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Légèreté de l'élégance

 

La philosophie est la forme contemporaine de l'impudeur p 155

 

Formule trouvée dans les Carnets de Czmus qui illustre combin, oui, effectivement, la pudeur est qualité qui excède de beaucoup les seules contingences du corps et de l'amour.

Je puis comprendre le dédain d'un P Valéry pour la philosophie - Je lis mal et avec ennui les philosophes, qui sont trop longs et dont la langue m'est antipathique.- quoique les aphorismes qui constituent Tel Quel ou les Variétés pour brillants et séducteurs qu'ils soient demeurent trop souvent hermétiques pour qu'il n'y ait pas ici visée un peu torve à ce qu'on s'attarde sur ce qui est révélé. Je peux comprendre cette inclinaison pour une poésie à la Mallarmé et ce souci, presque scientifique, d'une langue à la fois juste et construisant son objet ; je puis surtout admettre, sans effort ni concession aucune, qu'on puisse trouver ailleurs et mieux que dans la philosophie ce que d'autres y trouvent ou chérissent.

Mais d'où cette impudeur ?

Je n'ignore pas que la pudicitia occupe une place centrale dans la culture romaine et ne concerne pas seulement les femmes ni d'ailleurs les seules choses sexuelles ; ni évidemment qu'on la retrouve chez les chrétiens (cf Tertullien ) ; pour autant se peut-il être impudeur, donc débordement, outre-passement des limites en matière de connaissance ? Il doit bien y avoir chez quelque psychanalyste un discours suspectant que le désir de savoir équivalût à celui de voir ça ! à percer le mystère sexuel. Ce n'est effectivement pas difficile à trouver. Percer le mystère ; dévoiler - qui est après tout la signification de ἀλήθεια - l'interprétation est tentante ; intéressante surtout parce qu'elle laisse entendre que le chemin de la connaissance débouche invariablement sur une transgression ; comme s'il n'était pas d'effort sans débordement et que l'homme fût nécessairement coincé entre la tentation de la démesure et celle de l'impudeur.

Que l'effort à penser juste, que l'amour immodéré des idées ; que la tension qui conduit à aller jusqu'au bout de ce que les mots parfois traduisent, que la prédilection à consacrer l'abstrait plutôt que l'enchaînement souvent étouffant de l'action ; oui, que tout ceci trahisse plus sur soi que l'on aimerait et que se cache nécessairement derrière le désir de penser quelque névrose croustillante susceptible de nourrir tout psychanalyste digne de ce nom, je ne saurais en douter.

Il y a quelque part une vérité, une vérité qui ne se sait pas et c’est celle qui s’articule au niveau de l’inconscient. C’est là que nous devons trouver la vérité sur le savoir ». Lacan (leçon du 7 mai 1969 du séminaire D’un Autre à l’autre)

L'abstraction, l'universel à quoi tend toute réflexion philosophique ; l'étude en général de toute question, nécessairement désincarnée, traitant de notre rapport au monde - qui fait le fond de toute démarche philosophique - ne seraient donc que le cache-sexe convénient rendant présentable désir bien plus inavouable ? Ne seraient ainsi que subterfuges pas même habiles de pulsions exhibitionnistes ? Je veux bien le penser ; je ne puis l'admettre.

Demeure le risque de débordement ! Aller au delà et courir le risque de vouloir percer le mystère qu'il ne fallait surtout pas déceler ? Mais ne s'agissait-il pas de révéler les choses cachées depuis la fondations du monde ?

Bien sûr aux moments où il fallait tout reconstruire et où les bases même de la décence et de la culture avaient été sapées par la bête immonde, il y avait peut-être quelque indécence à penser plutôt qu'agir, à scruter les si discrètes inclinaisons de son âme plutôt qu'offrir à l'autre la puissance de son geste. Pourtant, il n'est pas d'acte qui vaille qui ne soit fondé, guidé et justifié par une pensée préalable. Bien sûr, aux moments où nos sociétés croulent sous les menaces à la fois endémiques et systémiques, sous leur incapacité à se perpétuer sans détruire à la fois toute relation sociale à l'intérieur ; et le monde, à l'extérieur, bien sûr vaudrait-il mieux retrousser ses manches et préparer les conditions de notre survie. Égoïsme peut-être ; indécence, non ! impudeur, je ne vois pas.

A avoir vu le monde glisser avec une joie presque morbide, perverse en tout cas, dans une absence de pensée qui se voulait pragmatique et être éloge de l'efficacité, je conserve la certitude que jamais notre histoire ne souffrit d'un trop de pensée ; d'une débauche de philosophie mais bien plutôt, au contraire, d'une carence grave qui d'anémie s'achève lentement en paralysie.

A moins que … cette impudeur ne soit l'affirmation renouvelée de l'individu sur le collectif …

Mais alors cette impudeur serait hautement souhaitable. Autre façon de dire que le révolté toujours paraît vulgaire aux oreilles du conformiste.

Ce que finalement l'on entend dans une autre formule datant de 1943 :

« L'art a les mouvements de la pudeur. Il ne peut pas dire les choses directement »

Tout est dit, ici, de la nécessaire retenue. De ce qui fait l'essence de l'œuvre : permettre au récipiendaire de donner à son tour un sens à l'œuvre, qui peut différer de celui qu'avait conçu l'auteur, le compléter ou l'augmenter ; par quoi en tout cas il se l'approprie et lui permet de demeurer vivante. L'œuvre n'est pas chose anodine, ni simple objet que l'on consommerait ; ni matière à quoi un artisan sommerait d'adopter telle forme qu'il aurait choisie. L'œuvre excède toujours le projet de l'artiste, la compréhension du public. L'œuvre fuit, nous échappe. C'est même en ce sens qu'elle nous regarde, engage et augmente.

L'art, pourrait-on écrire vulgairement, est la réponse du berger à la bergère. Sartre avait parfaitement vu l’absurdité du monde ; Camus tout autant. Cette absurdité ne signifiait pas sens imbécile, incohérent ou faux. Absurde dit : sans aucune signification. Ce qui est ne saurait avoir d'autre cause et explication que l'être lui-même. Donc aucune. A charge pour nous de lui donner un sens : c'est très exactement en ceci que réside la condition humaine mais où se joue notre liberté.

Mais c'est dire encore que notre rapport au monde ne saurait se réduire au regard d'un auteur qui donnerait un sens à ce qui n'en aurait pas comme artisan remplirait vase qui fût vide. Etre artiste signifie créer mais certainement pas au sens d'une technique parvenant à réduire la matière à un projet défini. L'art libère le monde en le rendant habitable : en le laissant se moduler au gré des regards qui se posent sur lui. A l'inverse le monde nous libère de ne pas s'imposer comme le ferait une lumière éclatante issue de quelque Parole originelle.

Comment dire mieux alors que la pudeur se trouve à l'intersection même de la liberté, de la pensée et de l'art.

Que voyons-nous lorsque nous regardons une peinture, un paysage une statue ou une fière cathédrale à la gloire de la Vierge ? Nous le savons désormais, avec sans doute autant d'humilité que de désarroi : la chose elle-même, oui, bien-sûr mais partiellement ; nous, surtout, la regardant, déformant, interprétant … qu'importe.

Frenhofer dans le Chef d'œuvre inconnu se désespère que ses amis Nicolas Poussin et Porbus, pourtant peintres tous les deux, au regard que l'on pourrait supposer averti et avisé, que ses amis dont ne comprissent rien à son tableau La Belle Noiseuse. Tant et si bien que, désespéré, il brûlera toutes ses œuvres et périt dans l'incendie de son atelier. Il avait mis toute sa vie, son talent, dans cette œuvre que longtemps il ne sut finir et que personne avant ses deux amis n'avaient pu voir ne fût-ce qu'en esquisse.

Ce qu'il y avait sur la toile - ce qu'en tout cas les deux comparses y virent - un fouillis de couleurs et de traits désordonnés d'où émergeait à peine un pied aux proportions parfaites, aux formes délicieuses !

Cela et rien que cela … en est-on si sûr ?

Bergotte, en contemplant la vue de Delft, comprend que par un tout petit détail - ou qui paraîtrait tel à n'importe qui - ce petit pan de mur si bien peint en jaune, la toile prenait vie et la ville cette épaisseur inouïe qui en comparaison condamnait ses propres pages à une irrémissible et tiédasse trivialité.

On meurt de voir la Beauté absolue au même titre que la vision de l’Éternel vous foudroie. A Venise, von Aschenbach en fera la fatale expérience : le vrai, le beau, le juste se frôlent, se côtoient, mais se doivent éviter. L'œuvre est à ce prix.

Th de Quincey dans un passionnant passage que cite M Yourcenar, raconte non pas ce qu'il vit et compris des Carceri de Piranèse mais ce qu'il en interpréta d'après les dires de son ami Coleridge. Récit, Yourcenar a raison, à la fois fidèle en son esprit, totalement infidèle quant à la lettre. Il est passionnant de voir comment Quincey entrevoit des espaces infinis et d'un gothique paradoxalement romantique enflammés par le vertige de la mort où ils vous entraîneraient autant que Piranèse lui-même espaces pourtant étrangers à l'imaginaire romain ou vénitien. Nous ne voyons décidément que ce que nous pouvons (voulons) voir ! Notre regard lui aussi est un filtre.

Décidément nous nous éloignons toujours un peu plus chaque fois que nous croyons pouvoir dévoiler l'être. Ce filtre, ce dévoilement est la forme esthétique de la pudeur. Ne pas tout dire ni tout montrer ; suggérer. Parce que nous ne le pouvons pas ; parce que nous le devons et donner ainsi sa chance à l'œuvre comme au récipiendaire. Soulever juste un voile ! laisser à peine entrevoir un pied ! surtout pas plus ! et laisser rêve, imagination, piété et enthousiasme poursuivre le reste du chemin.

Certes, on peut faire du beau à partir du laid voire de l'horreur. Picasso peignit Guernica dans les lieux même où Balzac avait situé l'atelier de Frenhofer. On peut tourner l'œuvre dans tous les sens, il n'est ni endroit ni envers. Ni plus de vrai que de mensonge, d'interprétation ou d'embellissement. Ovide avait raison : ce sont des métamorphoses mais de celles dont on ignorera à jamais si ce sont celles que le poète inflige au monde, ou celles que le monde propose au poète.

Les Tables de la Loi étaient écrites des deux côtés.

Qu'a vu Piranèse ou seulement imaginé ? Qu'y voyons-nous ou croyons voir qui nous empêche de simplement détourner les yeux de ce spectacle, certes fascinant, mais tellement dérangeant ?

Et j'ai vu quelque fois ce que l'homme a cru voir écrit Rimbaud.

Que sans doute il est de la dernière élégance de ne pas dire.

 

 

Un jour où je regardais les Antiquités de Rome de Piranèse en compagnie de Coleridge, celui-ci me décrivit une série de gravures de cet artiste, appelée les Rêves et dépeignant ses propres visions durant le délire de la fièvre. Certaines de ces gravures (je les décris seulement d'après le souvenir de ce que m'en a dit Coleridge) représentent de vastes vestibules gothiques ; de formidables engins ou machines, roues, câbles, catapultes, etc., y témoignent d'une énorme puissance mise en oeuvre ou d'une énorme résistance surmontée. On y voit un escalier s'élevant le long d'une muraille, et dont Piranèse monte en tâtonnant les marches. Un peu plus haut, l'escalier s'arrête net, sans aucun garde-fou, n'offrant d'autre issue que celle d'une chute dans l'abîme. Quoi qu'il puisse advenir de l'infortuné Piranèse on suppose donc que d'une manière ou d'une autre ses fatigues vont là prendre fin. Mais levez les yeux, et vous verrez un second escalier situé plus haut encore, sur lequel se trouve de nouveau Piranèse cette fois debout sur l'extrême rebord du gouffre. Une fois de plus, levez les yeux, et vous apercevrez une série de marches encore plus vertigineuses, et sur celles-ci le délirant Piranèse poursuivant son ambitieuse montée ; et ainsi de suite jusqu'à ce que ces escaliers infinis et ce Piranèse désespéré se perdent ensemble dans les ténèbres des régions supérieures. C'est avec la même capacité de développement illimité que l'architecture de mes rêves croissait et se multipliait à l'infini. ..

 

Préambule

Doutes et ambitions

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter

savoir parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

Trois histoires pour commencer

Révélation

histoires d'insoumises

histoires d'abandons

 

élégance   :

l'éloge de la gratuité  

élégance de l'image

images de l'élégance

élégance de la légèreté

pesanteur de la vulgarité

légèreté de l'élégance

de deo : in solido

l'impensable silence

 

bienveillance

humanisme: une affaire d'élégance

du pardon

doute
donner recevoir
ironie
justesse

diableries

diableries suite

qu'est-ce ceci : haïr ?

grâce    
cloisons à éviter
 
goûter le silence

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

chercher

liberté : obéir ou servir

écoute  

philosopher : un geste moral

loi

empathie  

prudence plutôt que scepticisme

 

sexualité

sagesse

 

 
entre silence et parole
    devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

entre intensité et prudence

moi

foi ou crédulité

mensonge
être source ?
partage
fissure
témoigner
refuser la déchéance
vicariat