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Donner - recevoir

Voici couple indissociable non seulement parce qu'il n'est de don possible qu'à l'égard d'un récipiendaire mais surtout parce que c'est déjà recevoir que de pouvoir donner. Peut-être est-ce même un triptyque si, songeant à M Mauss, on y adjoint rendre qui ensemble constituent alors une économie du don bien distincte de l'économie de l'échange à laquelle nous sommes habitués.

Il était parti de chez lui : tout l'y incitait. Son père d'abord qui ne voulait pas qu'il choisît pour épouse une fille de Canaan. Son frère ensuite qui le poursuivait d'une haine tenace et lui reprochait d'avoir usurpé ses statut et droitd d’aîné. Jacob obéit ainsi à son père et se rendit à Paddan-Aram, à la maison de Bethuel. Sur la route qui le conduisit à Charan, un soir, il s'arrêta pour passer la nuit, et sans plus d'autres truchements de confort - mais en avait-il véritablement besoin , - il fit d'une pierre, un chevet et s'y endormit comme si elle avait été de plume et de douceur.

C'est cette nuit qu'il rêva de cette sorte de rêve qu'on n'oublie jamais, qui hantera vos jours et tracera à jamais le chemin de votre vie.

Il eut un songe que voici: Une échelle était dressée sur la terre, son sommet atteignait le ciel et des messagers divins montaient et descendaient le long de cette échelle (Gn 28 12)

 

Puis Dieu lui apparut qui lui fit la promesse d'une terre pour lui et sa descendance, d'une postérité de gloire.

Nous aimons les échelles, les lignes graduées qui reliant les extrêmes permettent de jauger toutes les graduations qui de l'un mènent vers l'autre - du bien au mal ; du fort au faible ; de l'homme à la bête, du chef à l'exécutant, de la civilisation à la barbarie … Je m'en suis toujours méfié ne serait ce que parce qu'à la fin, les duellistes, aux deux extrémités ne manquent jamais de se ressembler ; ni Romulus à Rémus, ni Diogène à Alexandre. Pour autant, ces gradations interdisent toute solution de continuité ; empêchent toute rupture. Ces anges, parce qu'on a bien lu ce ne sont pas des hommes qui gravissent ainsi l'échelle, non plus que Dieu lui-même qui l'emprunterait, ces anges, dis-je, montent et descendent, bref, font passer le message et maintiennent la voie ouverte aux prières, aux regards, aux espérances et permettent à la lumière d'envahir la pénombre.

Gustave Doré représente un escalier plutôt qu'une échelle ; il a raison : climax - κλῖμαξ - désigne à la fois l'échelle et l'escalier. On n'empêchera pas néanmoins de considérer dans cette subtile gradation plutôt qu'un cheminement méthodique quelque chose comme une hiérarchie, une structure pyramidale voire autoritaire qui du moins irait du moins vers le plus, de l'ombre à la lumière. L'allemand ne s'y trompe guère qui sous Leiter entend, au féminin, l'échelle ; mais au masculin le directeur, le chef ; le conducteur. Athènes, un peu plus tard, inventera le cercle comme figure à la fois de la démocratie et de l'homogénéité de l'espace n'ignorant pas combien, d'un même tenant, le cercle dessinerait alors le tragique de l'éternel retour au moins autant que de l'union des contraires.

C'est au sommet de cette échelle que se tient Dieu c'est de là qu'il renouvelle la promesse d'offrir une terre à la descendance de Jacob..

Je n'ignore pas les interprétations qui furent menées de ce passage mais ne cesse pour autant de le trouver étrange, surtout à cet endroit du récit. Quel rapport peut-il bien exister entre la fuite de Jacob qui tente d'échapper à la colère de son frère jumeau et suit l'exhortation d'Abraham comme de sa mère Rebecca d'aller chercher femme ailleurs et l'Alliance offerte par Dieu dont la terre est le symbole ? Serait-ce que le sort angoissé et angoissant de Jacob à ce moment précis de son existence, chassé de chez lui, objet de la rancune de son frère, condamné à partager l'existence d’idolâtres pas nécessairement honnêtes et inquiet d'être perverti par eux, que ce destin annonçât par avance celui de son peuple, à qui il donnera son nom, expulsé de sa propre terre, objet de la haine de tous, erreur au milieu d'autres peuples, assistant à leurs ascensions parfois stupéfiantes et accompagnant leurs chutes souvent brutales

Ces anges sont-ils véritablement les génies tutélaires des Nations (1) qui, inexorablement s'effondrent après être montées parfois au plus haut, illustrant ainsi la fragilité des cultures et la vanité des pouvoirs ? est-ce ici moyen de souligner combien en face de Dieu il n'est pas de puissance qui vaille et qu'à l'instar de Babel, il ne saurait être entreprise, fût-elle glorieuse, qui ne s'écroule à la fin ? !

Tout incite finalement à inverser l'échelle ou, tout du moins, à considérer qu'il ne saurait être d'ascension sans chute. Si Dieu est présent, accompagne l'histoire humaine dont celle, inexorablement violente de ces gémellités tragiques qui toutes finissent mal, c'est pourtant lui qui détient les clés de l'histoire qui jamais ne se réduit aux seuls rapports de force, guerres et convoitises humaines. En haut de l'échelle Dieu. C'est lui qui en définitive juge. Fait se détourner le chemin et s'égarer les vaines ambitions. Si le philosophe incite à la prudence et le sage à ne pas trop s'approcher des puissants, mieux vaut en tout cas ne jamais se piquer à contrarier les desseins divins

Le monde de l'Ancien Testament est un monde où Dieu, sans être véritablement présent - nul ne le vit ni ne le peut sauf, dit-on parfois, Jacob lui-même - intervient à chaque croisée, tonitrue et ordonne, règle c'est-à-dire indique la direction et menace c'est-à-dire fixe les lignes à ne pas franchir. Bientôt ce seront des prophètes qui porteront sa Parole, pour le moment c'est encore lui et ses angles, ses messagers. Ceux-ci apportent parole, conseils, protection et recommandations ; emportent, en retour, prière, grâce et reconnaissance. La voie toujours demeure ouverte. Et c'est bien ici, plus plus sans doute que la promesse d'une terre, fabuleuse source d'espérances.

C'est bien ceci que je veux retenir ici : cette réciprocité qui fait ne rien monter qui ne doive redescendre ; rien descendre qui ne doive remonter. Comme si tout, toujours devait achever le cycle.

Alors oui, peut-être, puisque ceci revient au même, peut-on inverser les deux extrémités de cette échelle et considérer, non pas que monter ou descendre revinssent exactement au même mais qu'il ne saurait y avoir l'un sans l'autre.

Est-ce d'ailleurs si sot ? Pour qu'il y ait don, il faut bien qu'il y ait récipiendaire. Et ce dernier peut-il véritablement ignorer la main qui se tend vers lui, le nourrit et le réconforte ? Même si l'on peut considérer l'acte créateur comme le seul véritable acte gratuit, et avec elle l'Alliance offerte au Sinaï dans la mesure où elle n'est attente d'aucune contre-partie et offerte sans raison, ou que rien ne l'eût rendu nécessaire.

L’Alliance n'est pas un contrat entre deux parties symétriques. Ce qui ne veut pas dire que le récipiendaire n'y contracte pas quelque obligation : servir au sens des prescriptions du Décalogue. On est très loin ici du sacrifice au sens païen du terme ; autant que de l’assujettissement : c'est la liberté qui s'exerce ici dans cet acte moral qui s'essaie à renoncer à la violence. En tout état de cause, et ceci nous aide à le comprendre, donner n'est pas échanger même si ceci n'implique pas un acte unilatéral. Mais c'est bien parce qu'il engage des parties asymétriques, que le récipiendaire cherche à rendre. Vœu impossible à atteindre dans le cas de Dieu, mais légitime dans la relation à l'autre : c'est même ici l'ultime générosité que de permettre à l'autre de se hisser à hauteur du donateur et la raison fondatrice d'un triptyque où rendre empêche l'éventuelle humiliation du recevoir. Au merci qui conclut le don, le donateur finit toujours par répondre : de rien !

Tout entier le don consiste en cette capacité d'augmenter l'autre, autant que soi-même, par égard pour lui, respect autant qu'amitié ou amour. En sommes-nous capables ?

L'un se fit grande joie, et sans doute grand orgueil, d'inviter l'autre, passablement rustre, tellement bouseux, plouc quoi pour tout dire, occasuin de lui en remontrer sur la supériorité de la ville tant en matière gastronomique que culturelle, tant pour l'art du savoir-vivre que pour la sophistication des mœurs. Tout le monde connaît cette histoire : nous l'avons tous lue et apprise et, pour peu que nous fûmes provinciaux, y ressentîmes comme une secrète vengeance tant la superbe prétention des parisiens confinait trop au mépris pour ne pas blesser et appeler quelque réponse bien recuite. Qui le fut ! Derrière toute leçon de morale ou de philosophie faut-il vraiment qu'il y demeurent ressacs, certes adoucis, d'antique vengeance ?

Cette histoire, nous la connaissons tous non seulement pour l'avoir apprise d'un La Fontaine qui n'en retint d'ailleurs que l'occasion de mieux vanter la vie simple à la campagne mais surtout, à notre honte parfois, à notre sottise toujours, de souligner l'obsession nôtre ne nous départir jamais de la dénégation de tout ce qui nous diffère. Elle dit bien évidemment combien nous dépendons toujours d'un environnement que nous pillons, d'autrui qu'il nous arrive d'exploiter, d'assujettir et de mépriser parfois, d'ignorer toujours pourtant.

Les deux compères s'empiffrent à qui mieux-mieux : rien ne leur manque ni des douceurs ni des excès qu'une table bien dressée se doit, si elle veut rester digne, de proposer, ni même des boissons les plus enivrantes ni des mets les plus rares. On parvint alors, mais alors seulement, à ce moment si précieux où manger ne se résume plus à seulement se restaurer ou désaltérer, c'est-à-dire à seulement ralentir l'insidieux mouvement qui abîme, affaiblit et sclérose tout ce qui vit, mais ouvre enfin la porte aux plaisirs, sinon à l'inutile en tout cas au superflu, à tout cet enrobage qui sait si bien manier l'hyperbole, l'ivresse céleste qu'on n'éprouve qu'en ces rares instants où l'on se pique d'être si haut perché qu'on en échapperait à toutes contraintes, et saurait bousculer toutes limites, ces mondes étranges ouvrant le champ si vaste et riche de promesses des arts qui délivrent ivresse de créer. Comment le citadin pourrait-il ne pas se sentir supérieur, plus policé, plus raffiné lui qui s'attarde en des plats que l'autre n'eût même pas osé imaginer, encore moins espérer .

Las ! soudain, à côté, un bruit étrange, comme un meuble que l'on cogne ou une chaise qui tombe, les effraya ; la porte s'ouvrit qui les fit décamper. Serait ce, en leur fièvre à baffrer, passer d'un plat à l'autre de crainte d'en perdre sans même plus savoir en goûter le sel ni même l'avoir encore désiré, serait-ce qu'ils fissent tant de bruit qu'à la fin ils ne réveillassent le fermier général pourtant si lourdement repus qu'il s'était endormi sitôt sa ripaille achevée ? En tout cas, le sort en était jeté dont ils étaient comptables, il ne resta plus à nos deux comparses que de s'enfuir. Ce qu'ils firent.

Étrange situation que celle-ci où le parasité à son tour parasite ! Etrange combinaison que celle-ci où l'hôte fait fuir ses hôtes en faisant pourtant la même choses qu'eux. Etrange langue que la nôtre qui use du même mot pour désigner l'invitant et l'invité comme si en cette hospitalité qui est pourtant la vertu cardinale de l'Antiquité, à laquelle on ne saurait sans graves conséquences déroger, se cachait un secret qu'on n'osa jamais dévoiler : qu'il n'est pas d'invitant absolu - ce dernier est toujours déjà le parasite d'un autre - que nous ne sommes jamais généreux, jamais de véritables donateurs et que nos mains ne se tendent qu'en calcul à la fin de recevoir à leur tour.

Je cherche acte généreux en nos existences et me désespère d'en dénicher si peu. Gide a néanmoins tort d'en récuser la possibilité pour la seule raison que nous y tirerions au moins fierté et plaisir d'enavoir été intentionnellement l'auteur. Veut-on dire par là qu'agrément, contentement voire fierté d'avoir commis geste généreux en disqualifierait automatiquement la valeur ? ce serait absurde : ne rien attendre d'un acte ne signifie pas en récuser par principe ses conséquences.

Repérant à la suite de M Serres que l'ambivalence du terme hôte n'était valable qu'au masculin et qu'hôtesse signifiait toujours l'invitante et donc celle qui est parasitée,quand même ce serait volontairement, j'en déduisis qu'il est au moins un acte, absolument généreux, sans attente de quelque rétribution possible : l'enfantement. Quand même les joies indéniables qui lui sont liées, sans nier ce qu'il peut y avoir de gratifiant de participer à l'œuvre, parce que c'en est une, consistant à épauler un être dans la construction de lui-même, ni la richesse des relations qui se nouent à ces moments, comment ne pas souligner la profusion de soins, d’attention, de sollicitude, d'efforts, parfois de craintes et souvent de désillusions, mais de confiance nonobstant qui font de la maternité en premier lieu, de la paternité quand elle veut bien s'en donner les moyens et le rôle, les tâches les plus glorieuses et enthousiasmantes qui soient, les plus généreuses. Elles engouffrent une part incroyablement envahissante de nos existences et nous y consentons le plus souvent avec joie et espoir. Je n'imagine pas une seule seconde que le désir d'enfanter puisse être autrement que généreux et toute autre raison qui le motiverait ne saurait qu'être sordide. A l'enfant qui s'inquiète de la naissance imminente d'un petit frère ou d'une petite sœur, il n'est pas de mère qui ne répondî que son amour était intarissable, qu'il ne se divisait pas mais se multipliait.

J'y vois l'essentiel : il n'est pas tant de réalité dans la sphère humaine que l'on puisse offrir sans pour autant les perdre. Tel objet, telle œuvre même que j'eusse conçue, telle somme d'argent, je puis, oui, les offrir à l'autre, avec ou sans raison : mais à l'instar de l'échange marchand, je cesse dès lors de les posséder sitôt confiée. Mais ce sentiment de la mère pour ses enfants - mais je suppose qu'il s'agit ici bien plus encore d'une puissance - ne s'épuise jamais de se donner.

J'y vois la marque de l'essentiel. Ces œuvres à quoi l'on consacre temps et passion, mais la connaissance aussi, se peuvent ainsi donner sans jamais se perdre.

C'est ici que s'éploie la générosité.

Chez Molière, par exemple, les filles sont souvent le simple jouet des ambitions ou obsessions du père. Loin d'être des individus à part entière, elles paraissent devoir être totalement soumises et notamment s'agissant du choix de leur époux qui devra satisfaire non les règles du sentiments mais celles de la nécessité : avoir un médecin à domicile ou un homme vertueux qui garantisse le salut de la famille. Jamais êtres à part entière, elles sont parasitées, selon les normes du temps comme si, pour reprendre l'argument d'Aristote, elles étaient être en creux, virtuels, attendant qu'on leur prête forme, de l'extérieur, tâche évidemment dévolue au mâle. Voici configuration exacte de cet antonyme de la générosité où l'on s'affaire surtout autour de ses propres désirs ou intérêts réduisant l'alentour à un cadre vide où il n'y aurait qu'à s'installer, dont on n'aurait qu'à disposer. Tartuffe est incontestablement un escroc, avant même d'être un hypocrite d'ailleurs : s'emparer des biens, d'une personne, s'incruster et devenir le maître tout le reste n'est que façade pour y parvenir. Mais comme tout parasite il lui faut bien se fondre dans le milieu qu'il veut parasiter. Il y a du caméléon chez Tartuffe. A sa façon, il ne fait que ressembler à la figure paternelle.

Si l'on tente ainsi de comprendre le don par son antonyme on ne sera pas véritablement surpris d'y trouver à la fois conserver, prendre ou reprendre, accaparer, spolier, soustraire. Bref, tout-à-la fois prendre ou simplement garder pour soi. Il n'est qu'à chercher, on trouvera …

Que peut-on donner qui soit irréversible ? de son temps ; de sa vie ; sa vie !

L'histoire est reprise par E Canetti :

La jeune fille, à l'aube de son existence offre la totalité de son temps de vie à son rabbin malade. Le texte insiste sur le fait que l'on y croyait véritablement et, après tout, il n'est pas faux qu'accompagner un proche malade, en prendre soin, est au moins métaphoriquement lui offrir un peu de son temps de vue, le lui consacrer. Ce mot lui-même est révélateur qui rappelle combien concentrer tous ses efforts à une fin exclusive a toujours quelque chose de la piété ou l'être a sa part. La jeune fille devait bien avoir l'oreille du Très Haut : elle mourut à l'instant même, de ce même mouvement qui vit le rabbin guérir. Le don avait été efficace et le fut tellement que le rabbin vécut très très vieux. A chaque moment de son existence, il songeait à ceux que la jeune fille lui avait sacrifiés et qu'elle ne connaîtrait jamais : mariage naissance d'enfants autant de bonheurs qu'il lui voyait en rêve. Comment aurait-il pu accepter cela sereinement ? Comment ne pas à la fois se sentir infiniment redevable de ce don que rien ne justifiait et qu'il n'avait même pas sollicité et, au détour de chacun de ses gestes, se heurter à cette voix non pas réprobatrice mais dérangeante néanmoins qui lui demandait s'il avait bien mérité ce don, si surtout il en avait fait bon usage ? Il arrivait parfois au rabbin de lui espérer quelque tragédie ou souffrance qu'au moins par son sacrifice, il lui aurait ainsi, même involontairement, épargnées. Mais non, rien ; jamais. Rien qui pût soulager sa culpabilité diffuse. C'est une loi de l'histoire, sans doute, que les survivants ne restent pas innocents et qu'ils portent, comme une intolérable chaîne une culpabilité d'autant plus insistante qu'elle n'est pourtant justifiée par rien.

C'est que recevoir vous oblige. Oblige à être à la hauteur de ce qui vous fut donné. Qui sait être à hauteur de la vie ?

Les théoriciens adorent ces situations indécidables qu'ils appellent dilemme, celles où d'entre les deux termes, on n'aurait pas plus de raisons de se déterminer dans un sens ou dans un autre, celles où l'on n'aurait qu'à choisir entre deux maux également détestables, celles enfin où les deux termes obéiraient à deux principes également moraux mais en l’occurrence contradictoires ici. J'ai toujours pensé que l'interrogation morale commençait au moment où, précisément, les choses cessent d'être claires. Je devine sans peine l'impossible réponse pour qui voudrait bien se poser la question lors d'un conflit armé où l'on serait partie prenante, que ce soit une guerre, une révolution, ou toute autre situation où sa vie serait en danger, ou la justice, la patrie, ou la liberté … Je ne connais pas de groupe humain qui, dans les cas extrêmes au moins, n'exige de ses membres qu'ils fussent prêts au sacrifice suprême et l'on saisit sans peine la contradiction avec le Décalogue.

Mais les Nations demandent ce sacrifice pour tuer et détruire encore et encore. Quand les mères ne demandent rien. Quand les peintres ou les romanciers se contentent de présenter, avec leurs œuvres, des flèches d'émotions, de sensations ; de vertus.

Que ne peut-on recevoir ?

La leçon qu'offre ainsi La Fontaine va bien au-delà de cette cascade sans fin de parasites : celui des champs parasite celui des villes qui lui-même parasite le Fermier Général qui lui-même, de ses privilèges tapageurs, parasite jusqu'à l'épuisement, paysans et petits artisans, bref tout ce peuple qui n'eut pas la chance de naître noble ou d'être destiné à la prêtrise.

Le parasite est l'antonyme absolu du don, de la générosité. Celui-là prend, ne rend ni ne donne rien ; celui-ci donne et n'attend rien en retour. L'ironie veut qu'en Grèce antique il fut quelque chose comme assistant des prêtres chargé de prendre soin de la nourriture réservée aux dieux, partageant à l'occasion la table sacrée et par suite celui qui fait profession à force de bassesses, flagorneries et autres complaisances de partager la table des riches. Vilaine position à laquelle pourtant nul d'entre nous n'échappe véritablement : sans doute, ici, encore, les grecs virent-ils juste en considérant que le fait même d'exister était une injustice et en produisait au point que, sans doute, il eût mieux valu ne jamais être. Sans doute est-ce aussi l'une des interprétations possibles au texte de la Genèse : comment comprendre cet interdit de manger de l'arbre de la connaissance ?

Le parasite est figure du mal ; forme du diabolique. mais comment oublier qu'il ne saurait être de don qui ne se solde par un merci ; par un acte de grâce. M Serres rappelait autrefois, dans le Parasite, que le terme utilisé par les grec pour dire merci est Ευχαριστώ πολύ - eucharistie. Il y est question de grâce, de reconnaissance, le terme venant lui-même de Χάρις, Karis, les grâces. Mais on le sait, dans le rituel chrétien, l'eucharistie c'est la transsubstantiation, ce moment où le Verbe se fait chair, où, plus exactement, il n'est plus d'écart aucun entre les deux. Voici le don total ; sans véritable compensation possible. Le Verbe s'est fait chair, fût-ce provisoirement ; la promesse a été tenue. L’Alliance a tenu. Elle se traduit par la Cène. Qu'importent les interprétations : que ceci soit ou représente sang et corps ou ne fasse que le symboliser, l'essentiel est dans ce don. Le don, ici divin, est au centre de nos vies. Le don, le nôtre doit l'être au creux de nos existences. Ce merci, cette action de grâce, est essentielle non seulement parce qu'elle vaut reconnaissance et gratitude, mais aussi parce qu'elle permet au récipiendaire d'échapper - un peu - à cette dernière place pas si facile à tenir, on l'a vu avec le rabbin pour ce qu'elle s'empèse de culpabilité.

Mais l'échange ne se termine pas là : au-delà des formes peut-être usées de politesse ou de civilité, il est d'usage pour le donateur de répondre de rien, c'est normal etc. Ce que le grec formule par Παρακαλώ - invoquant ainsi le Paraclet. On le sait c'est par ce nom que Jean désigne le Saint Esprit. Le terme grec, désigne l'avocat, l'intercesseur, celui que l'on appelle pour vous venir en aide. Formule étonnante et géniale à la fois : elle dit que le don est l'essence de la relation et qu'à ce titre, il n'y a pas de dernière place pour ceci au moins que le récipiendaire devient à son tour donateur - ou le devrait. La Parole fuse, se glisse entre chacun de nous : oui, elle est comme le vent, comme l'esprit dont on sait qu'il souffle où il veut. En ce beau jour que célèbre la Pentecôte, cet esprit s'insinua entre chacun des apôtres et subitement, il n'y eut plus aucune limite, aucune frontière, aucun obstacle : la malédiction de Babel avait bien un antidote : le don. Et il atteint les cent vingt disciples qui se trouvaient là ce jour …

Ce ne sont pas les anges qui descendirent ce jour-là mais le Verbe. Ce jour-là il ne s'est pas fait chair mais sens. Et ce sens était universel. Le pont n'était pas détruit, ni l'échelle brisée ; malgré tout ; malgré l'irréparable.

Je ne connais pas de don plus grand que celui du sens. Je ne connais pas de merci qui y suffise. Car le sens demeure à jamais l'intercession absolue.

 

 

 

 

« Rabbi Shmuel bar Nahman a dit : les anges de Dieu qui y montaient et en descendaient sont les génies tutélaires des nations. Il lui a montré [d’abord] l’ange/le représentant tutélaire de l’empire de Babylone gravissant soixante-dix échelons puis les redescendant. Ensuite l’ange de l’empire des Mèdes et des Perses montant cinquante deux barreaux puis les redescendant. Puis, il assista à l’ascension du génie des Grecs jusqu’au centième échelon avant d’en redescendre. Lorsque arriva le tour du prince d’Edom (c’est-à-dire Rome et l’Occident ], Jacob ne put compter le nombre d’échelons qu’il escalada. Alors, pris de panique, Jacob s’écria “celui-là ne descendra-t-il donc jamais ?” Le Saint, béni soit-Il, lui répondit : “N’aie pas peur, mon serviteur Jacob” (Jer 30,10). Et il enchaîna “Même s’il s’élevait comme l’aigle, s’il faisait son nid au milieu des étoiles, je le ferai descendre de là… ».

 

 

« Jacob quitta Beer-Sheva, et s'en alla vers Haran. Il arriva en ce lieu et y resta pour la nuit car le soleil s'était couché. Prenant une des pierres de l'endroit, il la mit sous sa tête et s'allongea pour dormir. Et il rêva qu'il y avait une échelle reposant sur la terre et dont l'autre extrémité atteignait le ciel ; et il aperçut les anges de Dieu qui la montaient et la descendaient ! Et il vit Dieu qui se trouvait en haut [ou à ses côtés] et qui lui disait : « Je suis Dieu, le Dieu d’Abraham et le Dieu d’Isaac ton père ; la terre sur laquelle tu reposes, je la donnerai à toi et à tes descendants ; et tes descendants seront comme la poussière de la terre, et ils s’établiront vers l’ouest et vers l’est, vers le nord et vers le sud ; et par toi et tes descendants, toutes les familles sur la terre seront bénies. Vois, je suis avec toi et te protégerai là où que tu ailles, et je te ramènerai à cette terre ; car je ne te laisserai pas tant que je n'aurai pas accompli tout ce dont je viens de te parler. » Jacob se réveilla alors de son sommeil et dit : « Sûrement Dieu est présent ici et je ne le sais pas. » et il était effrayé et dit : « Il n’y a rien que la maison de Dieu et ceci est la porte du ciel. »

« Le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble dans le même lieu. Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d'un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d'eux. Et ils furent tous remplis du Saint Esprit, et se mirent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer. » Ac 2,1

 

Préambule

Doutes et ambitions

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter

savoir parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

Trois histoires pour commencer

Révélation

histoires d'insoumises

histoires d'abandons

 

élégance   :

l'éloge de la gratuité  

élégance de l'image

images de l'élégance

élégance de la légèreté

pesanteur de la vulgarité

légèreté de l'élégance

de deo : in solido

l'impensable silence

 

bienveillance

humanisme: une affaire d'élégance

du pardon

doute
donner recevoir
ironie
justesse

diableries

diableries suite

qu'est-ce ceci : haïr ?

grâce    
cloisons à éviter
 
goûter le silence

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

chercher

liberté : obéir ou servir

écoute  

philosopher : un geste moral

loi

empathie  

prudence plutôt que scepticisme

 

sexualité

sagesse

 

 
entre silence et parole
    devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

entre intensité et prudence

moi

foi ou crédulité

mensonge
être source ?
partage
fissure
témoigner
refuser la déchéance
vicariat