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Choses vues 8

 

Ce que je cherche ? des émotions même si parfois surgissent plutôt des réflexions. Les photos parfois ne sont que des prétextes à l'instar de ces trajets qui ne doivent surtout conduire nulle part.

Obéir à ce qui se présente comme une loi du mouvement tant est grande la certitude que l'inertie érode tout sur son passage. Mais le mouvement, passé un certain âge et une posture ordinaire, ne s'oblige plus en rien à la ligne droite. Les objectifs ne sont plus que des apories, les vains remuements d'illusions fanées ; ne demeurent ni plus ports d'attache qu'escales ou destinations programmées. Remuer les bras, poser besogneusement ses pieds l'un devant l'autre et recommencer, non pour gesticuler ou faire signe ; pour rien ou bien parce qu'on ne sait plus faire autre chose.

Regarder autour de soi, êtres et choses comme si l'on était à spectacle ; s'en amuser parfois ou s'en irriter ! jouer les ronchons en singeant un c'était mieux avant aussi ridicule que faussement hargneux. Savoir simplement qu'on ne fait plus partie du scenario ; que la scène est envahie par d'autres. Et ne même plus pouvoir reconnaître combien, même si l'on estime le spectacle mauvais, insipide ou banalement répétitif, quelque chose en nous soupire de n'en être plus. Quand même il clamerait le contraire.

Déchets, ici et là ; partout ; de bouteilles de bière, souvent. Je ne sais si vivre avilit mais, assurément, exister c'est souiller.

Le défi ne me semble pas ailleurs : comment être sans en surajouter sur la violence, le mépris, la salissure ?

Le décalogue ne s'entend pas autrement parce que l'être, ici, toujours se paie d'une destruction, dégradation, d'un anéantissement ailleurs.

Je ne crois pas entendre autrement la morale : qu'au moins, ce que nos pérégrinations peuvent avoir d'empesée et parfois de vulgaire, se puisse compenser, même inéquitablement, d'horizons ouverts, d'aurores prometteuses, de lueurs réconfortantes.

Sans doute ces deux vues se répondent-elles l'une l'autre. Qui ne s'est rêvé un jour, en s'en effrayant ou s'y piquant de témérité, prendre les choses à l'envers, imaginer le monde vu de l'autre côté du miroir, inverser, comme s'y amusent les négatifs photos, les noirs et les blancs ? Sans ignorer jamais, mais en l'oubliant toujours, que nos regards n'offrent que très parcellaires perspectives, nous faisons semblant de croire à l'évidence et ne jurons que par la lumière. Que faire d'autre, au reste ?

Que nous vaudrait d'ironiquement nous effrayer subitement de ce qui nous réjouissait, d'adorer ce que nous abhorrions il y a peu encore ; de quérir goulûment ce que nous évitions soigneusement ?

Mais ceci est affaire de logique où excella Lewis Carroll ou bien encore certains récits fantastiques. Enfreindre les principes d'Aristote vaut pour les récits, pimente les légendes, intrigue nos rêves mais n'est certainement pas affaire de sens. Nous les savons fallacieux, partiaux et parcellaires mais de quoi disposons-nous d'autre pour parcourir les chemins du monde ?

Entre l'enfant, à gauche, qui assied son ennui, jambes repliées et regard accroché au vide, qui sans doute aspire à des lendemains joyeux, à quitter enfin les rives de l'enfance ou au contraire peut-être encore à y demeurer à jamais tant l'univers des grands demeure paradoxal, et cette théorie de vieillards alignée sur le banc, n'attendant plus rien mais avec patience infinie - à moins que ce ne soit aigre fatalisme - je ne repère que la ligne de partage qui, de l'enfance à la vieillesse, nous fait accroire quelque évolution que nous aimerions bien avoir été plutôt progression que détérioration, qui n'est pourtant que celle étrange, intangible et presque invisible qui suscita le regard étonné d'un Héraclite contemplant le fleuve, cette eau s'écoulant paisiblement désormais, où mouvement et inertie se contrefont réciproquement. Avec telle cruelle ironie.

Démocrite en eût ri assurément ; Héraclite pleuré. Je n'arrive pas à discerner, en cette attente, quoi prévaut : le tragique d'une indolence laissant filer sa vie comme un mauvais spectacle plutôt que d'y assumer son rôle ? ou, au contraire, les premières traces de sagesse qui consciente d'un cercle devant inéluctablement se refermer, eût renoncé à s’épuisera le maintenir ouvert, assurée qu'à la fin, pour peu qu'il y en eût une, tout et son contraire s'équivaudraient.

Que valent finalement nos certitudes qui auront moins prouvé l'irréversible qu'elles ne s'y seront lâchement habituées. Nos pas invariablement se glissent dans les traces laissées par tant d'autres avant nous, autant que celles-ci avaient eu épousé ce qui les aura précédé. Rien ne ressemble plus à un cercle qu'une ligne, s'agissant de celle du temps, surtout. A un cercle que le vertige de la spirale.

Alors, oui, ce ballon, s'élevant dans les airs dont le reflet dans l'eau salie par ces feuilles bientôt jaunies qui s'y éteignent, ce ballon qui, après tout s'élève peut-être mais descend et s'enfonce dans les tréfonds. Nos histoires, mythes et religions conjuguent le plus souvent l'ascension comme une vertu prudemment mais soigneusement conquise, et, à l'inverse, les descentes comme autant d'empesages, d'échecs ou de noirceurs vous condamnant. Les profondeurs pourtant nous fascinent plus que ne nous effrayent où nous escomptons minerais et richesses, or, diamants, pierres et énergie, quand les hauteurs n'ont que liberté à nous offrir. Pourquoi cette fascination pour ces oiseaux sachant voler ? L'air n'est pas plus libre que la terre et des cimes la perspective est sans doute belle mais si vite floue … Qui, sinon de sombres tyrans, pourrait se réjouir et enorgueillir de tout dominer ainsi ?

Ni ces vieillards qui en soupesèrent la vanité ni la gamine qui en ignore encore la délétère corrosion.

 

 

Etre à la hauteur : être capable de réaliser quelque chose, répondre aux attentes dit le dictionnaire. Voici scène universelle, certes, oui mais qui est capable, sinon parfois les mères, de se mettre à hauteur d'enfant. Et regarder le monde comme il le ferait ! pas de plongée ni de contre-plongée ; jeter seulement son regard autour de soi, simplement ; s'émerveiller de tout mais trouver décidément tout trop gigantesque pour soi.

Ces enfants qu'on nous appelle à redevenir, en qui nous voyons souvent plutôt charme de la naïveté, qu'ont-ils encore qui nous les fait regarder avec nostalgie inquiète ? Sûrement pas l'innocence que paresseusement l'on se complaît à y trouver non plus que cette pureté que je trouve toujours suspecte évoquée par certains.

La réponse est en chacun de nous …

J'aime bien cette promenade : Cours la Reine se prolongeant par le Cours Albert Ier. Ouverte par Marie de Médicis au début du XVIIe siècle, ce fut une promenade longtemps à la mode. Y marcher permet de rejoindre le pont Alexandre III et bientôt la place de la Concorde.

A l'une de ses extrémités une statue en mémoire du corps expéditionnaire russe envoyé sur le front français en 1916 - soldats russes bientôt pris à contre-pied par la paix de Brest-Litovsk ; à l'autre une statue de La Fayette au pied de laquelle souvent un SDF y cherche refuge.

L'histoire a parfois de ces ironies : La Fayette héros de la Révolution américaine mais se retirant bien vite étant tout sauf un homme de l'extrême. En ces périodes troubles d'être mitigé, au centre, vous fait perdre à tout coup. Il émigra, comme tant d'autres mais ces terres d'asile ne le furent pas : haï par la famille royale à peu près autant que par les révolutionnaires après le massacre du Champ de Mars, il répugna de se retourner contre la France et fut considéré comme un traître par les autrichiens qui l'emprisonnèrent. qui, après l'avoir suspecté, l'emprisonnèrent. Il y a bien un point commun entre ces russes et La Fayette : ils ne furent jamais à leur place au bon moment. C'est l'histoire qui les a promenés.

Sidération : tel fut le terme utilisé par les uns et les autres en février lors des début de l'offensive contre l'Ukraine. Pourquoi donc : il suffit de regarder monuments et statues. Nous n'honorons souvent que les hauts faits d'armes et les militaires.

Notre histoire est vaste oxymore.

Telle la tête inquiétante autant que pitoyable d'une étrange chimère venant s'épuiser autour des grilles.

Ovide n'est pas loin ni la métamorphose de se produire.

Elles font partie, avec les pigeons du paysage et font parfois la joie des touristes. Il suffit de si peu : quelques miettes jetées à l'encan.

On pourrait les nommer parasites au sens précis du terme puisque prennent et reçoivent sans rien donner en retour. Il fut même un temps où l'on parlait d'animaux nuisibles comme pour mieux se donner conscience apaisée de les éliminer.

Considérés au regard de l'épuisement où nous laissons le monde, ne serions-nous pas les plus nuisibles parmi les espèces vivantes ?

Ne pouvoir se lasser des lignes majestueuses de ces ailes éployées.