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Savoir parler

Par où faut-il donc commencer? — Si tu le veux bien, je te dirai qu'il faut commencer par comprendre le sens des mots. — Ainsi donc aujourd'hui je ne comprends pas le sens des mots? — Tu ne les comprends pas. — (…) Autre chose est l'usage autre chose, l'intelligence qu'on en a.
Epictete, Entretiens, II, 14

Curieux passage que celui-ci ! Il faut dire que jamais je n'aurais cru trouver chez un tel auteur passage qui conforte mes agacements devant l'usage paresseux, vaniteux et snob à souhait de la langue tel que je le constatai autour de moi. Passage d'autant plus étrange qu’Épictète, très vite, constate l'extrême difficulté pour son visiteur de se remettre en question et surtout les bases élémentaires de ses connaissances - point de départ pourtant de toute saine philosophie à quelque secte qu'elle s'affilie.

Le livre de l'Univers est écrit en langage mathématique. On connaît la formule, prêtée à Galilée, qui traduit la révolution incroyable qui se déroula à partir de lui, qu'achèvera Leibniz et Newton, où la mathématique - alors principalement constituée de géométrie et arithmétique - ne se réduit plus seulement à un simple outil de représentation, ne sont plus de simples représentations mais des abstractions pures, riches de significations qui feront dire à Bachelard que le réel scientifique est bien plus riche et dense que la réalité empirique.

Inutile ici de revenir sur cette révolution : elle a ses forces - le déploiement fantastique des sciences à partir du XVIIe - elle a aussi ses faiblesses - l'éloignement désormais sidéral entre les connaissances scientifiques et ce qu'en appréhende le sens commun. Elle illustre en tout cas combien la mathématique, outre la science fondamentale qu'elle est, est aussi un langage, tout particulièrement approprié puisqu'à l'inverse du langage vernaculaire, ne s'y trouve et sans ambiguïté, que ce qu'on y aura préalablement mis. Eloge du vice à la vertu : voici Épictète conforté dans l'idée, qu'il avance ici, de l'importance radicale, je veux dire à la racine, de la maîtrise de la langue sans laquelle nulle recherche mais non plus nulle découverte ; nulle hypothèse non plus que nulle sagesse n'est possible.

La délicate question du langage ! je ne m'étonne pas que les sciences humaines connussent un véritable rebond et, sans doute, leur réelle date de naissance, avec la linguistique de Ferdinand de Saussure, au point qu'après lui, et pour près d'un demi-siècle, on ne vit plus dans la société, l'économie, les sociétés premières et jusqu'en notre inconscient, que structures dont il faudrait appréhender l’architectonique bien plus que l'histoire. Au point qu'après lui, on truffa de mathématiques tous ces discours qui y gagnèrent crurent-ils en scientificité ; pas nécessairement en humanité. Comme si les sciences humaines avaient eu à se laver de leur souillure originelle …

Délicate question que celle-ci - que les anciens entrevirent également d'où l'insistance prise par le serment … et l'approche, tout à fait singulière, du premier verset de l’Évangile de Jean : Au commencement était le Verbe - Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος.

La parole n'est pas exactement le langage et nous ne sommes pas ici pour recevoir leçon de linguistique. Mais trois choses furent évidentes pour les anciens :

Est-il outrage plus prononcé que la désinvolture de la parole ? Ἐν ἀρχῇ - au commencement, au principe, au commandement : celui ou ce qui au début, marche devant, règle toute la suite ; autant dire que si le ver est dans le fruit, tout le panier est à jeter ! On peut, évidemment, faire lecture chrétienne de cette assimilation du divin au logos ; on peut en faire une lecture historique tant l'influence grecque des Septante est ici flagrante ; on peut, surtout en faire ici lecture plus triviale.

Il est de grands bavards qui s'affolent à la perspective d'un silence et comblent moins leur vacuité d'ailleurs qu'ils n'étanchent leur angoisse. Il est tout autant de grands taiseux, contemplatifs. Mais tous, à un moment ou à un autre, quoiqu'ils aient vu ou cru comprendre, chercheront à transmettre, à confier, fût ce à mots comptés. Je ne demande à personne de croire ce que je crois : ceci ne servirait à rien - à quoi bon vouloir convaincre ? - j'aimerais en revanche qu'au moins on ait à l'égard de la langue la piété qui s'impose ; de la parole, la prudence qu'appelle la décence. Rien ne m'aura jamais paru aussi vulgaire que cette toquade de manager d'ainsi dénommer échange ce qu'autrefois l'on appelait simplement dialogue, comme si l'on avait oublié que l'humanité commençait avec celui-ci ou que ces gougnafiers pas même honteux, encore moins scrupuleux, parvinssent à pénible hauteur de vue d'épicier de vouloir désormais introduire le commerce en tout et partout.

Parler à l'autre c'est le reconnaître : voir en lui quelqu'un disposant des mêmes facultés susceptibles de lui faire entendre, comprendre, éventuellement critiquer. C'est en réalité manière de le créer ; d'en faire un visage - au sens où l'entendait Lévinas. Comment ne pas voir qu'en mettant le logos au commencement, au fondement, en réalité au commandement, Jean signalait tout simplement l'essence de la relation. Fut-ce un dialogue ? Peut-être pas tout de suite - rien, jamais ne peut se mettre à hauteur du principe, pas même en mathématiques - mais manifestement quand, après l'épisode du Veau d'Or, Moïse parvient à convaincre Dieu de ne pas en finir une fois pour toute avec l'homme, oui il y a dialogue ! - oui, il y a même alliance, une alliance que rien ne nécessitait comme si elle était acte de miséricorde, gratuit en tout cas. Le Décalogue et toutes les prescriptions qui suivront participent tous de ce principe unique où il est moins question d'ordre que d'ordonnancement. Prescrire de ne pas être violent, c'était sans doute reconnaître que l'homme le fût ; c'était surtout souligner qu'il pourrait ne plus l'être - ce qui est formidable message d'espérance.

Une des originalités du judaïsme puis du christianisme tient peut-être moins dans le monothéisme que dans l"idée d'un Créateur qui parle, se révèle et offre une Alliance à sa création. C'est nous créer que de nous parler. Ce qu'énoncent les premiers versets de la Genèse - la traduction des Septante utilise le même Ἐν ἀρχῇ  pour בראשית - est moins ordre qu'ordonnancement. C'est assurément toujours le divin qui prend l'initiative du dialogue - il serait inutile ainsi que le firent les supposés païens de s'exercer à extase pour y parvenir - en revanche il est loisible à l'homme de ne pas entendre, de ne pas écouter - i.e. de ne pas obéir - autant qu'au principe de réitérer inlassablement ses mitzvot. J'aime - autant que m'en désole - ce dialogue de sourd. Parce qu'il dit ce que tout enseignant sait d'expérience : il ne suffit pas de parler pour être entendu ; il n'est pas de parole engageant l'être, plutôt que les seules choses, ne méritant d'être répétée encore et encore.

Plutôt se taire que médire

Il est ainsi des lieux étranges qui fonctionnent comme des sas, des passages ou des portiques ! Ne nous y trompons pas : ils ne mènent pas nécessairement de l'ombre à la lumière. Cela seul Platon le crut, lui qui nous mit dans sa caverne. Parfois c'est tout le contraire qui se produit et ces lieux nous plongent de la lumière à l'ombre.

La Porte des Fées - c'est bien ainsi que l'on nomme cet amas pierreux non loin du Malzieu en Lozère, quelques mètres après avoir quitté chapelle romane et cimetière de St Pierre-le-Vieux. Deux légendes courent à son propos.

L'une est classique puisqu'elle promet à toute jeune fille qui se trouverait sous la porte au premier coup de minuit de la nuit de Pâques, descendrait rapidement jusqu'au fond des gorges de la Truyère, une bougie allumée dans une main, un récipient dans l’autre et parviendrait à remonter sous la porte avant le douzième coup, lui promettrait, dis-je qu'elle serait mariée dans l'année. Voici bien un rite de passage engageant classiquement fécondité et féminité tout juste singulier parce que ce portique ne débouche sur rien, juste une impressionnante paroi rocheuse en bas de quoi, effectivement, se faufile la Truyère. Il n'est sans doute pas de rite sans épreuve, mais celle-ci semble bien plus irréalisable que celles de nos contes même pour fringante et résolue jeune fille. La légende d'ailleurs ne dit pas si l'une quelconque y parvînt jamais.

La seconde justifie la référence aux fées puisqu'elle relate l'aventure malencontreuse d'un jeune berger qui, ayant perdu une de ses brebis, surprit en la cherchant, trois fées se baignant dans la Truyère. Les fées, on le sait, ne sont pas toute méchantes : celles-ci, surprises, promirent au berger à la fois richesse et amours accomplies pour peu qu'il se gardât d'éventer leur secret. Ce qu'il promit mais omit de faire puisque sitôt de retour au Malzieu, il s'empressa de raconter à la ronde la merveilleuse rencontre qu'il avait faite. Fut ce par vantardise ou par crainte, fut-ce tout simplement en le confiant aux autres villageois pour donner quelque consistance à cette histoire qui autrement ressemblait par trop à un rêve, délicieux mais un rêve nonobstant ? Toujours est-il qu'évidemment personne ne le crut, qu'on finit par le prendre pour un sot ou un fou et que pour récompense, en lieu et place des amours promises et de la fortune escomptée, il mourut pauvre et seul. Désespérément triste et contrit. Je ne sais si, comme le dit l'adage, toute vérité n'est pas toujours bonne à dire, en tout cas celui-ci parla ; ne sut pas se taire et le paya cher.

Voici toute l'ambivalence de la parole qui file aussi rapidement que plume au vent, de bénédiction à malédiction.

Mal parler ou parler du mal ?

βλασφημία : au sens général revient à diffamer, médire, calomnie ; au sens religieux c'est parole qui ne doit pas être prononcée lors d'un rite religieux ou de mauvaise augure, par extension,on y considérera parole impie, offensante à l'encontre des dieux. On sait que dans la tradition hébraïque, depuis le Décalogue, prononcer en vain le nom de Dieu fait partie du même interdit que celui de l’idolâtrie. C'est bien la vacuité ici qui est en jeu - et la vanité qui l'accompagne - laquelle fonctionne comme le contraire même du serment. Ici, brutalement, au mot ne correspond rien et ceci apparaît d'autant plus injurieux qu'il s'agit de la personne de Dieu, de l’Être au sens plein du terme. C'est l'engagement qui vient à faire défaut dans le juron avant même le fait de médire ou de calomnier - comme s'il se pouvait être paroles en l'air s'agissant du divin. D'où, dans le Sermon sur la Montagne, l'insistance à ne pas jurer et se contenter d'un oui ou d'un nom - tout le reste venant du Malin. (Mt 5,37)

Les mots ont une puissance créatrice : parler, dit le Talmud en substance, c'est emprunter aux mots la puissance créatrice que Dieu y a dès la Genèse insufflé ; la moindre réponse que nous lui devions qu'il attend de nous c'est que nous nous y engagions comme lui s'est engagé - et n'a eu de cesse depuis - en prononçant la Parole originaire. Ce pourquoi l'étude de la Torah doit être publique et à haute et intelligible voix : elle vaut serment.

Le malheureux berger fit une promesse qu'il fut incapable de tenir : sa faute ne consista pas ici à avoir menti - il avait dit le vrai - mais à se parjurer. Dès lors, évidée de toute intention, de tout engagement, ses mots perdirent leur sens, sonnèrent creux et furent impuissants à produire d'autre conséquence que l'isolement et le malheur. Étymologiquement l'antonyme du blasphème est l'euphémisme que la rhétorique voit plutôt comme le contraire de l'hyperbole. Il n'est pas faux que l'euphémisme adoucit l’expression d'une réalité désagréable quand l'hyperbole en est la systématique exagération. Le grec craignait trop l'hubris - ὕϐρις - mais ce que l’hébreu fuit ce n'est pas l'outrance mais le mal, c’est-à-dire tout ce qui s'opposerait au divin ou bien en sous-estimerait la bonté.

Alors oui, vaut mieux savoir parler et plutôt se taire que de parler pour ne rien dire ou; pire encore, médire.

Ne parler que si l'on a chance d'être entendu

Thalès, comme tous ceux de l'école de Milet fut plutôt un matérialiste - au sens où nous l'entendons aujourd'hui - et, sa légende au moins, en fait un précurseur de la méthode scientifique. Lui, effectivement, ne regardait pas les cieux en quête d'une quelconque divinité mais se contentait de regarder et de tâcher de comprendre.

De caractère plutôt difficile, il goûtait peu la compagnie des hommes à l'instar d'un Démocrite. Refusa toujours de se marier - ce lui fut longtemps trop tôt puis opportunément … trop tard - refusa d'avoir des enfants - il déclara les aimer trop pour cela - se refusa à courir les honneurs ou la fortune. Agacé qu'on lui reprochât sempiternellement sa pauvreté et en déduisît l'inutilité de la philosophie, il sut une année s'enrichir considérablement en prévoyant dès l'hiver, grâce à ses observations, une très bonne récolte d'olives et en louant à vil prix tous les pressoirs de la région. Belle chiquenaude au sens commun que cette ironie flamboyante illustrant l'utilisation toujours possible des découvertes et du savoir et la suprême indifférence que l'on peut réserver aux appétits du monde, à la fortune, à la richesse.

Tous s'accordent à le classer parmi les Sept Sages - il en est même le premier car, contrairement aux autres, Solon notamment, il ne dut pas sa gloire seulement à ses réflexions et interventions en morale et politique, mais s'enquit aussi et surtout de physique. Ce qui en fait le premier parmi les sept, sera d'avoir poussé le savoir, via observation et théorie, au-delà de toute utilité pratique.

Il n'écrivit pas ou, dit-on, ne resta rien des livres qu'il aurait écrits - tous traitant de physique ou d'astronomie, peut-être deux selon certains, l’un sur les solstices, l'autre sur l'équinoxe, se refusant en tout cas à traiter d'autres sujets qui fussent incompréhensibles.

Signe de sagesse en tout cas que de ne vouloir franchir limites impossibles et de reconnaître que sans doute, la raison humaine connaît des freins qu'il serait vain de vouloir faire sauter. Les risques sont trop grands, l'histoire le montrera et Kant le théorisera, sitôt que la raison s'aventure vers des continents inaccessibles. C'est assurément sagesse que de se taire quand on ne sait pas.

Il est, en tout cas de cette génération pour qui la parole était encore l'essentiel de la transmission quand l'écrit ne serait déjà que de la pensée décrépite, rassise ; morte. Que la parole est engagement en elle-même et qu'il est inutile de juger - elle est à soi déjà serment.

Nous connaissons tous au moins deux anecdotes le concernant. Celle d'abord rapportée par Platon, d"un Thalès tout occupé à regarder les astres, tombant dans un puits, encourant la moquerie d'une belle servante de Thrace - Diogène Laërce en fait une vieille femme qui, l'entendant se lamenter lui aurait dit : Eh bien Thalès, tu n'es pas capable de voir où tu mets les pieds et tu prétends connaître les choses du ciel

Belle histoire, belle légende sans doute, qui accompagne la naissance de l'esprit scientifique et en réalité de toute pensée, philosophique au premier chef - sarcasme que l'on retrouve jusque dans la raillerie initiale du Par delà le Bien et le Mal de Nietzsche ! Mais derrière la misérable plainte du philosophe se lamentant de n'être pas compris ou, à l'inverse, du mépris toujours douteux de l'élite se réservant le privilège de la connaissance à l'égard du vulgaire, du vulgum pecus, il y a bien autre chose d'à la fois plus grave et prometteur. Prometteur, parce qu'en tombant dans son puits, il vit en plein jour ce que nul n'avait jamais vu ainsi : les parois du puits avaient effacé la clarté du soleil permettant aux constellations de se laisser entrapercevoir. J'aime cette histoire autant que cette inversion : elles suggèrent, pont-aux-ânes de la philosophie mais de tout savoir, que les choses ne sont que rarement ce qu'elles apparaissent et ne se donnent d'ailleurs que très involontairement à voir. Point de jeune fille émergeant nue de la fontaine ou du puits ; point de jeune fille, point de vérité … mais ceci nous le savions déjà. Surtout révèlent combien il faut inverser toutes nos perspectives et tenter de se mettre à la place des choses ; à la place de la Terre contemplant cette gigantesque masse noire et silencieuse qui fit tant peur à Pascal.

Première raison peut-être quand on approche du savoir pour mesurer ses paroles au plus juste ; et quand on regarde … pour se taire.

Seconde anecdote concernant Thalès : sa présence en Egypte devant les pyramides et son ingéniosité à mesurer leur hauteur en se jouant des ombres : il attendit que son ombre fût égale à sa taille pour mesurer l'ombre de la pyramide et en déduire qu'il en fût de même pour lui que pour elle. Il venait de sous-entendre la proportionnalité.

Belle rigueur mais on comprend bien que la manière dont cette information nous est parvenue contribue elle-même à la légende. Oui, c'est vrai, il tombe dans le puits mais voit à cette occasion ce que nul ne pouvait ainsi voir en plein jour. Oui, c'est vrai il mesure la hauteur de la pyramide à l'aide de l'ombre qu'elle projette mais les choses ne se sont sans doute pas passées ainsi qu'on nous le raconte : la version de Plutarque n'est pas tout-à-fait la même que celle de Diogène Laërce ou de Pline … Nous avons besoin d'histoires et les légendes sont précisément ce qui demeure et que nous avons à lire.

Qu'y-a-t-il de l'autre côté ? du miroir ou de la porte des fées ? mais surtout que voit-on si l'on se place de l'autre côté ? Comme ici où l'on voit la chapelle St Pierre de l'autre face des gorges ? Que nous passions notre curiosité à scruter ce que nous ne voyons ni ne comprenons, voici tout le sel de la connaissance et l'instabilité de la posture humaine fondée ! Qu'il nous arrive parfois de voir ce que nous n'aurions pas du voir, sans doute ! et c'est bien ce qui arriva à notre malencontreux berger.

Mais pourquoi donc cherchons-nous avec tant d'obstination à nous mettre à la place de l'objet ? à deviner ce que l'objet verrait ? comment il nous voit ? Cette inversion n'est pas anodine ni d'ailleurs rare. Il ne fallut pas longtemps pour que l'on réalise que ce que nous percevions ne l'était que d'un point de vue, celui où nous étions placés et qu'élaborer un savoir total impliquerait d'occuper toutes les places possibles, en surface comme en profondeur, de la sphère de l'univers. Ichnographie impossible, seule accessible au divin. Le point de vue absolu, celui pris de l'autre côté revient à imaginer le monde nous regardant. Il n'est pas de contrées en France, ni sans doute ailleurs, où l'on ne raconte histoires insensées de puits, de caverne, de montagne ; d'où et où l'on verrait des choses, des êtres et des événements exceptionnels, maléfiques souvent, parfois non. Celle-ci notamment racontée par M Serres : un puits au fond duquel se terrait un monstre si abominable que, de seulement l'entrapercevoir, vous terrassait définitivement. A en deviner les contours difformes et flasques, quelque chose comme le souvenir d'une Gorgone remontait en mémoire … et vous faisait fuir ou le devrait faute d'y périr. Rémanences fétides, cris et hurlements ressemblant tantôt à de sourds grognements, tantôt à des feulements de bête traquée, sans compter les inquiétantes lumières se grisant alternativement de rouge puis de jaune puis leur mélange orange mais soufré prêtant inquiétante vie aux silhouettes devinées en contre-bas, oui, voici ce qui s'offrait à qui, de curiosité, se piquait d'enjamber la margelle ne serait ce que du regard. Le diable assurément. Il arriva qu'un jour, un jeune homme plus curieux que d'autres, peut-être simplement moins craintif, ou bien peut-être seulement empressé de prouver à sa promise sa virile témérité pour la mieux rassurer des années à venir, s'enquit non sans habileté et ingéniosité à prendre la bête à son propre jeu. Sous le treuil, à la place du seau, il plaça un miroir, tourna la glace vers le fond du puits. … Le monstre se vit et ne s'en remit pas. Le maléfice s'inversa. Est-ce pour cette raison que l'on appelle ce puits du Mirail, c'est-à-dire du miroir ?

Ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face. Non plus que Dieu, sans être foudroyé, on l'a vu. Se pourrait-il qu'il en allât de même pour le diable ?

Nous revoici au chevet de cet étrange renversement qui me semble décidément être à la croisée de cet étonnant carrefour menant aux silence ou parole ; savoir ou foi. Renversement qui ne nous fait ne pas nous contenter de notre exclusif point de vue mais vouloir comprendre celui du monde, comme s'il était lui aussi un sujet ou bien nous-mêmes des sortes d'objets ; qui fait aussi se démarrer la pensée et il y a bien longtemps la philosophie en redoublant la question que sais-je par cette autre, décisive, que vaut donc ce que je sais, ce que je crois savoir ?

Je viens de le comprendre en découvrant ce à quoi je n'avais pas pris garde autrefois : parole dérive bien de parabole - rapprochement, comparaison. A tout prendre le langage des sciences n'est peut-être pas si éloigné de celui de la métaphysique. Le Christ parle en paraboles, lisons bien Mt 13,13-15, cet écart qui semble d'abord cacher le propos oblige le récipiendaire à faire un effort, à s'engager donc, en interprétant et en faisant sienne la parole. Voici règle de communication que j'aurais presque scrupule à rappeler : qui parle doit tenir compte de son destinataire et ajuster son propos à ses capacités de compréhension et, surtout, parce que c'est en ceci que l'œuvre s'opère, lui laisser faire une partie du travail de décryptage et d'appropriation. Platon avait raison : la pensée est un dialogue - intérieur ou non - c'est-à-dire tout le contraire de cet échange à quoi l'on voudrait le réduire.

 

 

Ce n'est pas tout de parler à bon escient - combien n'avons nous pas entendu nos maîtres nous enjoindre de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler - encore faut-il le faire avec justesse ; authenticité. Mais qu'est-ce à dire ?

 

Préambule

Doutes et ambitions

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter

savoir parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

Trois histoires pour commencer

Révélation

histoires d'insoumises

histoires d'abandons

 

élégance   :

l'éloge de la gratuité  

élégance de l'image

images de l'élégance

élégance de la légèreté

pesanteur de la vulgarité

légèreté de l'élégance

de deo : in solido

l'impensable silence

 

bienveillance

humanisme: une affaire d'élégance

du pardon

doute
donner recevoir
ironie
justesse

diableries

diableries suite

qu'est-ce ceci : haïr ?

grâce    
cloisons à éviter
 
goûter le silence

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

chercher

liberté : obéir ou servir

écoute  

philosopher : un geste moral

loi

empathie  

prudence plutôt que scepticisme

 

sexualité

sagesse

 

 
entre silence et parole
    devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

entre intensité et prudence

moi

foi ou crédulité

mensonge
être source ?
partage
fissure
témoigner
refuser la déchéance
vicariat

 

 


Galilée, L'essayeur, 1623

La véritable référence étant celle-ci, plus précise que le condensé qu'on en fit

La philosophie est écrite dans ce livre gigantesque qui est continuellement ouvert à nos yeux (je parle de l'Univers), mais on ne peut le comprendre si d'abord on n'apprend pas à comprendre la langue et à connaître les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langage mathématique, et les caractères sont des triangles, des cercles, et d'autres figures géométriques, sans lesquelles il est impossible d'y comprendre un mot.

 

G Agamben Le sacrement du langage, p 68

Ce que sanctionne la malédiction, c'est la disparition de la correspondance entre les mots et les choses qui est en jeu dans le serment. Si l'on rompt le lien qui unit le langage et le monde, le nom de Dieu qui exprimait et garantissait cette connexion bien-disante, devient le nom de la malédiction, c'est-à-dire d'un mot qui a brisé sa relation véridique avec les chos