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Savoir écouter, savoir entendre … savoir parler

Celui-ci ne fut pas tout-à-fait homme comme les autres. Fut-il au moins le premier a avoir été interpellé ? Il se dit que non : Noé avant lui reçut message qu'il transmit comme il put! Ne fut pas pour autant entendu. Mais parce qu'il sut écouter et entendre et s'efforça comme il put, en dépit de sa bouche lourde, de transmettre, il reçut mission de parler en premier ; d'être prophète.

Moïse, bien entendu !

Curieux destin que le sien pourtant : sans cesse détourné du cours qu'on lui pensait tout tracé. la rage de Pharaon de voir les juifs croître en dépit de l'asservissement où il les avait réduits lui avait fait enjoindre les sage-femmes de tuer tous les nouveaux-nés mâles. Le refus de celles-ci et l’ingéniosité de sa mère en firent un survivant mais aussi un exilé dans sa propre maison. Élevé comme un frère dans la famille des puissants, mais fils d'esclave, il se rebelle et doit fuir. Il se fera berger, nomade par excellence, lui qui n'a pas de terre et ne peut même revenir sur les lieux de ses entraves.

Lui a des racines; elles sont même doubles comme pour lui rappeler qu'elles ne sont ni excuses ni chaînes. Il aura à choisir et chaque fois son choix se traduira par un écart, une embardée ; un détour.

Ayant fui le monde de Pharaon, il se fit berger de Jethro dont entre-temps il avait épousé l'une des filles. Faisant paître le troupeau au pied du Mont Horeb. Pouvait-il savoir que c'était là, la montagne de Dieu ? Comment savoir ? Y fut-il conduit par le hasard ou bien au contraire sa trajectoire fut-elle ourdie par les volontés célestes ? Comment savoir ? et, d'ailleurs, ceci a-t-il pour quiconque quelque importance ? Les événements extraordinaires ne sont reconnaissables que pour les esprits déjà préparés.

Que celui qui a des oreilles pour entendre entende. (Mt, 11,15)

Il entendit une voix qui l'appela et se détourna pour aller voir l'étrange vision d'où provenait cette voix : un buisson qui, quoique enflammé, ne se consumait pourtant pas. C'était bien un appel puisqu'il lui fallut bien vite baisser les yeux et détourner le regard : nul ne peut regarder de face le visage de Dieu sans aussitôt se consumer et mourir. Cela il le savait. Cette voix derechef bouscula l'existence de Moïse puisqu'elle l'enjoignit de retourner en Egypte et de libérer son peuple que Pharaon maintenait sous son joug. Il s'acquit de sa tâche, ramena son peuple aux pieds d'Horeb et y reçut la Loi et bientôt, l'accomplissement d'une lointaine promesse : une Terre. Une Terre que d'ailleurs il ne foulera pas.

Cette voix il eût pu ne pas l'entendre ou vouloir l'écouter ; elle aurait encore pu être couverte par les bêlements continus des bêtes. Connaissance, révélation, vérité comme illusion d'ailleurs, sont loin d'être comme on le croit lumière éclatante à vous éblouir mais bien au contraire bruit presque inaudible, voix à peine murmurée, quelque chose comme un soupir. L'insolite, le nouveau, l'important, paradoxalement murmure et avance, tel un chat, comme enrobé de velours.

Cirque de Paladines J'aime assez qu'écouter vienne d'ausculto signifiant à la fois prêter attention, ajouter foi, obéir mais aussi espionner d'où évidemment nous tenons l'auscultation du médecin tendant l'oreille à l'affût du moindre signe, symptôme. Indice décidément que rien ne commence dans le tohu-bohu ou le brouhaha mais bien plutôt dans le murmure.

Démocrite, on le sait, se tint bien à l'écart des Abdéritains ; Aristote marchait et l’on suppose ses disciples - ses élèves - le suivre essoufflés autant par la marche rapide du maître que par leur compréhension difficile ; Socrate aimait la compagnie des jeunes gens à qui, sans vraiment le dire, il faisait la leçon en pointant leurs trop faciles bavardages et les contradictions où ils se complaisaient de sombrer; Diogène préférait la place publique mais d'entre la renommée et la sagesse était-ce vraiment cette dernière qu'il poursuivait ?

Je ne sais - j'en doute - s'il est voie unique pour atteindre la connaissance ni attitude meilleure que d'autres. Je sais seulement que la quête de la connaissance participe au premier chef de la solidarité qu'à la fois elle trouble et conforte : de tenter de comprendre le monde, je cesse brutalement d'en être pour me trouver projeté devant, sans plus savoir où y serait ma place ni même si j'en garde seulement une. Je sais seulement qu'il n'est pas d'autre quête en l'affaire que de rétablir ce lien que la conscience a sinon rompu en tout cas distendu. In solidum, dit le latin voulant désigner un ensemble, pour le tout ; ce qui est solide étant dense, massif, toute rupture de cette solidarité revient à rendre fragile, ténu, destructible.

J'aime le philosophe parce qu'il ne se dit pas sage mais seulement ami de la sagesse autrement dit de la connaissance. Il l'aime - philein - mais l'aimer c'est invariablement en demeurer encore éloigné. J'aime la modestie - finalement pas si feinte quoique ironique - d'un Socrate proclamant que la seule chose qu'il sache c'est de ne rien savoir. J'aime la prudence incroyablement sagace d'un Montaigne se récusant sitôt qu'il y aurait leçon péremptoire à asséner.

Car, précisément, savoir c'est déjà ne plus écouter.

Les anciens savaient voir et regarder et scrutaient dans cette portion de ciel qu'ils dessinaient de leur bâton et nommaient templum le signe que les dieux leur envoyaient afin de déterminer le comportement adéquat, anticiper l'avenir, détourner une malédiction. Mais savaient-ils écouter ? Sans doute. Il n'est pas dans nos légendes comme dans nos mythes, de forêts ou même de désert où il ne convînt de s'asseoir se taire et écouter : le bruit du vent ou même le silence. Les forêts étaient assurément hantées de petits êtres, pas toujours maléfiques, qui leur semblèrent comme les gardiens des lieux, ces gnomes, ondines et sylphes, fées, elfes et autres lutins. Je vous soupçonne déjà de sourire devant la naïveté dont ceux-là firent preuve de ne parvenir point à s'extirper de tout fétichisme ; de la sottise d'autres d'en relayer encore la légende.

Bien sûr ! Mais, après tout, furent-ils plus primitifs que nous, ces hommes et ces femmes qui traquaient des signes dans le déroulé minutieux des événements, dans le découpage ourlé des feuillages et l'arôme délicatement enveloppé dans la timidité des fleurs quand nous, si fiers de notre roide raison, y dénichons déterminations, causalités, forces et lois ? De beaux noms pour d'antiques manœuvres.

Nous conservons le même syndrome de l'iceberg à ainsi toujours supputer que sous l'apparence se cache bien l'essentiel, en tout cas le plus important. Nous ne parvînmes jamais à nous affirmer et définir qu'en dénigrant ce qui n'était pas nous, animaux, plantes, terres ou rochers et crûmes orgueilleusement avoir réglé l'affaire en nous proclamant fils de dieu, ou êtres de raison.

Mais qui peut sans sournoise malice prétendre qu'il soit si aisé d'être un animal, une fleur, une paroi rocheuse à faire frémir de noirceur ? La terre et les montagnes parlent pourtant dont on peut raconter l'histoire … une histoire qui ne commence pas avec nous, mais bien avant par ces grands cataclysmes mal définis encore qui provoquèrent de grandes extinctions, par ces gigantesques éruptions volcaniques dont bien plus tard les roches s'offriront à nos antiques églises ou fourniront pierres à quoi l'on prêtera bien des pouvoirs miraculeux. Ce début fracassant qu'on imagine comme une gigantesque et troublante explosion dont nous restons séparés par un mur qu'aimablement l'on nomma de Planck, un mur derrière lequel tout est étrange et bien peu pensable, que nous pouvons toujours rêver, ou extrapoler, imaginer des cordes ou du quantique, mais qui nous échappe et où nos lois les plus éprouvées se sont effritées comme poison cynique. Il y a ce grand récit qu'évoquait M Serres à côté de quoi notre misérable histoire - qui atteint péniblement les 5000 ans - fait figure de doux babil de nourrisson. Et même pour cette dernière, cet étrange étagement de trois temporalités dont l'agitation à quoi nous aimons la résumer n'est que piètre éclipse occultant mal des mouvements si lents qu'ils en miment l'inertie.

La terre parle ; le vent chante ; les herbes comme par ondoiement dansent et je crois bien que les blés, avec sage application, peignent les ciels.

Tout le monde le connaissait dans le village. Il faut dire que sa longue barbe blanche l'eût distingué d'entre mille. Etait-il respecté ? sans doute non mais craint assurément ! Un bon chrétien se fût-il contenté des bois comme unique masure et de la compagnie des lièvres qui, par ailleurs, s'enfuyaient à sa seule odeur ? On n'a jamais beaucoup aimé ceux qui se reclurent à l'écart ou contrefaisaient les nomades. Parlait-il ? Nul n'en pouvait être certain ! assurément il comprenait les mots qu'on lui adressait aux rares occasions où lui parler était possible ou nécessaire, mais de là à ce qu'il répondît ! quelques grognements sourds, des cris ou des borborygmes formaient tout son langage. Oh, il n'était pas bien méchant - on l'a même vu ramener à l'orée du village un enfant qui s'était égaré dans la forêt. Jamais l'enfant n'avait eu peur : il avait donc du sentiment si rustaud qu'il parût ! Pour autant jamais il ne chercha la compagnie de quiconque, ni plus homme que femme. Un loup solitaire dirait-on aujourd'hui. Ce n'est pas qu'il détestât les autres, je crois bien qu'il en avait peur ; mais pourquoi donc les fréquenter plus que nécessaire, il n'avait rien à leur dire ! Et c'était si rarement nécessaire. Eût-il été femme qu'on l'eût eu déjà brûlé comme sorcière. Mais là, flottant dans sa sombre houppelande mitée, comme esquif frêle au milieu d'une tempête … sans doute un mage, un enchanteur, un envoyé des dieux … comment savoir ?

Son nom ? nul ne le connaissait. En avait-il seulement un ? On l'appelait le vieux ainsi qu'on avait appelé la vieille cette sombre mégère qu'on trouva un matin sur le bord du chemin qui entoure la forêt, gisant, battue à mort par plus brigandage que le sien. On ne lui connaissait qu'un seul talent - la pêche - où il excellait quoiqu'il n'eût sans doute, pas dû s'en réserver le mérite. Il était de ces hommes, bourrus à loisir, qui cachait soigneusement leur secret car il les faisait survivre. Celui-ci connaissait tous les recoins où prospéraient les champignons qu'aucun villageois ne trouverait jamais ou bien qu'il aurait pu si l'autre ne l'avait déjà devancé. Le secret, il ne pouvait le tenir de l'expérience ; de son propre père qui le tenait de la génération précédente ? et puis il dut bien y avoir, en cette curieuse époque qu'on déclara dogmatiquement obscurantiste où pourtant lueurs, flammèches et feux flamboyaient comme jamais, y avoir eu une sylphe, un gnome qui lui en confiât le secret ou que l'aïeul sût à la fois écouter et faire parler. Le vieux, quant à lui, jamais ne revenait bredouille de la pêche mais tenait toujours, de ses deux bras tendus, brochets, truites ou sandres de taille plus que respectable. La gloire ne lui revenait sans doute pas : il était toujours accompagné de deux loutres, l'une se faufilant à sa gauche, l'autre nageant à sa droite, qui, ou bien pêchaient à sa place, ou bien lui indiquaient où jeter son dévolu.

Les loutres lui parlaient …

Spinoza y voit l'une des sources majeures de nos superstitions ; Comte l'état primitif du développement de l'esprit humain. Ce fétichisme consistant à prêter vie aux objets inertes ou forme d'intelligence aux formes rudimentaires de vie ou ce, qu'avec cette docte affectation que les sciences dites humaines mettent à renommer tout avec once de grec quand elles ne peuvent faire autrement, ou baragouinage anglomorphe pour faire moderne, on déclarerait aujourd'hui anthropocentrisme !

Pourtant ! Et si la nature parlait et chantait ? Et si elle était habitée, comme nos rêves, après tout, d'étranges créatures pas forcément maléfiques, elles aussi gardiennes des lieux, des eaux, des arbres et des terres fertiles ?

Qui dira jamais ce qui se passe sitôt le soleil passé sous l'horizon ? qui dira la fougue de tous ces animaux, terrés le jour, écrasés qu'il sont par la chaleur, le soleil trop éclatant et la peur que leur inspirent ces étranges animaux bipèdes que nous sommes ? Qui dira jamais l'entretien que tous ensemble, chacun sur la part de territoire que le destin lui a confié, réalisent, préparant sans que jamais ceci ne se voie ou entende un avenir que sans eux nous aurions déjà saccagé ? Qui peut dire que de petits êtres ne les y aideraient pas ? Qui peut dire sans se moquer qu'une chose n'est qu'une chose ? qu'un animal n'est qu'un sous-être ?

Je rêve bien sûr mais nous souffrons de tant de cauchemars de ne savoir plus écouter le monde qu'il m'arrive de songer que mes rêves valent bien leurs ratiocinations.

La légende d'Orphée me revient à l'esprit comme une leçon oubliée. Lui dont on dit que les arbres se penchaient sur son passage pour mieux marquer leur révérence.

Qui se souvient qu'Orphée las de tant de bruit s'en alla apprendre dans ses longs périples autour de la Méditerranée, combien, des cris, clameurs et hurlements des Sibylles, Pythie et Bacchantes, il y avait sans doute leçon à tirer. Ensemble elles lui apprirent ainsi que leurs voix s'imprègnent du vent ; leurs hurlements du murmure de la mer au moins autant que du sang coulant en leurs veines ; leurs chants si étranges des battements d'ailes des oiseaux au moins autant que du désir de vie et que tout ensemble, le grand fracas de l'univers, les hurlements des hommes sur les champs de bataille et les soupirs énamourés qu'on n'avoue pas, forment chorus sitôt que notre corps tout entier, peau, muscle et pas seulement tympan, cœur, sueurs et larmes s'accordent à vibrer ainsi à l'écoute du monde. Et ainsi, tout-à-coup, les gémissements de la brise, les cris perçants de la foudre claquant le ciel ou les cascades vibrionnantes de fraicheur, Orphée non seulement les perçut enfin mais il devint, avec eux, le bruit de fond du monde.

Il avait franchi ce pas étrange pour que, de distance d'entre lui et le monde, il n'y ait plus ; en tout cas plus d'irrémédiable.

Il ne lui manqua plus que de rencontrer Mnémosyne, Μνημοσύνη, la déesse Mémoire fille d'Ouranos et de Gaïa, qui, en quelque sorte mit de l'ordre dans toute cette symphonie car, elle savait distinguer d'entre le bruit de fond du monde, permanent et grave ; celui souvent agité, bientôt violent, mais intermittent des vivants ; celui enfin, plus éphémères encore, des hommes assemblés en leur cité, en quête éperdue de sens.

Et soudain la mélodie se joignit au rythme ; le bruit avait cessé. Advint la musique !

In principio non erat Verbum sed Musica

Préambule

Doutes et ambitions

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter

savoir parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

Trois histoires pour commencer

Révélation

histoires d'insoumises

histoires d'abandons

 

élégance   :

l'éloge de la gratuité  

élégance de l'image

images de l'élégance

élégance de la légèreté

pesanteur de la vulgarité

légèreté de l'élégance

de deo : in solido

l'impensable silence

 

bienveillance

humanisme: une affaire d'élégance

du pardon

doute
donner recevoir
ironie
justesse

diableries

diableries suite

qu'est-ce ceci : haïr ?

grâce    
cloisons à éviter
 
goûter le silence

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

chercher

liberté : obéir ou servir

écoute  

philosopher : un geste moral

loi

empathie  

prudence plutôt que scepticisme

 

sexualité

sagesse

 

 
entre silence et parole
    devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

entre intensité et prudence

moi

foi ou crédulité

mensonge
être source ?
partage
fissure
témoigner
refuser la déchéance
vicariat