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Vice

 

Je ne vise pas ici la tendance à céder au mal, parfois cyniquement assumée mais le plus souvent pleutrement cachée sous le tapis. Celui-ci dérive de vitium : imperfection, défaut, tare. Mais de celui qui désigne le vicaire, le supplétif, le lieutenant. Le remplaçant. Il ne faut jamais en sous-estimer la place ni la fonction. oh bien sûr ce pourrait sembler être ensemble vide ! De Gaulle en 58 lors des débats sur la future constitution de la Ve, refusa la création d'une telle fonction : j'aurais l'impression de rencontrer tous les jours ma veuve ! Il est vrai que contrairement aux USA où il préside une des chambres et termine un éventuel mandat interrompu ( ce fut le cas récemment pour Johnson après l'assassinat de Kennedy et de G Ford après la démission de Nixon) une telle fonction demeurerait inutile à moins de déposséder le président du Sénat de la présidence de la République par intérim même si celui-ci n'a alors d'autre fonction que d'organiser les élections suivantes.

Vicarius : remplaçant ! oui mais le pape ne se fit-il pas très tôt appeler vicaire du Christ ? Il faut se méfier de ceux qui se font passer pour petits : la vanité du magistère le rend vite ridicule ; en revanche, le ministre avance en tapinois ; toujours. L'éminence est grise quoiqu'il en veuille laisser accroire. Le Prince qui se pavane d'avancer devant est vite cornaqué par un conseiller habile, faussement humble comme savent l'être tous es courtisans. De Machiavel à Richelieu.

Bref le vice n'est jamais où l'on croit ni qui l'on croit. Valet de pied, harassé de toutes les basses besognes que les hommes de lumière ne s'abaisseraient certainement pas à conduire ; ou bien féal sournois, prompt à la manœuvre et se moquant assurément moins de la réalité du pouvoir que de la vacuité des titres. N'oublions jamais que dans nos récits comme dans nos histoires, le héros n'est le plus souvent qu'un pâle faire-valoir. L'Auguste pèse bien plus que le clown blanc qui n'est qu'un passe-plat ; le capitaine Haddock bien plus intéressant que Tintin qui, sans lui, ne serait qu'un agaçant fouille-merde donneur de leçons.

Nous ne nous intéressons qu'à ces incontournables renversements - sans doute parce que l'existence n'a de sel que de demeurer en grande partie imprévisible. comment savoir, lorsque je rencontre un tel vice, si j'ai plutôt affaire à un personnage falot présent ici uniquement pour combler des interstices vides, ou si, au contraire, je ne serais pas confronté à un de ces hommes de l'ombre, d'autant plus dangereux que courtois, d'autant plus fielleux que cauteleux ? Nous aimons en réalité que l'apparence s'écarte de la réalité quoique nous affections parfois de nous en plaindre. Cela nous offre occasion de penser mais aussi de jouer à notre tour de quelques roueries.

Du politique où il permet de laisser accroire à la continuité de l’État, à la guerre - ou bien à sa figure éponyme, le sport - la doublure est omniprésente. Que la première ligne vienne à être enfoncée, demeure la seconde, voire la troisième. Dans les bons jours, le vicaire est inutile est demeure sagement assis sur le ban de touche ; dans les mauvais il se lève et révèle et, parfois même, sauve la situation. Dans la communication même, elle se révèle essentielle : qui dira jamais la vertu démocratique de la répétition ? Que mon propos soit abscons ou mon auditeur rétif, qu'importe : de m'obliger à me répéter, à m'expliquer, me permet de trouver nouveaux arguments ou exemples, m'offre l'occasion sinon de convaincre en tout cas de me mieux faire comprendre. Il n'est pas de système politique qui ne se présente ainsi comme un mille-feuilles où chaque strate répète, réverbère ; transmet. C'est ici affaire démocratique que ce jeu de répétitions en cascade ; c'est d'ailleurs, illustration a contrario, la marque de tout système autoritaire, tyrannique ou franchement fasciste, que de gommer tous les intermédiaires et de prétendre s'adresser directement au peuple.

Ainsi l'intermédiaire, le porte-parole, le vicaire ne sont-ils jamais éléments blancs, vides ou inutiles. Ou bien s'ils le sont c'est au sens d'être encore indifférenciés, d'être des jokers qui, d'être précisément dédifférenciés peuvent prendre toutes les valeurs possibles. On peut regretter qu'en démocratie représentative, l'écart soit inévitable, la traduction toujours imparfaite et la trahison possible. Mais cet espoir d'une représentation collant parfaitement au réel est illusoire et, sans doute dangereux. Mais cette digression, cette interprétation que font les mandataires de la volonté du mandant demeure aussi la seule possibilité du dialogue, d'arrangement ou amendement et donc de la collégialité de la décision finale.

Je veux comprendre ce doublon - ce lieu-tenant - parce qu'incontestablement il participe de ce mimétisme où R Girard avait repéré l'origine de toutes nos violences mais également le mode d'acquisition des connaissances, de transmission des savoirs, des rites. Bien sûr, il suffit qu'en face de moi quelqu'un ait le même désir que moi, veuille occuper la même place que moi pour que la lutte s'enclenche. Et l'on pourrait ainsi parfaitement imaginer que le vicaire ne pouvant nourrir d'autre imaginaire que d'occuper enfin la lumière. Pour un calife, combien d'Iznogoud ? Se peut-il un César sans Brutus ? Combien de lames maladroitement camouflées sous les toges, ce soir-là au bord du marais de la Chèvre ? Combien de compliments feutrés sonnant comme des déclarations de guerre au soir de la réélection du vieux président malade (88 mais aussi 2002) ou constitutionnellement empêché de se représenter ?

Et si ceci était plus ambivalent ?

Je veux comprendre ce doublon parce qu'il est universel : dès la Genèse on voit ainsi s'entre-croiser deux récits qui ne racontent pas tout à fait la même histoire et, manifestement la création semble se dérouler en deux temps puisque dès sa création, Adam est chargé d'achever le travail en nommant les différents êtres peuplant le monde (Gn,2,19) les commandements sont donnés à de multiples reprises et même la Table de la Loi sera brisée suite à l'épisode du Veau d'Or. L'Alliance sera scellée en fin de compte mais manque à chaque fois d'être rompue. Ce ne saurait être un hasard. Dans la désobéissance initiale, l'homme affirme sa liberté et conquiert la conscience - comme si déroger était nécessaire pour que l'adoration du divin ne fût pas servile mais responsable.

Dans l'ordre de la connaissance, il en va de même : il n'est pas de science du singulier, répétait Aristote. De savoir possible seulement de ce qui se répète à partir de quoi des lois - des relations constances et repérables et ainsi prévisibles entre les phénomènes - pourront être formulées. La raison - ce n'est pas pour rien qu'elle prise tant le langage mathématique - n'entend que le même ou ce qui peut être ramené à une aune commune. Est-ce pour ceci que de l'homme la science sera toujours malaisée tant l'individu - l'atome - est rétif à se laisser rabotter ? pour ceci que de l'individu les histoires sonneront toujours mieux et plus finement que ces orgueilleux modèles mathématiques supposés capables de justifier ses comportement et pensée.

Dans l'ordre de la transmission c'est plus vérifiable encore. Quel est le maître - mais quel parent déjà - qui peut ignorer qu'il n'est rien ni conseil, ni ordre, ni interdit, encore moins connaissance, qui ne doive être répété à de multiples reprises pour être à la fin retenue ? Qui ne se souvient de ces récitations apprises par cœur et inlassablement déclamées ? de ces tables de multiplication répétée à haute et collective voix comme s'il s'était agi d'une ritournelle ? Petit récit émouvant, déniché dans le Talmud de Babylone, où est expliqué que Moïse répétait toujours quatre fois la leçon qu'il avait reçue de Dieu et avait organisé dispositif tel que chacun d'Aaron à ses fils puis aux anciens avant le peuple entier reçût l'enseignement à quatre reprises et la transmît autant de fois. Les sages du Talmud répètent ceci inlassablement : la leçon doit être reçue et transmise à haute et intelligible voix : rien ne peut demeurer ni être retenu ni être compris qui ne surgisse de nos lèvres, clamé, comme une incantation, en public.

Dans l'ordre social comment ne pas y repérer ce qui, précisément, fait que le corps tienne, assemblé, sans se déliter trop vite ? Les répétitions sont les respirations de nos cités, comme la succession inexorable de nos expirations et inspirations : les rites y puisent leur force, et les assemblées (églises, associations, partis …) leur survie. C'est dans ces gestes répétés que nos assentiments deviennent des consentements, nos alliances des cérémonies.

Nous ne savons décidément que mettre nos pas dans les traces anciennes comme s'il nous fallait impérativement prolonger un écho ancien. Celui d'un cri, d'une espérance …

Non décidément le doublon n'est pas seulement fauteur de troubles mais l'enchevêtrement de nos alliances

En réalité c'est l'humain en lui-même, en son étrange absence de nature, relevant de cette position qui d'un seul tenant mine sa force mais atténue sa faiblesse qui constitue à la fois la négation et l'image de l'être, constamment en porte-à-faux, déchiré qu'il est entre l'impérieux souci d'être qui le conduit à tout balayer, nier, parfois détruire en tout cas transformer et ce si discret soupir qui est le chant même de l'être qui le fait rêver d'un jour s'assagir comme il avait eu, un jour, sagesse et plaisir d'enfin obéir à sa mère et la rendre fière, c'est l'homme, oui, qui est ce lieu-tenant, manquant toujours à sa tâche de nommer choses et êtres, mi-serviteur mi-comploteur.

Ami, pourquoi acceptes-tu cette position de lieutenant ? Par ambition à l'exécution sans cesse reportée ? Par louable souci de servir ?

Le président est celui qui siège devant : amusant de constater combien nos protocoles respectent à la lettre l'étymologie qui font tous les autres se tenir un pas en arrière quitte à bafouer pour l'occasion les règles élémentaires de la galanterie comme si la foudre blasphématoire se serait abattue si quiconque se fût enquis de devancer le Prince. Où peut bien se tenir son vicaire lui qui précisément n'est nulle part, ne le peut ? Les lieux du pouvoir ne sont jamais neutres : ils se veulent flamboyants, plus grands, altiers et clinquants que nul autre. C'est bien pour cela que de Gaulle répugna d'abord à s'installer à l’Élysée - ce palais de la main gauche - et que Louis XIV n'eut de cesse de lever l'affront de Vaux le Vicomte et de faire de Versailles le centre du monde. Le pouvoir en réalité crée ses lieux et dispose alentour fontaines et statuaires à sa gloire ; aux yeux du pouvoir, le monde n'est qu'un décor ; périphérique. Un faire-valoir ! ici réside sans doute la grande perversion du pouvoir qui instrumentalise le monde au point de n'être que lointain écho presque déjà assourdi de sa splendeur quand le Prince ne devrait jamais pouvoir se justifier que d'être au service du monde. Ici la raison fondamentale pour laquelle s'en éloigner demeure salutaire.

Ami, reste à l'ombre : il y fait plus frais et les morsures y sont moins meurtrières !

C'est peut-être à cet endroit exact, parce que, oui, il s'agit d'un espace, étroit certes, comme une anfractuosité où se tenir droit relève du prodige, où l'homonymie cesse d'être un caprice ironique de la langue pour se muer en véritable défi.

Le latin dit, défaillance, défaut, tare ou imperfection : autre manière de dire qu'il serait moins question d'une inclination coupable que d'une brisure, d'une défaillance au même titre que le mal serait plutôt une absence de bien.

J'aime la manière dont est ici représentée la question morale : Jacob Jordaens intitule son tableau : Connais-toi toi-même (la jeunesse entre le vice et la vertu). Nous l'avons souvent suggéré : la question morale commence avec l'incertitude ; l'indécision. Tout est offert à la jeune femme : la beauté et le miroir pour vaniteusement s'y perdre. Entourée de deux personnages : le vice souriant et goguenard ; la vertu qui n'offre rien mais pointe vers LE Livre ! Jolie manière, au reste, de détourner le Γνῶθι σεαυτόν du Temple d'Apollon. Joli doublet que celui-ci comme si ange gardien et diablotin n'étaient que faces inversées d'une même réalité, la vicariance l'un de l'autre ; que les deux se confondissent au moins qu'on pût écrire tentation de la vertu et apprentissage du vice. La jeunesse qui n'est rien encore est sise à l'exact croisement. Un peu de philosophie suffirait-il vraiment à l'éloigner du vice et lui faire embrasser la vertu ?

Evidemment non !

Il est toujours instance ou insistance qui vous admoneste et contraint de sortir de l'ambivalence. Ceci se nomme action ! assumer et donc répondre de ses actes ce qui est encore parler.

Nietzsche n'avait pas tout à fait tort de se moquer des philosophes, amoureux transis mais impuissants de la vérité, aussi incapables de la circonvenir que d'y renoncer. C'était pointer qu'entre pensée et action la collusion était trop intime pour que l'une servît de prétexte, de paravent ou d'excuse à l'autre.

Reste la seule question qui vaille : comment agir sans se souiller ou souiller les autres. Je ne suis pas certain que vivre avilisse ; persuadé nonobstant que le péril en est grand et constant. Au crépuscule quand vos bras portent malaisément les fardeaux les plus légers, quand l'initiative vous est interdite et que l'on n'attend plus rien de vous ; quand vous avez cessé d'être utile ou utilisable, je ne sais si l'on se présente devant un juge mais je suis convaincu que la question taraude qui manque à chaque fois de vous empêcher de vous regarder dans la glace : de quelle ignominie suis-je responsable que je ne pus compenser ; de quel acte ai-je à ce point honte que je m'interdis même d'y songer ? de quelle lourdeur suis-je coupable ?

C'est par ce moment qui justement n'est plus un espace, que l'on sort de l'ombre, de l'indécision.

Du vice.

Préambule

Doutes et ambitions

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter

savoir parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

Trois histoires pour commencer

Révélation

histoires d'insoumises

histoires d'abandons

 

élégance   :

l'éloge de la gratuité  

élégance de l'image

images de l'élégance

élégance de la légèreté

pesanteur de la vulgarité

légèreté de l'élégance

de deo : in solido

l'impensable silence

 

bienveillance

humanisme: une affaire d'élégance

du pardon

doute
donner recevoir
ironie
justesse

diableries

diableries suite

qu'est-ce ceci : haïr ?

grâce    
cloisons à éviter
 
goûter le silence

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

chercher

liberté : obéir ou servir

écoute  

philosopher : un geste moral

loi

empathie  

prudence plutôt que scepticisme

 

sexualité

sagesse

 

 
entre silence et parole
    devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

entre intensité et prudence

moi

foi ou crédulité

mensonge
être source ?
partage
fissure
témoigner
refuser la déchéance
vicariat