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Musicales

Ai assisté à des concerts au Malzieu grâce à la gentillesse de deux jeunes femmes qui ne se résolurent pas à me voir partir sans un geste.

Un plaisir toujours renouvelé parce que, quoiqu'on dise, rien ne vaudra jamais mieux que le spectacle vivant ! Disques, DVD, désormais streaming ont assurément l'immense avantage de rendre la musique proche mais la mettre en conserve lui ôte ce je ne sais quoi de souffle qui faisait les arbres, toute la forêt et jusqu'aux satyres et égypans se pencher de reconnaissance au passage d'Orfée.

Le dernier concert était de rock - moi ? écouter du rock ! - qui me fit longuement réfléchir. La madame, non sans talent, s'était cantonnée aux années 60-70 : c'était déjà du classique ! ce qui d'ailleurs devait bien convenir à un public joliment vieilli dont les tendres années ne demandèrent qu'à s'égosiller et agiter ! et le firent. Le temps aidant, mais le temps émousse tout, jusqu'à la patience de la dispute, ce qui se sera voulu provocateur, contestataire, anti-bourgeois … aura eu, comme le reste, peine à ne pas s'empâter !

Voir ces vieilles dames battre l'air de leurs membres endoloris, et ces hommes, déjà voûtés, se tortiller comme si le diable avait pris possession de leurs regards déjà évidés, eut quelque chose de pathétique en même temps que d'émouvant. Il est des gestes, des rythmes sans doute, des émotions assurément que nos corps renâclent d'oublier lors même que nos esprit, bravaches, contrefont ce si pesant sérieux où ils s'obligent. Je compris, en comparant avec les photos des autres concerts - classiques quant à eux - tout ce qui me séparait d'eux et m'arrimait à ceux-ci. Tout ici est corps secoué, voix poussée jusqu'à l'éraillement, gestes amphigouriques et sonorités électriques jouxtant le bruit, sans y verser jamais,mais faisant la part si belle au rythme au point d'en oublier la mélodie qu'elle s'en évanouit pour ne laisser qu'aux coups assénés de nos battements de cœur le rêve de réinventer la musique.

Toute une culture du corps que mon histoire, mes réticences ou mes pudeurs, m'interdirent.

Je ne dis pas que ce fut une force. Ce m'en fut même parfois réelle tristesse. Mais c'est ici ligne que je ne parvins jamais à franchir - ce dont je ne me réjouis pas plus que je ne le regrette - une ligne d'ankylose peut-être, de pudeur sans doute ! mais cette ligne me définit que j'aurai appris à respecter. Il m'est trop tard pour rebrousser chemin ; ne suis pas certain, en vérité, de le désirer.

De l'autre côté, tout ce protocole compassé des cordes devant, des vents en arrière qu'on entend mais ne voit jamais. Ces solistes qui envahissent tout l'espace comme si subitement l'orchestre n'était plus qu'un sombre et sordide faire-valoir. Une affaire de hiérarchie, de préséance, de révérence autant que de traditions : tout un monde, poussiéreux, que nul n'envisage même de secouer, en dépit des regards ironiques parfois ou des semblants de mise en scène d'un trompetiste qui eût sans doute préféré la facétie à cette gravité obligée.

L'autre - toute petite - réflexion me vint de la présentation initiale de cet ultime concert. Comme s'il était nécessaire de justifier la réunion ici du classique et du rock par les rencontres d'après-concerts - mais quoi, après tout, la musique est de la musique, non ? - le 1e violon s'attachât à présenter comme résolu par le plaisir des artistes ce qui n'était un problème pour personne. Dans l'esprit de qui une telle réunion de genres musicaux serait-elle un tabou ? On dit juste quand on avance que la pire censure demeure encore l'auto-censure !

L'ingéniosité a en tout cas bien consisté, après un groupe classiquement constitué par deux guitaristes, un batteur et la chanteuse, de faire entrer successivement vents puis cordes et de mêler ainsi sinon la musique au moins les instrumentistes.

A voir les mêmes, violonistes et hautboïste notamment, sourires aux lèvres et enthousiasme communicatif, qui s'étaient la veille, présentés avec l'air convenu et compassé qui sied à l'idée qu'on se fait du classique, on comprenait aisément - et rien n'est plus réjouissant - que la rencontre des genres était parfaitement réussie.

Vraiment ?

Je vois bien les classiques avoir fait le chemin ! imagine-t-on les rockeux être capables de faire la route inverse ?

Mais sans doute fais-je ici preuve d'esprit chagrin !