index précédent suivant

 

 

Sincérité et franchise

 

Sincérité ou franchise ?

Voici encore deux termes d'entre lesquels il est difficile de dénicher différence. Qui illustre encore une fois l'incroyable négligence, pour ne pas dire paresse, avec laquelle nous usons de la langue et, finalement, l'usons. C'est affaire connue que celle-ci est vivante et que mots comme significations changent ; c'en est une autre que de ne plus saisir les nuances et c'est une faute contre l'esprit de ne s'en pas même soucier. Pourtant c'est notre rapport au monde au moins autant que notre rapport à l'autre qui en dépend - ce pourquoi sincérité relève autant de la solidarité que de la réciprocité. Et que j'éprouve difficulté à la classer plutôt ici que là.

J'aime assez - ce qu'on lit ici et là, que sincérité renvoie d'abord à soi, à cette authenticité qui, au delà de tout jugement moral, vous fait paraître en toute clarté, tel que vous êtes, au risque parfois d'endurer critique, diatribes, jugements. Ou qu'en franchise se jouerait en plus l'idée de liberté qui serait toujours celle d'une parole qu'on adresse à l'autre et qui se veut garantir la véracité des faits.

Sincère : du latin sincerus : pur, non fardé, non corrompu. Il ne faut assurément pas chercher dans pureté je ne sais quelle signification métaphysique que les pudibonds de toute obédience aime glisser comme autant de pièges : la pureté désigne simplement le fait d'être sans artifice, tout d'une pièce pourrait-on dire - ce que suggère le préfixe sin (syn) indiquant la fusion, l'unité.

Toutes les références bibliques - et elles ne sont pas nombreuses s'agissant de sincérité - vont dans le même sens :

Être sincère, c'est être soi-même, en toute clarté, au-delà de tout jugement moral. Franchise, véracité, honnêteté : À la différence de la sincérité, qui se rapporte davantage à soi (à l'énonciateur), la franchise ou la véracité concerne une parole qui se rapporte à la vérité des faits (l'énoncé et l'énonciation)

Elle était là sur le côté d'un chemin où je me promenais, cette pierre - car ce n'était pas un rocher, pas même un roc - fendue tout du milieu par le gel, l'érosion, le temps ou je ne sais quelle force mystérieuse. Figure par excellence de la sincérité, de cette absence de fard : même percée en son cœur, la masse ne présente aucun mélange, aucun corps étranger ; de la périphérie en son centre, elle demeure à soi-même ce qu'elle est et fut toujours et sa surface ne diffère en rien de son cœur.

Les psychologues les plus attentifs, les scientifiques les plus méthodiques, les directeurs de conscience les plus sournois y auraient perdu leur flegme ou leur latin, qui eussent beau s'acharner à fouailler dans les recoins les plus reculés, mais n'y eussent rien trouvé à redire ni surtout ombre, antique secret ou culpabilité originelle.

L'avons-nous assez souligné : il n'est rien dans notre méthode, nos appareils théoriques parfois si indigestes, nos philosophies enfin qui ne participe de ce principe, presque jamais aussi nettement formulé, sûrement pas élucidé, selon quoi, sous l'apparence se déroberait réalité plus riche, plus dense, plus réelle en fin de compte ; plus vraie. Nous nous épuisons à débusquer sous la peau du monde, tissus, muscles, cellules, génome et autre cytosine : dans le ciel, planètes, étoiles, galaxies et trous noirs, ne doutant pas de dénicher quelque état primordial d'une matière toujours en expansion mais dont les tout premiers instants eussent quelque chose à nous révéler - confesser ? - intuition persistante qui nous fait inventer mille et un subterfuges, mille et un modèles ou hypothèses que les uns s'épuiseront à démonter ; d'autres à démontrer. La nature, pour sûr, parle en symboles mathématiques, à ceux en tout cas qui veulent l'entendre ainsi ; je ne suis pas aussi certain que Bachelard qu'en langage vernaculaire elle dise bien autre chose.

Il en va ainsi jusque pour cette vérité que nous proclamons vouloir défendre ou chercher. Celle-ci signifie dévoilement, on le sait ; révélation parce qu'il y aurait, nécessairement, des choses cachées depuis la fondation du monde.

Pourtant !

Et si, en sortant de la caverne, le pauvre errant n'entrevoyait rien d'autre que ce qui s'était déjà donné à sa vue à l'intérieur ? Et si tout avait été dit déjà dans la Parole originaire ce que la tradition talmudique pense d'ailleurs. Dans cet incroyable confrontation entre ténèbres et lumière, entre ce qui brille et se camoufle, il n'y a peut-être rien d'autre qu'un jeu d'ombre et de retrait. L'illusion d'une aurore ou les rougeoiements d'un crépuscule …

Et si, plutôt qu'Héraclite, ce fut Parménide qui approchât le mieux de l’Être en proclamant simplement qu'il est quand le néant n'était pas ? qu'il en allât de l'être comme de cette pierre qu'on pourra pourfendre autant qu'on voudra sans jamais y trouver autre chose que de la pierre.

La sincérité est une ouverture de cœur qui nous montre tels que nous sommes ; c’est un amour de la vérité, une répugnance à se déguiser, un désir de se dédommager de ses défauts et de les diminuer même par le mérite de les avouer. La Rochefoucauld

Et si nos âmes moins opaques que nous ne l'imaginions, moins obscures qu'on ne veuille nous le laisser accroire, étaient comme livre ouvert écrit en une langue connue de tous ou, pour le moins aisément reconnaissable ?

Je veux bien croire les psychologues accoutumés à repérer les arcanes et truchements usés de nos âmes car, oui décidément, leur ordonnancement est décidément toujours le même. Nous avons beau orgueilleusement nous imaginer de complexion sophistiquée, en réalité, de manière à peine modulée, nous ne parvenons qu'à conjuguer l'angoisse et l'ambition où nous plongent l'incertitude de notre place dans le monde et la nécessité de l'inventer.

Je n'ai pas toujours mesuré assez l'importance de l'opprobre jetée sur le mensonge. Ce dernier figure pourtant dans le Décalogue sous la forme de l'interdit du faux témoignage. Certes le mensonge engage ici le rapport à l'autre mais, après tout, est-il tant de différences entre tromper l'autre et se tromper soi-même, mentir à l'autre ou se mentir à soi-même ? sinon l'évidente intention de nuire mais après tout manquer à soi-même inflige autant de blessures et de déceptions à soi qu'à l'autre. Kant en avait fait un interdit majeur, sans condition et même si nous avons tous tendance à nourrir quelque indulgence à l'endroit de nos petits mensonges quotidiens comme si d'être petits ou fréquents les rendissent plus acceptables, ou que le prétexte de ne pas blesser autrui les justifiât même parfois. J'aime le verbe tromper qui distingue si malaisément entre l'erreur et le mensonge. Serait-ce que l'erreur fût déjà une sorte de mensonge qu'on se ferait à soi-même de n'avoir simplement pas su tendre l'oreille et entendre les signes pourtant limpides du vent dans les broussailles ni ouvrir les yeux et contempler les inquiétantes épopées que chantent les nuages empressés d'affronter le soleil couchant. Augures comme prophètes parlent comme chante l'eau dévalant les cascades : que nous importent prélats, herméneutes et doctes à la superbe ridicule ?

Je comprends aujourd'hui que le travestissement de notre pensée, le camouflage de nos opinions, la civilité forcée de nos prises de position, tout ce qu'aujourd'hui l'on nomme improprement le politiquement correct qui nous fait nous jouer d'euphémismes, périphrases voire métaphores pour ne pas nommer la crudité du monde, nous rend à ce point sages, acceptables, convenus, conformistes qu'à la fin nous n'exprimons plus rien sinon la doxa et le peu que, provisoirement, elle daigne admettre.

Voici tout cet étrange paradoxe de la communication mais aussi de cette civilité aseptisée exigeant une politesse trahissant trop bien son objet : araser, polir, raboter tout ce qui d'aspérité ou d'insolite pourrait vous distinguer de l'autre. Comment faire pour que l'art du bien parler ne s'étiole pas en insupportable sophisme ou pharisaïsme ? comment au devant de l'autre demeurer authentique sans être barbare ? sincère sans heurter ? franc sans blesser ?

Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, suggère l'adage ; notamment notre vérité. L'hypocrisie ne commence-t-elle pas dans cette authenticité que l'on masque ou édulcore ?

Je le sais depuis toujours : la difficulté de l'être, mais donc aussi sa chance, tient à la présence de l'autre. Se tenir debout, devant le divin qui sait percer tous les mensonges et les aimables paresses ou devant notre prochain qui se berce d'autant moins d'illusions qu'il manigance les mêmes truchements que nous, revient à inventer cette ligne étroite qui ne bafoue pas plus l'autre qu'il ne vous humilie vous-même. En terme de savoir Descartes avait compris que le risque de contredire l'autre était souvent le point de départ de la connaissance ; Bergson avait repéré que le héros ne se contente pas de seulement vouloir maintenir en l'état ce qui existe mais est prêt à toutes les ruptures éventuellement nécessaires qui autorisent l'épanouissement de l'humanité de l'homme et font que, subitement, plus rien ne saurait être comme avant. Qu'en fin de compte normes, usages, prescriptions ne sont qu'outils ne valant que ce qu'ils favorisent et pour autant qu'ils y parviennent. La perversion débute toujours dans l'orgueil du moyen bombant le torse jusqu'à se prendre pour une fin en soi. La bulle finit toujours par éclater … à l'instar de la grenouille. Comprenons-nous : l'authenticité, la franchise n'est pas une affaire de dosage qui rendrait supportable voire nécessaire un léger trouble. Mais une question de position.

Se tenir devant la patiente et insensible éclosion de l'être en sorte de ne jamais lui faire ombrage ni non plus la laisser vous miner, tel est sans doute la ligne ténue où se rejoignent le dévoilement de l'ἀλήθεια que le grec nomme aussi apocalypse et l'éclosion de la φύσις, où le grec lit ce qui croît ou grandit et non l'épaisseur noire du roc …je ne connais pas d'approche plus prometteuse de la sincérité.

La sincérité, oui, est affaire de rocher ! celui sans doute que Sisyphe fut condamné à incessamment pousser pour prix de la duperie qu'il tenta contre Thanatos. Certes son sort est assurément tragique parce qu'il est parfaitement conscient de l'absurdité de son calvaire et de l'irréfragable répétition de ce rocher qu'il pousse inlassablement mais qui retombe tout aussitôt. Mais Sisyphe ne saurait oublier qu'il est l'auteur autant que l'acteur de ce destin qu'il a voulu. Sisyphe est héros de la négation : il brave les dieux et met sa liberté au-dessus de tout. Je ne sais si la foi soulève les montagnes ; braver les dieux, duper la mort en tout cas fait soulever les rochers.

Ce roc n'est ainsi pas seulement en son unité symbole de sincérité mais la forme même que revêt la franchise sitôt qu'elle rime avec désir inextinguible de liberté.

 

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter et parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

élégance    
Dieu

bienveillance

humanisme
doute
donner recevoir
ironie
justesse
qu'est-ce ceci : haïr ?
grâce    
cloisons à éviter
 
 

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

 

liberté

écoute  

philosopher

loi

empathie  

scepticisme

obéir

sexualité

sagesse

servir

 
devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

intensité

moi

foi ou crédulité ?

mensonge
 

partage

prudence
 
 
vicariat

 

 

 

 


 


 1)

1 Rois

1 Rois 9:4 Et toi, si tu marches en ma présence comme a marché David, ton père, avec sincérité de coeur et avec droiture, faisant tout ce que je t'ai commandé, si tu observes mes lois et mes ordonnances,

1 Chroniques

1 Chroniques 12:38 Tous ces hommes, gens de guerre, prêts à combattre, arrivèrent à Hébron en sincérité de coeur pour établir David roi sur tout Israël. Et tout le reste d'Israël était également unanime pour faire régner David.

Psaumes

Psaumes 5:9 (5:10) Car il n'y a point de sincérité dans leur bouche ; Leur coeur est rempli de malice, Leur gosier est un sépulcre ouvert, Et ils ont sur la langue des paroles flatteuses.

Psaumes 145:18 L'Éternel est près de tous ceux qui l'invoquent, De tous ceux qui l'invoquent avec sincérité ;

2 Corinthiens

2 Corinthiens 2:17 Car nous ne falsifions point la parole de Dieu, comme font plusieurs ; mais c'est avec sincérité, mais c'est de la part de Dieu, que nous parlons en Christ devant Dieu.

2 Corinthiens 8:8 Je ne dis pas cela pour donner un ordre, mais pour éprouver, par le zèle des autres, la sincérité de votre charité.