

On comprend mieux alors pourquoi la frontière est poreuse et suavement fluctuante qui nous sépare autant que relie aux autres, aux proches, aux très proches que précisément l'on nomme les intimes. Mais est-il être à qui l'on puisse tout dire ? même ce que l'on ignore de soi ou ne ferait que deviner ? J'aime assez que, même chez Freud qui pourtant désigna l'existence de l'Inconscient où il voit le fond de l'être, il y a toujours un reste ; un ombilic au-delà de quoi l'on ne peut remonter ! Au-delà duquel, j'en suis sûr, il vaut mieux ne pas remonter. Ni même rêver pouvoir le faire.

L'analyse est belle et bonne et souvent salutaire ! autant que les amples et si bruyantes prétentions de la raison. Mais si je suis assez philosophe pour espérer un peu des lumières des sciences, je le suis trop pour croire qu'elles parvinssent jamais à tout éclairer sans nous éblouir. Deux excès, disait Pascal : n'admettre que la raison ; exclure la raison. J'ignore lequel est le pire. Le second est bientôt tyrannique ; le premier endémiquement mortifère.

Je ne puis admettre, ne le veux en tout cas, que mes inclinaisons, mes pensées et mes goûts ne tinssent qu'à quelque secrète alchimie d'adrénaline et autre imprononçable substance. Je ne me résoudrai jamais à n'être que la croisée aléatoire d'étroites chaînes causales et je craindrais bien trop de tout démanteler, de mes amours autant que de mes engagements, en en perçant, s'il était possible, le mystérieux enchevêtrement. Je n'aime la vie, je crois, que de ne la pas comprendre pleinement ; et ne la supporte que de ne pas connaître l'heure de ma mort. Je n'aime mes enfants ou mes amis que de les voir constamment m'échapper autant que s'approcher ; de les savoir insaisissables. Vivants, tout simplement. De les savoir exister, aurait écrit Sartre. De les voir révoltés, aurait écrit Camus.

Exister, je le sais, je le sens, réside uniquement dans cette excursion, dans cette sortie qui vous interdit la sotte stase. Etre quelqu'un, c'est seulement chercher à demeurer cet atome, cet indivisible - cette lente coulée qui nous fait n'être jamais tout à fait ni là ni celui qu'on vous croit ou que même on s'imagine être. Non je n'ai pas honte de ce que je suis ou fais - pudeo - mais je détesterais avoir à l'être. Je crois bien avoir dit ceci à mes filles : comme simple viatique moral c'était bien peu mais crucial. Pouvoir se regarder dans la glace chaque matin sans honte. Qu'importe si rien ne justifie la fierté ; qu'au moins la honte n'ait pas droit de cité.

Il fallait écouter les mots - il le faut toujours : j'aime, qu'à l'instar d'infini, individu soit un terme négatif. Qu'est-ce violer finalement ? sinon, comme toute violence, réduire à l'état de chose ; c'est-à-dire empêcher toute évolution, tout devenir ; c'est-à-dire mettre à disposition ou réduire à l'état de stock dans quoi puiser à volonté. Qu'est-ce que créer sinon d'un état brut de la matière parvenir à cette mystérieuse combinatoire d'où naissent mouvement, émotion, changements … devenir. Nulle femme ne sait comment exactement elle s'y prend parce que la chose à la fois lui échappe et lui appartient : mais en son sein, silencieusement, discrètement, pudiquement, s'opère le miracle de la vie. Nul peintre, nul écrivain ne saura jamais, il a beau s'en flatter ou s'en désespérer, ni comment ni pourquoi de ses lignes qu'il désespérait de croire ratées, subitement éclabousse la vie, jaillit l'émotion ; susurre la tendresse.

Il est si facile de meurtrir et plus encore d'en parler. Il est si malaisé de pétrir, si miraculeux de créer et plus encore d'en parler.

Décidément j'aime ce qui m'échappe ; respecte ce qui fuit ou s'échappe parce que je sais que de ce désordre apparent sourde toujours un lendemain, une espérance ou une épreuve, qu'importe … la vie elle-même. Décidément j'ai peur des certitudes péremptoires des savants et experts si obsessionnellement empressés à vous sermonner de ce qu'il eût fallu faire, penser ; de ce que vous n'êtes pas et qu'il eût fallu néanmoins réussir. Les Diafoirus sont toujours ridicules ! mais si dangereux quand il fouaillent l'âme. Amis, ne riez pas ! enfants, ne souriez pas : il n'est nulle pudibonderie en tout ceci ! pas même une stratégie de défense - si … peut-être un peu, avouons-le. Aucune rigidité ni frigidité dont il faudrait se déprendre. Les remparts sont faits pour êtres gravis - et parfois même abattus. Mais quoi ? pour cela il faut bien qu'on les érigeât un jour !

Je sais que dire Je est d'une incroyable prétention parce que d'un effort mais d'une espérance à jamais inachevés, d'une tension inextinguible. Mais il n'est pas de vertu possible ; pas de moralité accessible qui ne soit l'œuvre de quelqu'un qui puisse dire, même doucement, ceci c'est moi qui l'ai fait, voulu ; je l'assume. Il faut bien que quelqu'un réponde. Ce quelqu'un qui veut y parvenir, qui tente de se rassembler tout en restant en quête, doit être protégé : de toutes les suffisances ; de toutes les emprises ; de toutes les tyrannies ! De la réification qui est la marque de toutes les modernités depuis qu'elles se proclament telles ; de toutes les ambitions qui ne rêvent que d'empire ; de toutes les salissures qui s'entêtent de s'éclabousser.

Non décidément la pudeur dépasse et de loin les seules terres sexuelles et il est fallacieux de la croire vertu exclusivement féminine.

Telle est la vertu de la pudeur. Car, oui je le crois, ne pas tout dire c'est refuser la sclérose de l'être ; c'est laisser de nous les flots jouer de toutes les porosités pour s'inventer et le paysage parcouru. Les flots sédimentent autant que bouleversent ; forgent autant que dévastent. Héraclite avait presque tout vu en affirmant qu'on ne se baignait jamais deux fois dans le même fleuve.

Savait-il que ce fleuve … c'était nous ?

 

 

Préambule

Doutes et ambitions

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter

savoir parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

Trois histoires pour commencer

Révélation

histoires d'insoumises

histoires d'abandons

 

élégance   :

l'éloge de la gratuité  

élégance de l'image

images de l'élégance

élégance de la légèreté

pesanteur de la vulgarité

légèreté de l'élégance

de deo : in solido

l'impensable silence

 

bienveillance

humanisme: une affaire d'élégance

du pardon

doute
donner recevoir
ironie
justesse

diableries

diableries suite

qu'est-ce ceci : haïr ?

grâce    
cloisons à éviter
 
goûter le silence

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

chercher

liberté : obéir ou servir

écoute  

philosopher : un geste moral

loi

empathie  

prudence plutôt que scepticisme

 

sexualité

sagesse

 

 
entre silence et parole
    devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

entre intensité et prudence

moi

foi ou crédulité

mensonge
être source ?
partage
fissure
témoigner
refuser la déchéance
vicariat