Philosopher
Pourquoi tourner autour du pot? J'ai bien failli en
concevant l'architecture de mes petites réflexions, omettre une entrée Philosophie comme si approcher la communication, le politique et
l'enseignement dut résumer l'effort philosophique. Et si, au contraire, ce qui donnait un sens à tout cela
n'était autre que la philosophie elle-même? Je ne puis
pas ne pas songer à ce que Camus notait dans ses Carnets où il
regrettait qu'il n'y eût désormais plus de philosophes mais seulement des
professeurs de philosophie ! On n'entame jamais de telles études, on
ne rêve d'une telle profession sans une fascination initiale, sans qu'un
mentor ne vous en eût ouvert la voie, sans, peut-être une délicieuse
névrose....J'eus les trois. Si, très tôt, je n'envisageais pas d'autre
rêve que celui d'enseigner - ce qui mériterait peut-être à soi seul d'être
interrogé - je n'optai pour la philosophie, au lieu de l'histoire, que
sous les délices adolescentes d'une prof qui me fascina alors. A qui, au
fond, je dois tout ! Dont j'ai conservé le nom quand j'ai
oublié celui de tous mes autres enseignants - ce n'est pas un hasard. Qu'avait-elle, que n'eurent pas les autres ? Que
créa-t-elle quand les autres ne firent que demeurer répétiteurs?
L'ambivalence de la sofia
De quoi était-il question alors, quand les cours furent,
pour la première fois, non pas quelque chose à apprendre, de plus ou moins
intéressant ou utile, mais au contraire de parole à vivre, qui vous
interpellait et engageait non pas tant ce que nous savions mais ce que nous
étions, ou, plutôt, pointait non tant nos ignorances que nos défaillances.
Ce qui séduisit alors l'adolescent que j'étais, ivre de
sens et contrefait de certitudes, c'était au moins autant le balayage
violent de mes supposés acquis que l'appel du grand large. Sortir de ce que le savoir scolaire pouvait avoir d'étriqué
, participer à ce superbe jeu de massacre du doute méthodique transformait
assurément les chemins de la connaissance en une bien belle aventure où pour
la première fois je cessais d'être public muet devant un spectacle imposé,
mais enfin acteur, engagé, inquiet, mais intrépide et hâbleur ! Car c'est ceci aussi la philosophie, ce qu'elle m'apparut
alors : non seulement une marche vers la connaissance, prudente, rigoureuse,
difficile, certes, mais aussi une manière d'être, un art de vivre, une quête
de ce qui se peut vivre et pas seulement savoir, bref, une quête de sagesse. Pourquoi,
à ce moment, songer à Montaigne, dont elle parla peu voire pas du tout, sinon parce que
ce dernier demeure le symbole de cette philosophie qui se tient à
équidistance du savoir que l'on cherche et de la sagesse que l'on désespère
de perdre, au mitan du dogme et d'un relativisme facile, au lieu même où se
déploie la vie et ce qui s'y essaie, à partir d'elle, au cœur d'elle.
Primum vivere, deinde philosophari
A l'heure où chacun s'essaie à la morale, il y a quelque chose à méditer de cet exemple d'une philosophie qui ne se déploie pas des préceptes abstraits vers le quotidien, qui n'exige pas de la raison qu'elle régisse la complexité de l'existence, mais, bien au contraire s'appuie sur l'expérience pour inciter chacun de nous à chercher ... - à trouver? - sans jamais sombrer ni dans le scepticisme, ni dans le dogmatisme.