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Chercher

Assurément la recherche participe à la fois des trois catégories ; j'ai néanmoins tentation à la classer dans la troisième parce qu'elle engage un processus à jamais (re)commencé qui nous concerne au moins autant que notre rapport à l'autre et au monde.

Que cherche-t-on d'ailleurs sinon ce que l'on désire et tend à acquérir, ce que l'on a égaré. La recherche est affaire de méthode, donc de chemin, Descartes l'a dit et répété, de ces chemins qu'il eût désirés bien rectilignes comme on n'en trouve nulle part en quelque forêt ou campagne que ce soit. Elle est même, pour certains enseignants, un titre qui leur fait gonfler la poitrine d'un orgueil qui ne parvient pas à se départir d'un mépris (pas toujours) discret pour tous ceux qui n'en eussent pas été jugés dignes. Ceux-là n'ont plus de problèmes mais seulement des problématiques ; or, les poser droit devant soi leur fait accroire que toute méthode est reproductible à l'infini, qu'importent objet ou circonstances. Mais ils ne parlent qu'en symboles mathématiques et n'envisagent que la quantité, la mesure ; le répétitif. Rien ne les a prédestinés à entendre la différence, l'insolite, l'incommensurable. Ni non plus à écouter la langue que superbement ils négligent. Enfermés dans leurs laboratoires et la production de communications et articles convenus - oriflamme de leur prestance - reclus dans un impressionnant quant-à-soi, ils en viennent à prendre le marteau pour l'enclume, et le sentier pour la clairière.

Et pourtant !

Comment ne pas entendre dans circa, cet alentour, ces allers et retours qu’invariablement nous esquissons de chercher mais de ne savoir la direction à prendre parce que, finalement, elles semblent toutes se valoir, toutes se ressembler. Irais-je à gauche mais ne risqué-je point de refroidir comme disent en leurs jeux les enfants ? Irais-je à droite mais avec quelle probabilité de me perdre ? C'est qu'en l'affaire ce n'est pas seulement l'objet de ma quête que je risque mais moi-même, de m'égarer, de perdre tout repère. Ainsi le contraire de trouver n'est pas chercher mais bel et bien perdre. Se perdre.

Perdo : détruire, ruiner, anéantir comme si j'étais perdu de n'avoir pas trouvé.

Il faudrait pouvoir raconter un jour le dialogue impossible entre la ligne droite et la courbe, le rectiligne et l'orbe. Qui hante nos histoires comme nos théories ; nos mythes comme nos cosmogonies. D'entre le temps linéaire que nous croyons avoir inventé avec le créationnisme et le temps cyclique, si fidèlement calqué sur les graves répétitions du monde ; d'entre le cours des ruisseaux, fleuves et autres rivières et les absurdes frontières que nous avons cru pouvoir tracer à main levée - où, jamais a-t-on vu dans la nature ligne droite ? Seules nos armes, nos flèches, épées et canons sont raides au point qu'il m'arrive de suspecter que la droiture, si prisée ailleurs, serait tout simplement signe de mort. De raison en tout cas, face aux ambivalences des sens, des atermoiements de nos émotions, du tâtonnement de nos intuitions.

N'aurais-je crainte qu'on ne me taxât de quelque turpitude vulgaire, je céderais volontiers à la tentation de considérer dans l'orbe ce qui de féminin et de vie y gît ; dans la raideur et roideur de la ligne ce qui de virilement mortifère s'y cache.

La chose est de bon sens - qu'il proclama vertu la mieux partagée du monde - elle n'est pas juste pour autant. Oui, évidemment, plutôt que d'incessamment revenir en arrière, esquisser une direction avant de l'abandonner aussitôt, par crainte autant qu'indécision, oui, mieux vaut lorsqu'on est perdu dans une forêt, marcher tout droit et s'y tenir … on finira bien par en sortir. Judicieuse application du doute : rejeter tout ce qui est incertain, s'en tenir au seul roc initial. Soit !

Mais comment être assuré de toujours marcher droit ? Il y faudrait boussole ; un repère donc. Or, c'est précisément de repère dont on manque lorsqu'on est perdu ! J'en connais qui s'y perdirent ! Mais qui d'un même tenant, sauvèrent …

Qui plus est : d'où diantre Descartes tint-il que la forêt ne fût pas infinie et qu'il y eût d'elle un extérieur par où s'échapper ?

La mâle assurance de qui marche droit se justifie par une omission de taille et une légère mais indéniable malhonnêteté. La méthode s'appuie sur un double principe : que le monde soit intelligible et que la raison fût un bon outil pour l'appréhender. Il n'est pas de pensée qui ne soit axiomatique. Que cette formule initiale s'appelât axiome, postulat ou principe, qu'importe ! D'aucuns la nommèrent יהוה : je ne suis pas certain d'y voir différence. Nous avons - cruellement et sublimement - besoin d'une instance qui garantisse la convenance de notre entendement et du monde, de l'être et de la pensée. Je puis toujours, par un coup de force, la poser comme une évidence, il n'empêche, au mitan de toutes nos affirmations, croyances, préjugés ou démonstrations, à l'équidistance de nos rêves et projets, elle règne en maître autant que silence.

Et nous ne saurions désapprendre de la chercher en dépit qu'on en eût … et de nos dénégations.

Quand donc admettrons-nous, avec humilité autant que détermination, que vivre c'est, précisément, être ainsi plongé dans le monde, comme en cette forêt … sans repères autre que ceux que nous voudrons bien nous donner ? N'y pas trouver sa place et n'être pas même assuré que nous en eussions une ? Qu'exister se déploie en ces retours en arrière, circonvolutions, détours, hésitations et échecs ? Que, non, le chemin, jamais n'est droit ? ni d'ailleurs notre volonté claire, uniforme et franche ?

Je crois n'aimer pas tant que ceci le droit même si j'admets qu'il ne saurait subsister de collectivité sans ce corps de conventions et de principes qu'elle finit toujours par se donner. Je consens à cette liberté qui tiendrait dans l'obéissance aux lois qu'on s'est données … pour autant qu'on n'omette plus qu'elles ne sont effectivement que conventionnelles, qu'elles fussent librement acceptées et qu'enfin elles puissent être modifiables si nécessaire.

Mais est-il boussole fiable si le Nord à l'envi baguenaude ainsi dans l'espace ?

Sous lex j'entends trop rex. Le Prince ne se pose jamais devant de manière anodine. Il n'est pas de recherche sincère qui n'eût au moins une fois tenté coup d’État radical ! Esquissé un non magistral ! Les grandes innovations débutent toujours par des colères révolutionnaires. Tant pis si, à la fin, comme toute révolution, elles nous ramènent - presque - au point de départ : l'orbe ainsi dessinée aura étoffé notre être et mûri nos interrogations.

L'être est substance qui fuit, se dérobe à tout piège qui entreprît de le braconner. N'est en tout cas pas gibier qu'on pût enfermer dans une case. Comprenons bien : la lumière que nous projetons sur les choses en tentant de les connaître, les modifie inexorablement. Nous sommes la preuve irréfragable que la connaissance toute est impossible ; à la fois ce qui traque le déterminé et insinue en tous les interstices de l'être l'ombre de l'indéterminé.

Le savoir et l'accepter : chercher c'est demeurer en chemin. Toujours.

Ceux-là se promenaient volontiers dans les forêts, parcouraient les sentiers, furetaient de ci de là, de préférence la nuit qui ne les effrayait pas comme s'ils avaient sinon compris en tout cas senti que la lumière obvie réfléchie par la lune plutôt qu'aveugler de trop de splendeur, savait seule souligner contours et limites et faire ainsi mieux deviner ce qu'il y avait à repérer, dénicher ou seulement deviner. S'ils savaient à peu près ce qu'ils cherchaient, ils ignoraient en revanche sous quelle forme ils le trouveraient ; encore plus où ils le débusqueraient. Plus tard on les nommera mages, druides ou sorcières ; les suspectera de quelque pacte ourdi d'avec le diable et même si, parfois, les villageois les auront croisé avec ce mélange incroyable de crainte et de respect, l'ire populaire aisément gonflerait pour peu qu'un prêtre un peu plus obtus que nécessaire, un prélat pourfendeur d'âmes ou quelque autre donneur de leçons ainsi que chaque époque sut toujours en sécréter, s'obstina à en attiser les braises jamais véritablement éteintes. Pourtant, à l'orée des sentiers battus, précisément, ils s'étaient contentés seulement de perpétuer cet antique savoir qui suggérait que le monde avait été parsemé de signes qu'il suffisait de lire. Quelle main aura ainsi tracé, de proximité, de ressemblance, d'émulation, ces caractères signalant quelle plante était bénéfique ou comestible, quel fruit déguster, de quel champignon se méfier ? Quel esprit aura ainsi, de sa plume céleste, dessiné le monde comme on imbrique les lettres de l'alphabet pour qu'à la fin il chante l'ode de la vie ? nul ne le sait. Tous le devinent. Mais, identiquement à nos chercheurs qui traquent causalité, déterminations, probabilités croisées dans l'enchaînement des choses et des faits, où ceux-là cherchaient des signes, tous savaient que rien jamais n'était fortuit et que sous le fracas des foudres, le maelström des tempêtes, le grondement des montagnes, toujours une même force presse, pousse et tire, qui devra bien un jour céder de son mystère. D'entre la foi, la magie de nos grands anciens, les intuitions de nos druides et la si fière rigueur de nos scientifiques, il n'est pas si grande différence : au tout début, comme un insolent impensé, le même pari.

Car tous - eux comme nous - détestons hasard et absurde et ne savons nous résoudre à n'avoir ni raison d'être, ni place. Alors, parfois, par facilité, nous nous contentons de nommer ce qui ainsi nous échappe jusqu'à même prêter vie à ces forces transcendantes. Ou, d'analyses en savants découpages, d'expérimentations en extrapolations sophistiquées, à nous donner l'illusion d'avoir dépassé l'odieuse superstition populaire et les sournoises manigances cléricales. En réalité, même si nous nous rengorgeons de science et de concepts abstrus, feule toujours la même angoisse, que nous ne savons retenir, d'une conscience qui, de se savoir fragile et mortelle, est projetée devant un monde où elle ne sait se trouver de place hormis celle de prédateur saccageur et cruel.

C'est bien ceci que nous cherchons : un sens !

Dès lors, ne demeurent plus que peu de travées empruntables : ou bien nous proclamons avec superbe que la question n'a elle-même pas de sens et qu'il faut l'évacuer. Voici tout le renoncement, avoué, du scientisme à la Comte qui se contente, avec précautionneux aveuglement, de ne se poser que la question comment (est le monde) et jamais pourquoi (est-il ainsi et pas autrement). Mais c'est laisser béante la lancinante douleur de notre place que la philosophie avait ouverte. Je crains bien que le mépris souverain que les sciences vouent à tout ce qui n'est pas elle ne soit autre chose que ce camouflet d'un échec initial !

Que cherchons-nous en définitive ? Autre manière de poser la question : est-il recherche qui sache nous nourrir ?

Bien sûr les causalités, bien sûr les déterminismes, bien sûr les complexités croissantes et les imbrications croisées qui font de cette vaste structure ordonnée un tout de plus en plus difficile à appréhender. Qui, surtout, diffuse insidieusement l'illusion d'un automate bien huilé où tout, nous y compris, réagirait de manière prévisible ne laissant place à aucun jeu, ni même à aucune panne. Les esprits simples adorent les machines, les rouages précis, les faits répétés comme refrain de ballade populaire. Bachelard l'avait deviné : ce déterminisme est métaphysique et dangereux ! surtout il n'évacue ni la poésie de l'eau clapotant ni la tragédie des vents s'égarant dans les feuillages épais des forêts inexplorées.

Reprenons : car il était bien là, allant et venant, cherchant donc, le regard aiguisé, le souffle patient. Sans doute savait-il qu'inexorablement il finirait par trouver. Les muscles les plus engoncés se tendaient, et les tissus les plus anodins : c'est que son être tout entier s'était consacré à cette quête ! On ne s'engage pas dans la quête avec les précautions d'un ambitieux supputant ses futurs avantages syndicaux ou ses jours de congés. Imaginerait-on violoniste posant son instrument parce que ce serait vacances ou week-end ? imaginerait-on peintre ou romancier prenant sa retraite ? Le secret est ici sans doute qui distingue d'un banal métier, d'une profession toute de convenance bourgeoise, cette mission dont on sature piteusement les discours contemporains - mais il faut tout redouter d'une époque qui parle de ressources humaines comme d'un gisement à exploiter et réserve moins de considération pour l'humain que comptable terreux pour ligne de crédit. Car la mission engage, vous emporte et peut-être même vous appelle. Car elle relève de l'être ; assurément pas du faire. Elle est œuvre - jamais travail - ce qui précisément vous offre au monde ; vous offre un monde.

Clé ! celle de l'énigme ; celle des champs ; celle du succès … nous n'imaginons pas qu'il n'y en eût point. Sur quoi ouvre-t-elle ? qu'y a-t-il derrière la serrure, la porte, le coffre ? Rien peut-être. Aimerions-nous seulement le savoir ? Et si, au contraire il y avait quelque chose ? quelqu'un ? Saurions-nous seulement supporter d'être déçus ? Il en va peut-être ici comme de l'amour : la quête vaut bien plus que la conquête. Nous ne supporterions assurément pas qu'elle s'achevât sur un festin de pierre …

Il marche ; se retourne ; rebrousse chemin. Il sait qu'il a la clé du chiffrement ; il sait qu'il reconnaîtra le signe. Paul s'en prenait au grecs qui malgré toute leur philosophie ne surent pas découvrir Dieu ; et les juifs qui malgré les signes ne surent pas reconnaître l'Envoyé. Question de foi ? peut-être parce que de confiance. En celle qui vous fait ne pas vous contenter des sentencieux enseignements de la raison, mais vous fait écouter, quitte à patiemment tendre l'oreille, tant sa voix est discrète, plus légère même qu'un murmure, si éloignée des tapages et brouhahas orgueilleux de l'évidence, au souffle de l'être, au chant du monde.

Lui, saura ! il le sent ; il le sait. Toute son existence a été vouée à cette quête. Oui, c'était sans doute une vocation. Oh bien sûr, pas au sens où une voix céleste l'eût appelé à suivre ce chemin ; non bien sûr ! mais en ce que, depuis les premières leçons prodiguées par son père, à la moindre incursion dans les chemins de traverse de cette étrange forêt, chaque geste, chacune de ses pensées, ses jeux d'enfants même avaient été consacrés - c'est le mot - à cette quête.

Rien n'est en réalité caché ! il suffit de regarder. Sait-on d’ailleurs que cacher - deux fois fréquentatif de cogo - signifie en réalité contraindre, pousser en avant comme le ferait un berger poussant au dehors ses bêtes qui, évidemment, ne manqueraient pas de s'éparpiller et, même de se perdre, n'étaient les allers et retours constants de l'homme comme du chien l'accompagnant, ramenant impitoyablement les égarées dans le (droit?) chemin.

Je sais, je le devine, que c'est exactement en ces instants qu'orbe et ligne se conjuguent qui entonnent la mélopée de la vie. Les abeilles de von Fritsch communiquent, certes, mais si mal qu'elles n'empêcheront jamais que certaines aillent butiner ailleurs … et trouvent un nouveau gisement de pollen. L'hypothèse fausse d'un tel, ou le raté de l'expérience de tel autre, offriront justement, en verrouillant des impasses, l'opportunité de nouvelles pistes. Quand donc les simplistes de tout poil, et les dogmatiques aussi pleutres que paresseux comprendront-ils que l'ordre, le cosmos repose sur un fond indicible de désordre, de chaos, d'aléatoire.? Qu'il faut aimer le désordre qui n'est pas un accident ou une maladresse de l'être mais ce chemin de traverse que nous dédaignons d'emprunter.

Lui, l'a toujours su qui ne rechignait pas à parcourir mille et une fois les mêmes sentiers de traverse ; à scruter le pied de chaque arbre même celui épié la veille. Il n'est ainsi pas de recherche qui vaille qui n'engagerait que la raison ou l'intrication étroite d'équations et d'extrapolations. Rien, pas une formule, pas un algorithme, pas une théorie ou une démonstration, réussie ou ratée, qui d'abord ne perce chaque centimètre de votre peau, n'ankylose chaque tendon ou muscle, n'éraille votre voix ni n'essouffle votre démarche. La pensée, elle aussi a un corps - le nôtre ! Et je ne donne pas cher d'une théorie qui n'engagerait que superficiellement notre parcours.

Une théorie avant de se dire, avant même de se voir, s'éprouve comme rhumatisme de vieillard.

Les augures même le surent de tout temps qui eurent beau de leur bâton tracer l'espace sacré où apparaîtraient les signes - le temple - devaient encore les interpréter. Avec tous les risques, ambiguïtés, controverses et incertitudes que ceci implique. Qu'illustre si bien le conflit initial entre Romulus et Rémus ! ou celui d'entre Caïn et Abel.

Peut-être les vieux cabalistes avaient-ils raison : tous les savoirs du monde sont ici, devant nous. Nous ne savons ni les voir ni les comprendre. Parvenir à les déployer comme rose éclot au petit matin ; patienter sagement ou savoir patiemment est même offertoire.

Préambule

Doutes et ambitions

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter

savoir parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

Trois histoires pour commencer

Révélation

histoires d'insoumises

histoires d'abandons

 

élégance   :

l'éloge de la gratuité  

élégance de l'image

images de l'élégance

élégance de la légèreté

pesanteur de la vulgarité

légèreté de l'élégance

de deo : in solido

l'impensable silence

 

bienveillance

humanisme: une affaire d'élégance

du pardon

doute
donner recevoir
ironie
justesse

diableries

diableries suite

qu'est-ce ceci : haïr ?

grâce    
cloisons à éviter
 
goûter le silence

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

chercher

liberté : obéir ou servir

écoute  

philosopher : un geste moral

loi

empathie  

prudence plutôt que scepticisme

 

sexualité

sagesse

 

 
entre silence et parole
    devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

entre intensité et prudence

moi

foi ou crédulité

mensonge
être source ?
partage
fissure
témoigner
refuser la déchéance
vicariat