Bloc-Notes 2016
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La mort de Romulus

Cicéron Tite-Live Denys d'Halicarnasse Ovide Plutarque Augustin d'Hippone

 

Cicéron De Republica

X. Après avoir régné trente-sept ans et élevé ces deux solides colonnes de la république, les auspices et le sénat, Romulus disparut pendant une éclipse de soleil, et obtint cet insigne honneur qu'on le crut transporté au rang des Dieux: renommée merveilleuse pour un mortel, et qu'une vertu extraordinaire a pu seule mériter.
...
Mais il avait montré tant de vertu et de génie, que le peuple n'hésita pas à se laisser persuader de lui ce que depuis bien des siècles on n'avait voulu croire d'aucun mortel, alors que Julius Proculus, un homme simple envoyé par les Pères, qui tenaient à écarter loin d'eux le soupçon de la mort de Romulus, vint déclarer dans l'assemblée publique que Romulus lui était apparu sur la colline que l'on appelle maintenant Quirinale, lui avait ordonné de demander au peuple qu'un temple lui fût élevé sur cette colline, ajoutant qu'il était dieu et s'appelait Quirinus.

 

Tite Live

1) Après ces immortels travaux, et un jour qu’il assistait à une assemblée, dans un lieu voisin du marais de la Chèvre, pour procéder au recensement de l’armée, survint tout à coup un orage, accompagné d’éclats de tonnerre, et le roi, enveloppé d’une vapeur épaisse, fut soustrait à tous les regards. Depuis, il ne reparut plus sur la terre. (2) Quand l’effroi fut calmé, quand à l’obscurité profonde eut succédé un jour tranquille et pur, le peuple romain, voyant la place de Romulus inoccupée, semblait peu éloigné de croire au témoignage des sénateurs, lesquels, demeurés près du roi, affirmaient que, pendant l’orage, il avait été enlevé au ciel. Cependant, comme si l’idée d’être à jamais privé de son roi l’eût frappé de terreur, il resta quelque temps dans un morne silence. (3) Enfin, entraînés par l’exemple de quelques-uns, tous, par acclamations unanimes, saluent Romulus, dieu, fils de dieu, roi et père de la ville romaine. Ils lui demandent ; ils le conjurent de jeter toujours un regard propice sur sa postérité. (4) Je suppose qu’il ne manqua pas alors de gens qui accusèrent tout bas les sénateurs d’avoir déchiré Romulus de leurs propres mains ; le bruit même s’en répandit, mais n’acquit jamais beaucoup de consistance. Cependant l’admiration qu’il inspirait, et la terreur du moment, ont consacré le merveilleux de la première tradition.


(5) On ajoute que la révélation d’un citoyen vint fortifier encore cette croyance. Tandis que Rome inquiète déplorait la mort de son roi, et laissait percer sa haine contre les sénateurs, Proculus Julius, autorité grave, dit-on, même à propos d’un fait aussi extraordinaire, s’avança au milieu de l’assemblée, et dit : (6) "Romains, le père de cette ville, Romulus, descendu tout à coup des cieux, m’est apparu ce matin au lever du jour. Frappé de terreur et de respect, je restais immobile, tâchant d’obtenir de lui, par mes prières, qu’il me permît de contempler son visage : (7) "Va, dit-il, annoncer à tes concitoyens que cette ville que j’ai fondée, ma Rome, sera la reine du monde ; telle est la volonté du ciel. Que les Romains se livrent donc tout entiers à la science de la guerre ; qu’ils sachent, et après eux leurs descendants, que nulle puissance humaine ne pourra résister aux armes de Rome." À ces mots, continua Proculus, il s’éleva dans les airs. (8) Il est étonnant qu’on ait si facilement ajouté foi à un pareil discours, et aussi combien la certitude de l’immortalité de Romulus adoucit les regrets du peuple et de l’armée.

Denys d'Halicarnasse Antiquités romaines

LVI. 1. Voilà les guerres mémorables que Romulus a faites. S’il ne soumit pas plus de nations voisines cela semble être dû à sa mort soudaine, qui se produisit alors qu'il était toujours dans la force de l’âge pour accomplir des exploits guerriers. Sur sa mort il y a beaucoup d’histoires différentes
2. Ceux qui présentent une histoire plutôt fabuleuse de sa vie disent que tandis qu'il haranguait ses hommes dans le camp, une obscurité soudaine s’abattit dans un ciel clair et qu’un violent d'orage éclata, et alors il disparut; et ces auteurs croient qu'il a été enlevé au ciel par son père Mars.
3. Mais ceux qui écrivent des histoires plus plausibles disent qu'il fut tué par ses propres concitoyens; et la raison qu'ils donnent pour son meurtre c’est qu'il libéra sans demander l’avis de personne, contrairement à la coutume, les otages pris aux Véïens, et qu'il ne se comportait plus de la même manière envers les citoyens originaux et envers ceux qui furent inscrits plus tard, mais il honorait plus ces premiers alors qu’il méprisait les nouveaux venus, et aussi en raison de sa grande cruauté dans le châtiment des délinquants (par exemple, il avait ordonné qu’un groupe de Romains accusés du brigandage contre les peuples voisins soit jeté du haut de la Roche après avoir rendu un jugement seul, bien qu'ils ne fussent pas de basse naissance et qu’ils fussent nombreux), mais surtout parce qu'il paraissait être devenu dur et arrogant et qu’il exerçait son pouvoir plus comme un tyran que comme un roi.
4. Pour ces raisons, ils disent que les patriciens ourdirent une conspiration contre lui et décidèrent de le massacrer; et après l’avoir exécuté le meurtre dans le Sénat, ils dépecèrent son corps en petits morceaux, pour qu'on ne puisse les voir, et puis ils sortirent, chacun cachant sa partie de corps sous sa longue robe, et l'enterrant ensuite en secret.
5. D'autres disent que, alors qu’il haranguait le peuple il fut massacré par les nouveaux citoyens de Rome, et qu'ils exécutèrent le meurtre au moment où il y avait de la pluie et de l'obscurité, alors que l'assemblée du peuple s’était dispersée et que leur chef était sans sa garde. Et pour cette raison, disent-ils, le jour où cet événement s'est produit tire son nom de la fuite du peuple et s'appelle encore maintenant Populifugia (la Fuite du Peuple).
6. Quoi qu’il en soit, les circonstances qui accompagnèrent, sous la direction du Ciel, la naissance et la mort de cet homme semblent donner beaucoup d’autorité à l’avis de ceux qui considèrent comme dieux des hommes mortels et qui placent les âmes des personnes illustres dans le ciel. Ils disent qu'au moment où sa mère a été violée, que ce soit par un homme ou par un dieu, il y eut une éclipse totale de soleil et une obscurité générale comme si la nuit recouvrait la terre, et qu'à sa mort la même chose s'est produite.

 

Ovide Les Fastes

Il est un lieu que les anciens appelaient le marais de la Chèvre. Un jour que Romulus y dictait des lois à son peuple naissant, le soleil se voile tout à coup, des nuages rapides dérobent de tous côtés l'aspect du ciel, la pluie tombe par torrents, la foudre retentit, des éclairs sillonnent les airs, tout fuit; cependant Romulus montait aux cieux sur le char de son père. Le peuple, dans sa douleur, accusait les sénateurs d'un meurtre; et peut-être n'auraient-ils pu se laver de cet odieux soupçon sans Julius Proculus. Celui-ci revenait d'Albe-la-Longue; la clarté de la lune était le seul flambeau qui guidât ses pas; tout à coup il entend les nuages s'entrechoquer à sa gauche avec fracas; il recule effrayé, ses cheveux se dressent sur sa tête: Romulus lui apparaît, debout, au milieu du chemin; une beauté céleste est répandue sur ses traits; sa taille dépasse celle des mortels; il est revêtu de la trabée: "Que les Quirites, dit-il, cessent de me pleurer: je suis au rang des dieux, et ces larmes m'offensent; qu'on m'offre de l'encens, qu'une foule pieuse m'adore sous le nom de Quirinus; que les Romains excellent à la guerre, et qu'on reconnaisse toujours en eux les enfants de Romulus." Il dit, et l'apparition se dissipe dans le vide des airs. Proculus assemble le peuple et lui annonce les volontés de Romulus. Un temple s'élève pour le nouveau dieu; une colline reçoit son nom, et, chaque année, le même jour ramène la fête du père des Romains.

Plutarque Vie de Romulus Vie des hommes illustres

Augustin d'Hippone La cité de dieu 3, 15

Et quelle fut la fin de ces rois eux-mêmes? Une fable adulatrice place Romulus dans le ciel, mais plusieurs historiens rapportent au contraire qu’il fut mis en pièces par le sénat à cause de sa cruauté, et que l’on suborna un certain Julius Proculus pour faire croire que Romulus lui était apparu et l’avait chargé d’ordonner de sa part au peuple romain de l’honorer comme un dieu, expédient qui apaisa le peuple sur le point de se soulever contre le sénat. Une éclipse de soleil survint alors fort à propos pour confirmer cette opinion; car le peuple, peu instruit des secrets de la nature, ne manqua pas de l’attribuer à la vertu de Romulus : comme si la défaillance de cet astre, à l’interpréter en signe de deuil, ne devait pas plutôt faire croire que Romulus avait été assassiné et que le soleil se cachait pour ne pas voir un si grand crime, ainsi qu’il arriva en effet lorsque la cruauté et l’impiété des Juifs attachèrent en croix Notre-Seigneur. Pour montrer que l’obscurcissement du soleil, lors de ce dernier événement, n’arriva pas suivant le cours ordinaire des astres, il suffit de considérer que les Juifs célébraient alors la pâque, ce qui n’a lieu que dans la pleine lune : or, les éclipses de soleil n’arrivent jamais naturellement qu’à la fin de la lunaison. Cicéron témoigne aussi que l’entrée de Romulus parmi les dieux est plutôt imaginaire que réelle, lorsque le faisant louer par Scipion dans ses livres De la République, il dit: « Romulus laissa de lui une telle idée, qu’étant disparu tout d’un coup pendant une éclipse de soleil , on crut qu’il avait été enlevé parmi les dieux: opinion qu’on n’a jamais eue d’un mortel sans qu’il n’ait déployé une vertu extraordinaire ». Et quant à ce que dit Cicéron que Romulus disparut tout d’un coup, ces paroles marquent ou la violence de la tempête qui le fit périr, ou le secret de l’assassinat: attendu que, suivant d’autres historiens, l’éclipse fut accompagnée de tonnerres qui, sans doute, favorisèrent le crime ou même consumèrent Romulus. En effet, Cicéron, dans l’ouvrage cité plus haut, dit, à propos de Tullus Hostilius, troisième roi de Rome, tué aussi d’un coup de foudre, qu’on ne crut pas pour cela qu’il eût été reçu parmi les dieux, comme on le croyait de Romulus, afin peut-être de ne pas avilir cet honneur en le rendant trop commun. li dit encore ouvertement dans ses harangues: « Le fondateur de cette cité, Romulus, nous l’avons, par notre bienveillance et l’autorité de la renommée, élevé au rang des dieux immortels ». Par où il veut faire entendre que la divinité de Romulus n’est point une chose réelle, mais une tradition répandue à la faveur de l’admiration et de la reconnaissance qu’inspiraient ses grands services