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Diableries (suite)

Qui, en-dehors des initiés ou des gens du cru, connaît véritablement le lac de La Maix - que certains textes anciens nomment même étang de Lamaix ? On se trouve ici aux pieds du Donon, côté vosgien, je veux dire, côté français, l'ancienne frontière de 70 avec l'Alsace annexée passant par là.

Superbe lac, plutôt petit, situé à l'écart de toute véritable route, propice sans doute à toutes les histoires, mais j'aime qu'histoire suggère à la fois récits du passé et simples racontars, voire sornettes de superstitieux, ou récits mi féériques mi magiques pour grand-pères en mal de légendes à narrer à leurs petits-enfants.

On y trouve chapelle, plutôt récente puisqu'elle date de la fin du XIXe , mais, puisque décidément rien ne surgit véritablement du néant, bâtie sur les restes d'un ermitage datant des années 1100 où, dit-on plusieurs ermites successifs résidèrent qui cherchaient en ces lieux reculés, à l'abri de toute curiosité malsaine et foule empressée et bruyante, manière authentique de servir Dieu. Mais ni ermites ne s'installent, ni processions ne se déroulent sans qu'une histoire tragique ou prometteuse ne les y eût attiré ; qu'un sarcophage dont l'origine demeure inconnue mais remontant à l'époque franque, s'y repère, non loin de la chapelle ne put que renchérir trouble, inquiétude et mystère. Il n'est pas de prière sans mystère et celui qui s'écarte ainsi du monde des hommes pour mieux prier est certes un mystère pour l'homme du commun mais en a lui-même besoin pour mieux se perdre dans les arcanes de l'être.

Il se dit que ce lac n'aurait pas toujours existé et qu'autrefois, en ses lieu et place, se nichait, comme trésor qu'on méritait au prix d'une longue marche, une somptueuse clairière, lumineuse et paisible, au milieu de laquelle se dressait un chêne immense, tellement élancé et fier qu'on aurait pu croire qu'en certains jours de fête et de grâce, il atteignait les cieux et tutoyait les étoiles. Surplombant cet espace, une chapelle à l'intérieur de laquelle on vénérait une Vierge à qui l'on demandait bénédiction et protection à la Trinité.

Chaque année on s'y rendait, depuis Salm, sur les hauteurs de La Broque, autant que du sommet du Donon, pour y faire procession jusqu'en ces lieux où l'ermite qui s'y était retiré célébrerait à cette occasion la messe. Une année, à la sortie de la messe, précisément, un violoniste, un peu étrange assurément mais tellement inattendu, joua pour le public mais le fit si bien, enroulant airs et rythmes échevelés, que jeunes gens et jeunes filles se mirent à danser et l'implorèrent de continuer à jouer. Ce qu'il fit volontiers les entraînant un peu plus loin et ils dansèrent, dansèrent, le jour durant sans apparemment pouvoir s'arrêter ; sans en tout cas le vouloir. Comment décrire ce musicien sinon pour dire qu'il était d'une indicible beauté, presque surnaturelle et d'une distinction époustouflante jusque dans ce geste gracieux avec lequel il faisait glisser ou sautiller même l'archet sur les cordes ; se dégageait pourtant de lui quelque chose comme ce souffle glacial que l'on ressent aux premiers frimas et vents du Nord mais à côté de cela, malgré cela ou peut-être même à cause de cela, une force irrésistible qui vous entraînait sans qu'on y pût mais ; qui vous faisait agiter votre corps et inventer des gestes et postures inconnues jusqu'alors. Et cela dura, dura … la journée entière. L'ermite, au moment de célébrer Vêpres, réalisa que parmi les fidèles, manquaient tous les jeunes gens. Il s'inquiéta. Sonna les cloches. Par deux fois. Les chercha. Sans succès. Il ne les retrouvera jamais.

Subitement le violoneux avait cessé de jouer ; en tout cas plus rien de ses airs entêtants ne parvint jusqu'à lui. Un grand bruit se fit, comme le fracas d'une maison qu'on se serait résolu à abattre ou ce vacarme pleutre que produisent les glissements de terrain pour mieux vous prendre en traître. C'est le chêne en réalité qui se fendit et fut comme dévoré par un ogre, d'un seul mouvement furtif, déchiqueté ainsi que paille par l'inquiétant gouffre qui venait de se former et qui avala tout ainsi d'un même tenant, clairière, buissons, herbage mais les jeunes, les jeunes surtout, toujours dansant, qui s'y trouvaient partageant encore cette joie extatique si contagieuse que vraisemblablement ils n'eurent perçu ni le tintement des cloches les appelant à Vêpres ni les signes alarmants que les cieux, de nuages menaçants et de grisaille inquiétante leur avaient pourtant envoyés.

Du plus profond de ces abîmes monstrueux - qui ne peuvent pas ne pas faire songer à l'Enfer tel que le peindra Botticelli - jaillit, avec la violence des tourments ultimes, comme torrent inversé mais en gerbes interminables, cette eau puisée sans doute aux plus profond de la terre mais d'une transparence inquiétante, cette eau qui, progressivement, après avoir englouti tous ces jeunes que vie et joie attendaient, emplit la cavité laissée et forma ce qu'on nomme désormais le lac de La Maix. On ne les revit jamais non plus que le violoneux. Tout au plus, racontent les habitants du voisinage, entend-on, certains soirs de pleine Lune, plaintes, pleurs, mais ce rire surtout, sardonique qui aida à comprendre que ce joueur de flûte n'était autre que le diable.

Des histoires tragiques de danses irrésistibles ne sont certes pas rares et nous en connaissons tous : point n'est nécessairement utile de faire appel au diable. La danse, qui est sans doute le tout premier parmi les beaux-arts en même temps que le premier savoir-faire puisqu'elle est art de la chute maîtrisée, a toujours intrigué en même temps qu'inquiété. Est-ce parce qu'elle est langage du corps et pour cela aux points limites que le christianisme médiéval pouvait endurer, qui se savait devoir faire de temps à autres la part du feu, et laisser lors des fêtes, s'exprimer joie, spontanéité et corps quitte à reprendre la main à la fin de ces intermèdes toujours un peu périlleux parce qu'on ne sait jamais comment les faire stopper : le retour au réel est tellement difficile et l'exutoire tellement éphémère. Est-ce parce qu'elle était à la portée de tous et non seulement des classes nobles que l'emportement qu'elle suscitait, pouvant être si aisément universel , pouvait tout désarticuler derrière elle ? Mais nous pourrons dire la même chose à propos de la musique ! Ces langues-ci ne connaissent aucune limite.

Certaines de ces histoires en tout cas sont étranges telle celle-ci qui se produisit en 1518 en Alsace. En plein été, par une de ces fortes chaleurs, épaisses et pesantes que la plaine se plaît à réserver comme pour faire payer la grâce de laisser le fleuve glisser par là et enrichir les terres, une femme fut surprise, dansant, place de la cathédrale, plus exactement devant l'entrée du château non loin de la cathédrale. Elle ne semblait pas y prendre goût mais plutôt être saisie de mouvements qu'elle ne parvenait pas à contrôler. Les sautillements, déhanchements et bras se désarticulant brassant vigoureusement l'air autour d'elle ne cessaient pas et la frénésie bientôt l'emporta malgré ses pieds ensanglantés et son évident épuisement. Non seulement rien ne parvenait à la faire arrêter mais surtout ses emportements furent bientôt contagieux puisqu'ils emportèrent, telle fièvre pesteuse, un, puis deux puis bientôt une dizaine de femmes et d'hommes. En moins de 15 jours ce furent plus d'une cinquantaine de personnes qui furent saisies. Personne n'avait évidemment d'explication, encore moins de solutions. En un mois près de 400 pauvres hères se mirent ainsi à danser, implorant même qu'on les secourût tant ils s'exténuaient ainsi au point d'en mourir le plus souvent. La municipalité entreprit d'abord de soigner le mal par le mal et monta des scènes dans les rues où les malheureux accompagnés de musique pourraient danser jusqu'à épuisement mais l'effet fut nul alors on fit ce qu'on faisait alors, ne sachant autre chose, elle les isola. Ce ne servit d'abord à rien puis, presque aussi rapidement que le phénomène était apparu, il cessa. Il se reproduisit néanmoins plusieurs fois çà et là et cessa définitivement, dit-on, avec la Réforme qui se donnera pour vocation d'en finir avec les superstitions païennes résiduelles qui entachaient l’Église de toute crédibilité, rigueur et vertu.

Qui ne connaît, mais au moins est-ce ici récit explicitement mythologique, l'épreuve endurée par Ulysse qu'il emporta contre les sirènes en s'attachant au mât du navire, bouchant de cire les oreilles de ses marins. C'est que les Sirènes, musiciennes nées, cantatrices de haut vol, qui se tenaient selon Homère à l'entrée du détroit de Messine attiraient les hommes par leur chant, lascivement étendues dans un pré jonché des ossements et chairs desséchées de leurs victimes. Il se dit beaucoup de choses sur l'origine de ces Sirènes : ce qui est certain est qu'elles firent partie de l'entourage supposé protecteur de Perséphone mais qui ne purent empêcher Hadès de la ravir et emmener avec lui en Enfer. Peut-être ont-elles été punies ainsi de cette allure monstrueuse - qui aura jamais cru que les chimères fussent bienfaitrices ? - et de leur incapacité à nourrir de relation autrement que mortifère avec les hommes. Pausanias quant à lui raconte une bien plus jolie histoire encore : les Sirènes qui dans la mythologie grecque sont mi-femmes mi oiseau auraient accepté de confronter leurs talents en matière de chant avec celui des Muses ; évidemment elles perdirent et pour prix de leur victoire les Muses arrachèrent les plumes des Sirènes pour s'en faire une couronne - ce qui les empêchera définitivement de voler.

L'esprit souffle où il veut : on le sait ce souffle - pneuma en grec πνεῦμα - c'est l'esprit. Articulé en infinies combinatoires, il se fait Parole. Qui est l'apanage du divin. Modulé en rythme, mélodie, points et contre-points, il se fait musique dont le diable s'empare aisément. Hermès invente la musique et qui l'entend pour la première fois en est ému aux larmes : Panoptès le paiera de sa vie. Orphée sut allier poésie et musique et l'on dit qu'elle était si belle qu'à son passage, mêmes les arbres s'inclinaient de respect et de reconnaissance.

Je ne sais finalement quoi du Verbe ou de la musique fut premier mais ce que je sais est qu'assurément la confrontation des deux a quelque chose de primordial ; de titanesque. De décisif !

 

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter

savoir parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

Trois histoires pour commencer

Révélation

histoires d'insoumises

histoires d'abandons

 

élégance   ou l'éloge de la gratuité  

élégance de l'image

images de l'élégance

élégance de la légèreté

pesanteur de la vulgarité

légèreté de l'élégance

de deo : in solido

l'impensable silence

 

bienveillance

humanisme: une affaire d'élégance
doute
donner recevoir
ironie
justesse

qu'est-ce ceci : haïr ?

diableries

diableries suite

grâce    
cloisons à éviter
 
goûter le silence

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

chercher

liberté : obéir ou servir

écoute  

philosopher : un geste moral

loi

empathie  

prudence plutôt que scepticisme

obéir

sexualité

sagesse

servir

 
devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

intensité

moi

foi ou crédulité

mensonge
être source ?
partage
prudence
 
 
vicariat