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D'entre silence et parole

Toute ma vie j'ai grandi parmi les sages et je n'ai trouvé de bon pour le corps que le silence ; l'essentiel n'est pas la déclaration mais l'acte, et la multiplication des paroles amène la faute ( I, 17)

la haie de la sagesse est le silence III, 13

Je crains qu'on n'en ait jamais terminé avec le silence : il est plus bavard qu'on ne l'imagine. Déjà évoqué, dans cette même section qui plus est, ne serait-ce que pour distinguer ce silence tellement nécessaire et pourtant si aisément délétère ! Ceci justifiait déjà l'entre pesanteur et grâce. Il est ce qui vous saisit devant paysage magnifique et, sans doute, le langage même de la prière ou de la méditation qui savent à certains instants de grâce s'échapper du piège des mots et des petites faiblesses de ce mot si aisément insistant.

Mais quoi, cet appel au silence pour une tradition qui n'a fait qu'entasser commentaires sur commentaires, explications sur controverses et aura produit finalement une Torah orale bien plus bavarde - plus dense dirons-nous respectueusement - que celle écrite, comment ne pas y voir une galéjade ? pour le moins une ironie bravache ? Mais je n'aime pas l'ironie pour ce qu'elle comporte d'inutile mépris et d'inefficace négation.

La chose est pourtant logique : qu'il en faut de mots pour dire, expliquer, justifier que le silence lui soit préférable. Il en va du silence comme de la vérité, comme, au reste, de tous ces concepts si abstraits et si simples qu'ils semblent ne pouvoir que se contredire de chercher à s'expliquer. Le serpent ici aussi, comme pour le four d'Eliezer, finit par se mordre la queue.

La chose est étrange néanmoins qui suggère toute l'ambivalence de nos rapports avec l'absolu - qu'on le personnifie sous la forme d'un Dieu ou sous celle de la Vérité. Affirmer l'existence des Idées et les séparer hors de la caverne ne pouvait régler la question.

Ni le soleil, ni la Vérité ni Dieu ne se peuvent regarder en face : baisser les yeux, se soumettre ; au mieux répéter. On se voit mal disputer à Dieu la pertinence de ses volontés. A sa manière, A Comte ayant déplacé le champ de la Vérité du côté de la physique n'aura pas affirmé plus : il n'y a pas de liberté d'examen et de conscience dans les sciences. Sauf à considérer que nous ne sommes jamais certains, ne pouvons jamais l'être, d'avoir bien vu, entendu et compris ; nos perceptions, nos idées mêmes sont déjà des habillages où nos sens, notre entendement et même nos préjugés enrobent la pépite reçue. Cette lumière qui m'aveugle au point de me saisir comment savoir si elle n'est pas déjà reflet ? cette exhortation pourtant si limpide, comment être certain qu'elle ne s'est pas déjà empêtrée dans le piège ds mots ?

Et, de simplement m'en poser la question, s'enroulent à vous en effrayer, comme sacs et ressacs, tourbillons de paroles, pas toujours sensées mais pas toujours sottes non plus. Alors quoi ? Se taire ? il se devrait mais il ne se peut. De nombreux commentaires, notamment dans Pirke Avot suggèrent de de limiter à l'essentiel et à taire l'accessoire. Certes, mais où s'arrête l'essentiel ? où commence l'accessoire ? et la ronde infernale reprend.

Tous de quelque obédience qu'ils se fussent réclamés auront ainsi suggéré que le silence était apothéose de la sagesse et que la parole ne valait que sur le chemin y conduisant. Le sage y gagne de s'éviter risque de se tromper, le sot d'y paraître presque sage. La grande affaire est donc celle du chemin ; de la méthode. Le grand danger que représente qui fait profession de parler

Celui qui s'épargne la fonction de juge se délivre de la haine et du vain serment ; celui qui s'enorgueillit dans l'enseignement est un fou, un méchant homme et un fat

« Ne fais pas des paroles de la Tora une couronne pour t’en enorgueillir ni une pioche pour creuser. Car ainsi a dit Hillel : ‘‘Celui qui se sert de la couronne de la Tora comme instrument périra.’’ D’où l’on conclura que celui qui tire un profit mercantile des paroles de Tora ôte sa vie du monde. »

Ne sont pas rares les textes ici ou là qui jettent sur l'enseignant regard ironique, parfois même suspicieux. La Fontaine, notamment, a souvent mots cruels pour les brocarder. Qui aide peut-être mieux à comprendre pourquoi à Rome la tâche en fut confiée aux esclaves. A fortiori sera-ce le cas quand il ne s'agira plus simplement de former de jeunes enfants … Instituteur, professeur, maître, qu'importent les mots : ils n'ont pas bonne presse et ne l'eurent jamais ! Ils disent tous les périls d'un office où l'on ne peut professer - c'est-à-dire proclamer ouvertement - un savoir, une vérité sans invariablement s'en prétendre détenteur. Il fait la leçon, mais du choix des textes qu'il lira - c'est le sens de leçon - et des sujets dont il a l'initiative, il tirera vite conseils de vie ou réprimandes. Comment la fatuité ne s'en suivrait-elle pas ? Il n'est pas si loin où à la TV on s'adressait à un Mauriac en lui donnant du Maître. Il n'en était pas à l'initiative mais ne protesta pas : tel était l'usage. Bachelard lui le refuse ! mais il avait quitté le monde de l'action - et de l'Université - et ne s'en estimait que plus libre.

J'aime en tout cas cette mise en parallèle - et en réalité en opposition - du juge et de l'enseignant. Celui-là, qu'il en accepte la charge ou la refuse, sait non seulement que le verdict qu'il prononcera aura des conséquences concrètes et demeure ainsi susceptible d'engendrer haine ou animosité, mais, surtout, si l'on veut assumer correctement cette charge, sait qu'il y faut patience, prudence et études prolongées tant en sachant que jamais il n'y aura en la matière de certitude totale. A l'inverse, l'enseignant ne parle, pérore et proclame qu'en adoptant la position de celui qui sait au point d'imposer ses règles. Passe encore quand il ne s'agit que de manières de faire, mais peut-il jamais ne s'agir que de cela ? Même sous les techniques susurre la morale … Les cours de nos jeunes années commençaient par des leçons de morale …

Il s'appelait - non je devrait dire on l'appelait - Cripure en référence à cette Critique qui fit la gloire de Kant mais dont même l'ombre ne parvint jamais à rejaillir sur lui. Oh il était bien un peu philosophe puisqu'il enseignait cette discipline - mais en est-ce une ? - dans un lycée de province. Drôle de personnage qui ne se déplaçait jamais sans les brouillons de plus en plus désarticulés de ce grand œuvre dont il devait bien soupçonner qu'il ne le finirait jamais, qui lui semblait bien pourtant sa seule justification. On est en 17 : il a beau tenir des discours provocateurs et une critique plutôt justifiée sur le patriotisme ampoulé de cette bourgeoisie qui ne risque pas grand chose, quelque chose en lui sonne faux. Il demeure l'éternel bavasseur quand tout le monde autour de lui meurt. Il est le non-acte par excellence ; non pas passif, ce serait déjà quelque chose, mais l'éternel répétiteur qui toujours oppose le verbe à l'être. Amer d'avoir tout raté, ses amours, sa pensée comme son écriture ; de ne parvenir jamais à aller au terme de rien, pas même de son duel. Aisément méprisant comme tous ceux que rongent l'amertume ; une morgue que sa culture et son verbe haut feraient presque prendre pour de la sophistication qui attirait parfois mais jamais longtemps ceux de ses élèves qui cherchaient comme parfois à cet âge un maître à penser.

Oh bien sûr Cripure est personnage de roman - un de ceux qui fascine quand on le lit jeune mais sur lequel on ne reviendra jamais - mais comment dire mieux l'impasse où se met si souvent l'enseignant ?

Encore les Tannaïm, quoique voulant fixer pour ne rien laisser perdre, eurent-ils l'humilité de se déclarer seulement répétiteurs.

Reste le pire : se servir de la Torah ; en faire le truchement de sa propre gloire ou de sa position sociale. Figure même de la perversité, l'acte par lequel on pervertit la fin en soi en simple moyen, conduisant inéluctablement l'intermédiaire à se poser en fin ultime. Ce n'est certainement pas un hasard si les anciens refusaient que les rabbins fussent nourris par la communauté : tous exercèrent un métier ; souvent fort modeste. Se servir de la connaissance tel est pourtant le métier de tout enseignant qui néanmoins ne se prive pas de geindre plus souvent qu'à son tour d'être méprisé, incompris par un public ignorant la mission essentielle qu'il remplirait … Cette manie, où La Fontaine reconnaît de la pédanterie, autant sottise que fatuité, de glisser beaux discours où il faudrait des actes, de plutôt se mettre en avant que d'embrasser le monde est sans doute le prix à payer - mais qu'il est lourd - de croire pouvoir adopter position de qui sait face à des sujets supposés ignorer ; de travestir en supériorité son impuissance craintive.

Qu'il faut de glaise aux semelles et de terre incrustée sous les ongles pour arrimer l'âme …Il n'est rien de plus enthousiasmant que la connaissance - au sens précis que peut avoir ce terme - rien pourtant qui vous mette plus aux périls de l'inconstance et de l'inconsistance.

Trouver les mots justes : quoi de plus difficile ?

 

 

Préambule

Doutes et ambitions

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter

savoir parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

Trois histoires pour commencer

Révélation

histoires d'insoumises

histoires d'abandons

 

élégance   :

l'éloge de la gratuité  

élégance de l'image

images de l'élégance

élégance de la légèreté

pesanteur de la vulgarité

légèreté de l'élégance

de deo : in solido

l'impensable silence

 

bienveillance

humanisme: une affaire d'élégance

du pardon

doute
donner recevoir
ironie
justesse

diableries

diableries suite

qu'est-ce ceci : haïr ?

grâce    
cloisons à éviter
 
goûter le silence

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

chercher

liberté : obéir ou servir

écoute  

philosopher : un geste moral

loi

empathie  

prudence plutôt que scepticisme

 

sexualité

sagesse

 

 
entre silence et parole
    devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

entre intensité et prudence

moi

foi ou crédulité

mensonge
être source ?
partage
fissure
témoigner
refuser la déchéance
vicariat