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Pardonner :
le savoir ; le pouvoir ; le devoir … ?

 

Est-il acte plus moral que celui-ci ? A moins qu'en réalité il ne relève de la métaphysique. Au cœur de la morale chrétienne au point de figurer en bonne place dans le Notre Père. Mais de la tradition juive : Yom Kippour !

A deux réserves près : le pardon paraît relever de la réciprocité - Pardonne-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés - alors qu'en réalité il excède toute réciprocité possible et appartient plutôt au domaine de la grâce : qui est pardonné n'a rien à offrir en échange et qui pardonne ne demande rien en retour, son pardon, pur acte de la volonté ne se justifiant par rien ni surtout aucune nécessité extérieure.

Ensuite, aussi méritoire et noble puisse-t-il être, le pardon ne saurait ignorer la question de ses limites : tout est-il pardonnable ? Servirait-il de reprendre la question telle qu'un Jankélévitch puis un Derrida l'ont pensée ? Sûrement non, je le ferais moins bien.

Frappé néanmoins que la première référence que l'on trouve sur la question est la parabole du fils prodigue

Les fils, comme les filles du reste, sont sources de grandes joies mais parfois d'incroyables contrariétés. Même si la parole des pères n'est pas aussi impérieuse que dans les récits bibliques et en général antiques, elle n'empêchait nullement la jalousie des fils de s'exprimer ni de dérouler leurs conséquences souvent déroutantes, parfois dramatiques. On songera à Caïn et Abel, évidemment ; à Joseph et ses frères ; à Jacob ; sans oublier, dans un autre registre Romulus et Rémus. Origine de toute violence que cette ressemblance initiale, gémellité ou phratrie seulement, en tout cas identité d'ambition, de désir qui toujours débouche sur un antagonisme et , à la fin, sur le meurtre.

Celui-ci dont le récit ne mentionne pas même le nom tant il ne vaut que pour l'emblème qu'il représentera bientôt, se rebelle contre son père, revendique sa part d'héritage et s'en va mener sa vie, hors de toute contrainte. Sans doute fauta-t-il, peut-être même aura-t-il franchi toutes les limites, jusqu'à ne pas respecter le shabbat voire manger de la viande impure … toujours est-il que lui qui n'arguait que de sa liberté acheva de la perdre au service d'un gentil, maître pas nécessairement bienveillant, exigeant jusqu'à l'extrême. Il avait fait le tour de ses expériences et de ses vanités : il résolut l'impensable retour en arrière, sans doute difficile pour son orgueil déjà passablement malmené, tout entier conditionné par un pardon que son père sans doute ne lui accorderait pas.

La surprise vient de l'attitude de ce dernier qui, non seulement pardonne, se réjouit du retour de son fils mais ordonne qu'on fasse ripaille - un veau gras et tendre - à la grande colère du fils aîné pour qui pas même un agnelet ne fut jamais offert.

Il était mort ; il est de nouveau vivant. Perdu, il est retrouvé. Telle est l'explication de la joie du Père. Rejoignant ainsi la leçon tirée de la parabole de la brebis égarée - De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance. Lc 15,4 - on peut tirer la première leçon du pardon qui vient toujours briser la ligne ordinaire de la loi, de l'ordre ou de l'habitude. A sa manière transgressif, le pardon n'exige rien, ne justifie rien : la faute n'a pas besoin de punition pour être effacée. Hyperbolique, ce pardon a-t-on parfois affirmé : oui dans le sens où il ne s'inscrit dans aucune logique, dans aucun droit, dans aucune obligation. Il est rupture de l'ordre normal du temps et de cette ligne qui de la faute va à la punition.

Pardonner, c'est ne rien attendre, renoncer à toute arrière-pensée, calcul byzantin au service d'intérêt propres : manifestation du désintéressement, pulsion ou volonté, en tout cas toujours un événement inattendu qui fait se débuter une nouvelle série. Sans doute est-ce ici que réside le miracle du pardon : dans cette grâce, certes jamais atteinte, mais si subtilement approchée, qui nous fait offrir sans rien attendre en retour, comme si plus rien ne pesait plus, plus assez en tout cas pour entraver son parcours. Le pardon est en creux ce que le don est en relief écrira Jankélévitch ! C'est un moment qui dans ce rapport étrange et si compliqué entre l'offensé et l'offenseur, la victime et le bourreau fait que celui-là, sans raison, ni justification, fait grâce, remise gracieuse, ne réclame rien ni son dû ni quelconque réparation.

Aussi surprenante que puisse paraître l'idée selon laquelle les offenses commises à l'égard de Dieu seraient moins graves que celles commises à l'égard de nos prochains, elle a sa cohérence. Outre que nos méfaits à l'égard de Dieu ne pourront jamais être assez lourds pour nuire ni à sa toute-puissance ni à son Etre, il y a bien-fondé à se présenter devant lui et lui demander pardon puisqu'il est l'offensé. Et puis, même si la chose engage tout mon être et les efforts de toute une existence, j'aurai toujours entre mes mains, sans avoir besoin de quiconque d'autre, moyen d'expurger mon âme de ses maux et tourments et espérer par là obtenir le pardon divin. Mais seul le prochain que j'aurais lésé, offensé ou meurtri est fondé à me pardonner et à délier les obligations que j'aurai ainsi contractées à son égard. Autant dire que le pardon est surtout un événement où en un vis-à-vis percutant le coupable, explicitement, solennellement, demande pardon ; où l'offensé tout aussi explicitement accorde son pardon. Affaire de voix, de parole ; de présence. Car s'il est une condition pour que le pardon puisse avoir lieu c'est qu'au moins il soit demandé ! Sans lui, nul vis-à-vis, nulle relation, nul événement. Peut-être par là voudrait-on passer à autre chose, oublier, mais alors il ne s'agit plus de pardon mais d'arrangements, sans doute honorables, avec soi, sa conscience, son confort.

Le pardon, oui, sans doute, relève-t-il de l'hyperbole. Ce pourquoi, toujours aux limites, presque impossible, il est expérience extrême venant clore événements et actes eux-mêmes extrêmes.

Il n'y a pas, selon moi, de réelle contradiction entre cette hyperbole et l’affirmation de l'imprescriptible même si l'on peut être étonné de la véhémence de Jankélévitch, tel est le terme souvent choisi pour désigner son attitude. Il a raison en rappelant que personne, jamais, n'est venu demander pardon ! Or, le pardon suppose, la reconnaissance par le coupable de la gravité de sa faute, de son crime. Certes, il parle de la culpabilité des Allemands et non pas des nazis et l'on peut s'étonner de son refus, dès lors, de tout ce qui touche de près ou de loin à la culture allemande : Mozart, Beethoven ; Schubert ou Brahms compris ! Mais il faut entendre ici l'exorbitance du crime : on voit mal quelle sanction pût être jamais à la mesure de la faute. Elle engage, oui, un crime contre l'humanité même de l'homme : elle nous dépasse tous ce pourquoi elle demeure imprescriptible

J'aime qu'en la matière il en aille comme de la raison dont Kant a si parfaitement reconnu et borné les limites. Et sans doute est-ce le sens de ce Ne Jugez pas (Mt 7,1) car si nous savons évaluer les actes et les juger qu'ils nous affectent ou non, qui sommes-nous pour juger leurs auteurs ?

Dans le village qui n'était pas bien grand pourtant, ils avaient été nombreux - une vraie bande de vauriens - à ennuyer Meïr et ceci constamment jour après jour et même certaines nuits ; si bien qu'il en finit, par épuisement, égarement et pour son malheur, excédé autant qu'épuisé, par prier pour qu'ils meurent afin, enfin, qu'il ait la paix ! Il était rabbin pourtant. J'aime, je l'avoue, ces histoires où les ministres du culte comme on disait autrefois, ces hommes de Dieu comme ils osaient s'intituler, ces clercs, ces intermédiaires qui sont supposés tels des bergers, conduire leurs troupeaux sur le bon chemin ou les y ramener, que ces pâtres, oui, fussent eux-mêmes faillibles et ne manquassent pas à l'occasion de verser dans ces petites rancœurs et vengeances qui font le lit des grandes fautes, des haines tenaces et, à la fin, des grandes violences. La sagesse ici prit la voix de son épouse qui le tança vertement lui rappelant le Psaume 104 qui n'évoque pas la disparition des pécheurs mais des péchés. La logique, irrésistible, voulant que les fautes disparaissant de la surface de la terre, automatiquement les méchants aussi ! Il se repentit tant la remontrance de sa femme était irrécusable, presque comminatoire. Il pria donc pour que ces garnements en viennent à repentance. L'histoire raconte qu'il fut exaucé.

Nombreuses sont ainsi les références bibliques invitant à la prudence et non sans pour autant effacer ou excuser la faute à ne pas refuser le pardon à qui le demanderait, surtout si c'est la troisième fois qu'il se présente ainsi et que son comportement effectivement change. Il y a surtout, répétée à maintes reprises cette idée toute simple aux conséquences infinies : aucun jugement ne saurait être vrai ni juste s'il n'est pas prononcé face à la présence divine (Sanhédrin 7a). Car c'est toujours au nom du divin que l'on juge tant le jugement est acte qui nous dépasse de toute part. Vive est la conscience que tout jugement précoce et intransigeant qui n'envisagerait pas au moins la possibilité du repentir et la nécessité du pardon ne ferait qu'aviver plus encore les blessures et laisser l'engrenage fatal se dérouler où la violence achève de se nourrir elle-même.

Qui n'a pas été au moins une fois dans son existence injustement lésé ; qui n'a, au moins une fois dans sa vie, même inconsciemment, même involontairement, nui à autrui ? Nous sentons tous combien tout préjudice doit être réparé s'il se peut et le lien qui unit victime et méchant dénoué parce qu'il est corrupteur. Tout a l'air de se passer comme si la victime ne pouvait définitivement se libérer de l'entrave que par un pardon demandé et accordé qui le préserve de toute rancœur, vengeance rentrée, détestation voire haine qui sont autant de liens pervers qui nouent, empèsent ; étouffent comme si le mal subi n'avait pas été suffisant. Ceci n'est pas toujours possible et nous n'en sommes pas toujours capables. Pourtant il n'est pas de plus grande grâce que de parvenir à s'extirper du négatif ; de la machinerie aliénante du négatif.

Je comprends mieux pourquoi critique, crise et jugement relèvent ensemble de cette κρίσιϛ qui est toujours un passage, le plus souvent douloureux, à l'issue duquel en tout cas un nouvel équilibre se forme nécessairement différent du statut quo antérieur.

Je comprends le père de ce fils prodigue : dans les formes patriarcales qui furent celles de cette antiquité méditerranéenne, il proclame simplement qu'aimer ce n'est pas juger, encore moins condamner ; mais accompagner autant qu'on le peut

Se placer toujours dans la position où cette part de destruction que comporte tout jugement, toute critique vous soit épargnée ; ou qu'au moins vous soit évité d'en être à l'origine. Prendre de la hauteur ! Rien à voir avec cette insensibilité stoïcienne - ataraxie - qui menace de tout aplatir en cette même indifférence qui n'est finalement que l'impassibilité des pierres. S'approcher au contraire le mieux possible du point de vue de l'être pour ne donner prise jamais au négatif.

 

 

 

Préambule

Doutes et ambitions

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter

savoir parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

Trois histoires pour commencer

Révélation

histoires d'insoumises

histoires d'abandons

 

élégance   :

l'éloge de la gratuité  

élégance de l'image

images de l'élégance

élégance de la légèreté

pesanteur de la vulgarité

légèreté de l'élégance

de deo : in solido

l'impensable silence

 

bienveillance

humanisme: une affaire d'élégance

du pardon

doute
donner recevoir
ironie
justesse

diableries

diableries suite

qu'est-ce ceci : haïr ?

grâce    
cloisons à éviter
 
goûter le silence

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

chercher

liberté : obéir ou servir

écoute  

philosopher : un geste moral

loi

empathie  

prudence plutôt que scepticisme

 

sexualité

sagesse

 

 
entre silence et parole
    devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

entre intensité et prudence

moi

foi ou crédulité

mensonge
être source ?
partage
fissure
témoigner
refuser la déchéance
vicariat