index précédent suivant

 

 

D'entre intensité et prudence

Il n'y a pas : cette morale du juste milieu a détestable fumet notaire de province gérant son petit pécule en bon père de famille. Aristote a beau dire que ce milieu que vise la vertu nous est relatif et implique en conséquence que nous nous connaissions un tant soit peu pour le déterminer correctement en raison de nos besoins et capacités, il n'empêche qu'il nous met en cruel porte-à-faux autant avec nous-mêmes qu'avec cette époque qui ne jure, en ses empressements, craintes et attentes, que par ses excès, démesures, outrances …

Tout nous incite à l'intensité … pour ne pas écrire l'outrance. Tout, depuis si longtemps, a tant épousé le rythme affolant de la rotation du capital et de nos présomptions de grandeur que nous finîmes par croire sincèrement qu'il n'était d'autre voie juste que d'aller toujours plus loin, plus vite, plus fort et que, si nous n'y parvenions pas, il ne tenait qu'à nous de nous y efforcer à moins d'avouer notre inadaptation et de piteusement nous en contrire.

Je les regarde qui, tous, sur un mode ou un autre, luttent contre le ralentissement et un alourdissement qui pourtant pointe déjà. Ils courent, parfois apprennent à se battre ou défendre, qu'importe d'ailleurs : tôt matin, au soir tombé, et même durant la pause de midi, leur défi est toujours énorme - mais il parait que l'on dit challenge désormais - être à la hauteur ! Certes, mais de quoi ?

Curieuse société que la nôtre qui crut ne jamais pouvoir - ni surtout devoir - s'arrêter. Et s'arrêta néanmoins. Qui nous incita à bouger, éliminer, mais surtout à ne cesser jamais sous l'égide de l'excellence, vouloir nous dépasser confondant allègrement qualité et quantité, réalisation de soi avec performance, efficacité avec rentabilité. En ne sacrifiant jamais qu'à la seule valeur travail.

Elle dut néanmoins le faire et se confina - et nous avec ! Je crois qu'elle le paie … et nous avec.

Il y a pourtant, pourquoi le nier, plaisir et grande liberté, au moins apparente, à se laisser embarquer, enivrer d'émotions en passions qui, elles au moins, vous emportent au-delà de soi-même et respirent tellement moins l'ennui que ce sage ordonnancement de joies et devoisr, cette arithmétique bien entendue des souffrances et des plaisirs que préconise la raison ordinaire, qu'elle soit utilitariste ou non.

Mais aussi loin que nos audaces, manquements ou infraction nous emportent, à la fin il faut bien échouer sur quelque rive. Qui sait endurer cette tristesse ; cet implacable désœuvrement ; cette mélancolie qui vous ronge plus sûrement que les années ou les déceptions ? et vous abandonnent amers, défaits ; refaits ?

Il sortait tous les jours après avoir déjeuné, qu'il pleuve, gèle ou vente. Que lui importait. Il faisait sa promenade avec une régularité telle que même métronome le plus ajusté n'aurait su l'égaler. La canne à la main, bien vêtu car, quoique prétendant qu'elle fût futile, il tenait à se conformer à la mode et jouer sur les couleurs de sa vêture comme fleurs et arbres pouvaient le faire. Il ne laissait rien au hasard ; ni l'heure ni même la manière de marcher ou de respirer. Il préférait marcher seul car accompagné il lui eût fallu parler. Or outre que la compagnie de ses convives y avait suffisamment pourvu, il estimait devoir respirer par le nez et non par la bouche ce qu'il eût fait s'il avait parlé en marchant. L'air suivant un chemin plus long, passant par le nez avait temps de se réchauffer et d'ainsi moins agresser ses bronches. Il tenait de là, croyait-il, sa grande santé et la réticences des grands embarras de l'hiver à le meurtrir. Il avait identiques manies, à moins que ce ne fussent obsessions, à poser ses pieds pour s'assurer fermeté : non point en avant et obliquement, mais perpendiculairement et en les frappant posant ainsi la plante entière d’un coup. Ce qui ne l'avait quelque fois empêché de tomber ! Il mourut comme souvent les hommes, ainsi qu'il avait vécu : avec précision, rigueur et méthode ; sans fantaisie, écart ni regret. Ses forces déclinèrent régulièrement qui lui interdirent bientôt d'autre promenade que dans un jardin voisin et rendirent ses longues matinées de réflexion de plus en plus infructueuses.

Cet homme, on l'aura reconnu, vivait à Königsberg, ville qu'il n'aura jamais quittée et ses seules trajectoires n'allèrent jamais que de son lit à ses cours à l'Université, mais de sa table de travail à son lit en passant par ces promenades si régulières qu'on finit par appeler cette allée de tilleuls qu'il parcourait huit fois tous les jours l'allée du philosophe et qu'on n'eût plus besoin d'horloge, sachant l'heure au passage d'E Kant : 2 heures et demie.

Il suffit de lire Th de Quincey ou H Heine pour comprendre ce que sa vie - si telle on peut l'appeler - avait de rigide, froid et pour tout dire de terriblement prussien, tranchant incroyablement avec l'homme dont ils disent tous deux combien il fut toujours amène et soucieux de ceux qu'il faisait venir à sa table - régulièrement là aussi - tant pour les honorer que parce que la compagnie des autres lui était nécessaire ; combien surtout cette passion de l'ordre et de la métronomie pouvait trancher avec sa philosophie. Car cet homme inventa les Lumières, inventa la liberté, rangea Dieu au registre des croyances et consacra l'impossibilité de tout connaître. A lui tout seul, il inaugura la philosophie allemande. Heine exagère assurément en faisant le parallèle avec Robespierre mais est-il si faux de noter leur identique intransigeance inflexible comme si les droites lignes ne pouvaient avoir que funestes conséquences.

Peut-être, à ces esprits à la volonté effilée comme glaive de chevalier médiéval que rien ne vient corrompre, vaudrait-il mieux préférer esprits plus aventureux, plus faibles parfois, en tout cas plus aisément enjoués des plaisirs auxquels ils sacrifient … quitte à s'y corrompre.

En réalité, derrière cette question, s'en nichent deux autres, tout aussi classiques l'une que l'autre : que signifie être (bien) au monde - deux questions en une ? - comment y parvenir ?

Une fois évacuée l'hypothèque grecque que toute vie fût injuste et qu'il eût préalablement mieux valu ne pas être du tout, une fois admis que notre existence se paie toujours de destructions - de choses ou d'autres êtres - la seule question morale m’a toujours semblé être d'apaiser notre rapport au monde, de l'épurer au mieux possible de toute violence et éviter ainsi à la fois qu'il ne nous étreigne et que nous ne le saccagions.

Vivre comme des dieux, vivre comme si nous n'avions plus aucun désir ou qu'ils fussent tous satisfaits me semble improbable sottise : tout notre rapport au monde tient dans les désirs qui nous y arriment. Pensée, méditation, contemplation emplissent peut-être l'âme, nous aident sans doute à le comprendre mieux, mais ne nous conduisent pas à bouger, à vouloir rien entreprendre, nous désapprennent plutôt de le vouloir réellement habiter pour nous réduire à ces effigies de comptoir pour touristes empressés, d'un Bouddha faussement béat et replet. Je tiens au contraire pour une signalée bénédiction que tout désir porte son insatisfaction en sa définition même. Il n'est pas d'existence qui ne comportât extases, joies ou bonheur mais si leur fugacité est avérée, elle n'en constitue pas moins motif incessamment renouvelé de poursuivre le chemin. La béatitude serait une mort… au monde en tout cas ; la chute inexorable dans l'ordinaire qui s'en suit, triste peut-être, maussade ou douloureuse demeure pourtant la condition même de notre survie. Voici paradoxe qui n'est pourtant qu'apparent : le souvenir de joies antérieures et la quête de bonheurs à venir forment ensemble l'étançon qui nous maintient droit.

A l'autre extrême, la poursuite exclusive des plaisirs, pour l'inexorable frustration à quoi elle conduit, condamnerait, dit-on, à ces souffrance et dépendance où les passions vous enferment - ce que tous les discours philosophiques sur la question soulignent. Combattre les passions par une saine raison me semble pourtant illusoire, celles-là pervertissant l'ordonnancement de celle-ci avec telle efficacité que le projet même en paraît impossible. Mais il faut bien comprendre que les discours du juste milieu, ou ceux signalant comme excès équivalents d'exclure toute raison ou de n'admettre qu'elle, baptisent bien plus la difficulté qu'ils ne la résolvent.

Ils se ressemblent tous en ceci même que leurs excès mêmes achèvent de contrarier leur plaisir et les écarteraient même de son objet plutôt que d'y conduire.

De l'avarice

Celui-ci - mais d'où donc put lui piquer l'idée d'ainsi s'enfermer en tel labyrinthe ? - commença d'enfouir son pécule, pourtant si difficilement accumulé par vie de labeur mais inévitablement de petites mesquineries et, sans doute, car les fortunes sont jalouses à se donner, de quelque friponnerie ; sottement supputa, par quelque savant calcul dont lui seul détenait le mystère, que la jouissance qu'il en tirerait pour le moins décuplerait s'il savait en lui laisser mûrir la sagesse de patienter un peu. Telle est peut-être la pire des leçons, juste en elle-même pourtant, que nous transmettent les grands passionnés : plus encore que le commun ils ont perçu qu'il n'est pas de plaisir qui n'enfle d'être contrarié et, même que la frustration d'une telle privation en constituerait la sapidité même. Ils semblent ainsi se condamner à moins jouir de l'objet de leur conquête que de la perspective de le faire demain ; moins de leurs passions que de l'idée de leurs passions.

D'aucun y verra même, en l'érigeant en principe de réalité, la trajectoire obligée d'une entrée bourgeoise dans le monde. Comme s'il n'était d'autre normalité acceptable par le siècle que le renoncement quasi-complet.

Celui-ci, donc, enfouissant son magot dans l'attente de jours meilleurs, s'en priva tant qu'un beau jour, ayant cédé à la convoitise d'au moins le contempler, il s'avisa qu'il ne se trouvait plus dans la cavité où il l'avait cru escamoter à la convoitise indue de tous. Privé, il en fut à jamais … La leçon est connue de tous, elle fut donnée par La Fontaine, reprenant Esope, à peine quelques temps avant l'Harpagon de Molière. Mais si elle illustre combien toute passion paradoxalement vous éloigne de son objet plutôt que ne vous en approche, elle offre aussi singulière perspective sur cette richesse dont l'accumulation agite tant dont la possibilité ne se tient que de n'être jamais entamée. L'usage seulement fait la possession écrira ainsi La Fontaine car, quitte à s'en priver, n'importe quelle pierre eût fait l'affaire.

Nous courons non tant après des illusions qu'après de savantes espérances moins ressenties qu'extrapolées dont le déduit suffit à nous porter sans que nous réalisions combien, furtivement puis pesamment, il en vienne à rétrécir le monde, notre monde, à sa seule perspective. Tous disent, écrivent ce racornissement de l'âme résultant de l'étranglement du monde. Cette angulosité acharnée a un nom : angoisse.

Il n'est, à bien parcourir littérature, théâtre ou cinéma, que trois moteurs susceptibles d'éveiller nos sens au point de les égarer dans la passion : l'amour, l'argent, le pouvoir. Mais écrire cela est déjà une erreur : sans doute, si Platon a raison d'écrire que l'origine des désirs en est le manque, en réalité il paraît bien que ce qui prime en l'affaire est moins l'objet que le sujet, qui à travers ses obsessions, cherche la reconnaissance.

De la passion amoureuse

Celui-là donc, tellement connu que son patronyme a fini par devenir un nom commun … Un mythe, une légende ; un fantasme ? Un conquérant en tout cas. Sa manière de collectionner les femmes suggère que les posséder lui importe peu - comment en effet pourrait-il parvenir correctement à la satisfaction de l'autre, mais il s'en soucie peu, mais même à la sienne propre, en s'attardant si peu sur le cas et scrutant déjà la suivante avant même que d'en avoir terminé avec la précédente ; elles ne comptent que pour l'addition passablement vulgaire d'un catalogue ; importent moins en tout cas que de simplement les conquérir, se les soumettre. Il a fasciné tant Molière que Mozart et c'est au fond parfaitement compréhensible : il marque la transgression majeure, ce moment où plus rien d'autre, fors la conquête, ne prévaut plus, qui se paie de la réification de l'être désiré et de la mort de qui s'interposer dans cette (con)quête : la mort et le défi de la mort. Il incarne cette démesure où ivre d'une superbe maladive, même les dieux ne lui paraissent plus adversaire à sa mesure. Le festin de pierre n'est pas une bouffonnerie maladroite : elle est au contraire le blasphème suprême de qui défie Dieu jusqu'en sa place et rebatit Babel … avant de partir d'un cruel et sardonique éclat de rire.

Solal lui est à l'opposé mais lui ressemble pourtant tellement, claudiquant si maladroitement entre une judéité qui l'entrave mais qu'il ne peut ni ne veut en réalité gommer tout-à-fait, et cette notabilité bourgeoise qui flatte son ambition sociale mais qu'il recherche surtout pour n'être plus celui que tantôt, par condescendance, on accepte en grommelant - vous comprenez il faut de tout pour faire un monde tolérant ! - tantôt, on méprise et rejette. Il éprouva difficulté majeure à gommer les saillies les plus crues d'un accent qui à lui seul l'eût exclu de toute bonne société et ses rêves sont de tendresse et de soleil que seul l'Orient peut offrir ; et, malheureusement; à ses semelles quoiqu'il en eût, collait encore quelque chose, qui n'était pas gaulois, du sol d'un peuple qu'il n'eût pu renié sans être aussitôt foudroyéquoique si souvent il l'embarrassât au point d'en nourrir honte ; tendresse mais honte. Mais il était beau ; beau comme un dieu s'il lui avait été permis d'en prononcer le nom. Et de cette beauté il entendait profiter : il s'en servait comme d'une arme ; comme d'un éperon vengeur.

Mais Ariane le séduisit, comme peut vous transpercer foudre aux matins d'été trop précoce. Il entreprit de la conquérir mais comme rien ne lui semblait inaccessible, il voulut être aimé pour lui-même, et non pour ses muscles si bien galbés, sa peau ambrée mais douce comme aux premiers jours du monde et son visage impérial d'ange. Il tenta le diable, se déguisa en vieillard laid, édenté et voûté et fit la plus belle déclaration qu'homme puisse faire où amour se conjuguait au présent comme au futur sous les désinences de l'éternité, les serments, promesses et autres engagements à toujours servir la belle comme les légendes médiévales l'avaient appris. Mal lui en prit : après avoir contrefait l'éblouissement par peur, elle le rejeta de toute sa répugnance. Avait-il perdu ! Que non ! Il se promit de subjuguer la belle par tous les moyens ordinaires et souvent triviaux quitte à la réduire à esclave humiliée : par amour ou par ressentiment ? Allez savoir ! Il y parvint, évidemment ; évinça le mari ; et emporta sa belle dans un tourbillon où il fut au moins autant qu'elle emporté par un vertige toujours plus troublant. L'issue n'en fut pas moins fatale : après les heures enivrantes des débuts, l'ennui bientôt puis la descente si dégradante qu'elle finit par la mort ! Elle s'appelait Ariane ; lui Solal.

A Cohen, tout en inventant cette succession rare de scènes comiques voire baroques et de scènes romantiques voire tragiques ne sort pas tout-à-fait des grands stéréotypes : la passion, toujours, s'achève dans la chute, la transgression ; la mort. Il y a un moment, ou bien un lieu, une bifurcation, qui fait soudain tout s'enrayer et les rêves atrocement ouvrir les portes de l'angoisse : Solal perdra tout : les siens, son amour, l'estime de soi ! Restera peut-être le souvenir grandiloquent d'une passion qui tutoya les étoiles, oui, mais grandiloquent. Est-il plus angoissant que ce télescopage entre la démesure de la passion et le blasphème insolent des sentiments d'une part, et l'écrasement sur lui-même de leur monde, toujours plus exclusif, plus étouffant ? Ces deux-là avaient cherché chemin vers la Lumière, et cru toucher l'absolu de l'être ! Quoi de plus révélateur ? Ariane est celle qui de sa pelote permit à Thésée de tracer et s'extirper du piège du labyrinthe ; Solal est nom signifiant qui trace le chemin. Mais ce chemin était de mort.

Reste le pouvoir …

Quoiqu'il ne concerne pas que le politique puisqu'il vous y peut égarer aussi sur les chemins de la passion que sur ceux de la connaissance.

Nul n'ignore son nom et quoiqu'il ne fut pas le premier - tant le précédèrent mais qui n'écrivirent pas ou ne laissèrent que d'abscons fragments derrière eux - il inaugura néanmoins la philosophie de l'écrit et rien qu'à ce titre, demeurera à jamais un modèle indépassable. Qu'alla-t-il faire dans cette galère de vouloir conseiller Denys de Syracuse ? Il s'y rendit pourtant et certains prétendirent même qu'il le fit à deux reprises. Les choses tournèrent mal, ceci ne pouvait-il autrement ? Diogène Laërce comme Plutarque affirment qu'agacé par les paroles de Platon, Denys le fit chasser de Syracuse et même vendre comme esclave sur le marché d'Égine. Inévitable, leur fâcherie tenait peut-être simplement en leurs positions différentes : homme d'action, Denys cherchait des réponses, efficaces si possible, à ses problèmes, des issues à ses conflits ; sinon sage, au moins homme de réflexion, Platon pouvait au mieux proposer des questions, aider à se les mieux poser. Ils n'étaient pas faits pour s'entendre. Alors pourquoi donc y revenir ?

Quoi de plus légitime pourtant pour une pensée que de chercher à trouver applications pratiques ? Quoi de plus évident que de choisir le biais politique ouvrant la voie à des concrétisations collectives. Quand bien même ne seraient-elles pas démocratiques … mais à l'époque de Platon la grande démocratie à la Périclès avait déjà vécu. En parallèle quoi du plus cohérent, puisque décidément il ne saurait y avoir d'action qui ne fût portée par une théorie, fût-elle quelconque, quoi de plus légitime pour un politique que de se chercher appui et conseil auprès des sages, spécialistes ou au moins amis de la sagesse ? D'autres, bien plus tard, s'y attacheront - Frédéric de Prusse ; Catherine II - trouvant devant eux philosophes tout aussi prompts à accourir et tomber dans le même panneau.

Je ne connais pas de grands systèmes qui cherchant expression politique à leur mesure ne finirent pas dans la débâcle et parfois l'horreur comme si la passion du vrai devait nécessairement succomber à la tentation de la totalité, de tout lui soumettre de gré ou de force. Confier le pouvoir à ceux qui savent revient au mieux à permettre une technocratie au pire à fonder la légitimité d'une dictature peut-être douceâtre, mais une dictature nonobstant. L’Église s'égara parfois dans les geôles de torture ; le serment du Jeu de Paume, dans les procès expéditifs ; et les raisonnements soignés d'un Marx dans les goulags …

Je ne connais pas de politiques qui n'eussent cherché chez leurs conseillers plutôt un soutien de leur position qu'une réelle critique ; qui ne se fussent débarrassés de leur conseils plutôt que de changer d'avis quitte à consulter bientôt astrologues et autres charlatans. Au moins les fous des cours médiévales étaient-ils drôles en même temps qu'insolents … Alexandre eut beau dire que s'il n'avait pas été Alexandre il eût aimé être Diogène, ce ne fut rien qu'aimable mot, ou petit soupir devant la hardiesse et dureté nécessaire du pouvoir. Je crains bien plutôt qu'en l'affaire ce ne fût Diogène qui se contamina dans ce challenge accepté d'avec Alexandre pour savoir qui des deux était le plus sage ! Diogène fieffé et rusé politique devant un Alexandre piètre philosophe, quoique formé par Aristote ! La pensée résiste mal aux roueries des politiques : au pire elle consent ; au mieux s'efface ! Dans tous les cas, succombe et souffre.

Il y a sans doute entre le politique et la pensée un divorce autant initial qu'irrévocable. Platon l'a démontré, sans doute à son corps défendant : qui s'engage sur le sentier politique ne peut plus, contrairement au scientifique, s'exprimer au nom de l'humanité ; invariablement il aura déjà pris parti pour un groupe contre un autre ; le plus souvent pour le Prince que pour le peuple.

C'est bien ainsi qu'il faut entendre dans Pikké Avot la mischna 10 : Chemaya et Abtalion reçurent d'eux . Chemaya dit : Aime le travail, hais la fonction dirigeante et ne cherche pas à être connu du pouvoir

Comme si le travail était seul antidote efficace contre les dérives du pouvoir ce pourquoi les sages toujours exercèrent métiers parfois bien humbles : celui qui dirige n'agit plus mais fait agir les autres et bientôt ne se peut maintenir que par l'autorité en la position qu'il occupe. Non le pouvoir n'est pas aimable, et, commente Maïmonide, s'il faut l'exercer, qu'au moins son détenteur en déteste les charmes et s'en prémunisse en plongeant ses mains dans la glaise, et se les écorche à raboter les objets et trébuche à heurter opacité des choses.

A la recherche d'une dynamique …

Avons-nous avancé ? Pas le moins du monde …

Je ne suis pas certain de ne pas préférer Danton à Robespierre ; Nietzsche à Kant ; n'importe quel jouisseur tant soit peu flamboyant à la si respectable mais si ennuyeuse morale bourgeoise …

Je crois bien comprendre S Zweig lorsqu'il écrit : Emmanuel Kant vit avec la connaissance comme avec une épouse légitime et de remarquer que lui, autant que ses successeurs eurent amour d'une vérité, sage, ordonnée, éminemment respectable, allemande pour tout dire, mais amour dépourvu de tout érotisme, de tout excès ; de tout risque. A l'inverse d'un Nietzsche, constamment sur la ligne, et la franchissant souvent, insultant les étoiles, rudoyant les dieux ; ne se satisfaisant jamais de rien ; prompt à tous les défis, tous les affronts. Comme si lui, ne s'était pas satisfait de la destruction de la tour de Babel, et eût entrepris de la reconstruire sitôt abaissée. Certes, mais lui ne put mourir en disant Alles ist gut ! et paya cher - je ne parle pas de sa folie finale - notamment par la trahison idéologique - le risque pris de chercher ailleurs, de parler mal et du mal ; de penser et écrire autrement.

En parallèle Camus a-t-il si tort de suspecter que nul ne parvint jamais à être ce don Juan de la connaissance : parce que ne se satisfaisant jamais d'aucune limite franchie, parce qu'après avoir frayé par tous les chemins de traverse de la pensée et jeté guet-apens sur tous les chemins forestiers, il n'eût plus aucun ennemi à sa mesure ni aucun savoir à découvrir. L'alcoolique se noie dans l'absinthe ; Solal et Ariane dans la mort après le dégoût d'eux-mêmes mais est-il homme, même sage, même philosophe, téméraire au point d'une ultime fois blasphémer et lancer à Dieu ce défi de l'inviter à festin de pierre d'où nul ne peut quitter la table sinon mort ?

Enfin en dépit des doutes souvent nourris sur l'efficacité des luttes, la pertinence des débats politiques, et l'invariable certitude de pouvoir en ces matières allègrement se tromper, même de bonne foi, je crois quand même préférer ces Marc Bloch, Germaine Tillon Lucie Aubrac que rien ne destinait à l'action. Dois-je avouer adorer le je suis spinoziste. Il faut résister de J Cavaillès ?

Sans être pour autant nihiliste ou sceptique, je crois bien devoir mettre en parallèle l'impossibilité d'accéder jamais à une connaissance définitive et universelle et le renoncement à toute réelle efficacité maîtrisée de nos actions sans pour autant renoncer ni à la recherche et à la transmission des connaissances ni au souci d'agir.

En réalité, l'erreur consisterait plutôt à chercher dans cette supposée juste mesure quelque chose comme une voie mitoyenne ou, pire encore, une moyenne arithmétique. J'y vois plutôt comme un jeu subtil de poids et contrepoids … à moins que ce ne soit boucle de rétroaction. Tout en nous, si on sait l'écouter, clame que nous ne sommes pas de ce monde ; ne nous résumons ni à nos corps, ni à nos désirs et aspirons bien à autre chose sans nécessairement que cet autre chose fût connaissance, art, sciences, Lettres etc. Mais bien plutôt cette œuvre à quoi nous destine notre obsession à donner un sens humain à notre présence au monde, et de le rendre ainsi humainement habitable que possible en y bâtissant et laissant traces qui nous dépassent et témoignent de nous. Les désirs qui nous empèsent comme boulets de forçats nous rendent pourtant possible notre présence au monde. Sans eux, la soif d'idéal, la laideur si vite prononcée des mesquineries, qu'elles soient des hommes ou des circonstances, nous entraîneraient avec fatale puissance vers le haut certes, une grâce rêvée, mais vers la mort. En tout cas l'isolement ou le cloître.

Ce jeu de compensation d'entre pesanteur et grâce qui font nos passions nous garantir notre être-là mais nos œuvres désirer constamment le dépasser ne dessinent pas un sentier de plaine où il suffirait de ne pas trop s'écarter pour ne pas se perdre ; ne tempère ni nos élans ni nos refus, ni les tensions d'entre matière et pensée et font ainsi de la sagesse non pas un état où s'épanouirait quelque béatitude apaisée et immobile mais un processus, un télescopage constant où ce serait l'intempérance elle-même qui en appellerait au calme et la sérénité à la turbulence de trop s'ennuyer. La chance d'un envol.

D'où qu'il n'y ait pas à osciller d'entre prudence et intensité parce que la sagesse est justement cette tension où elle se jouxtent, l'une bâtissant puissance et fécondité de l'autre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Préambule

Doutes et ambitions

Solidarité

Réciprocité

Pesanteur et grâce

De la connaissance

Aimer et surtout ne jamais haïr

Rester élégant et jamais vulgaire

 

savoir écouter

savoir parler

Qu'est-ce cela : aimer ?

Trois histoires pour commencer

Révélation

histoires d'insoumises

histoires d'abandons

 

élégance   :

l'éloge de la gratuité  

élégance de l'image

images de l'élégance

élégance de la légèreté

pesanteur de la vulgarité

légèreté de l'élégance

de deo : in solido

l'impensable silence

 

bienveillance

humanisme: une affaire d'élégance

du pardon

doute
donner recevoir
ironie
justesse

diableries

diableries suite

qu'est-ce ceci : haïr ?

grâce    
cloisons à éviter
 
goûter le silence

Etre au service tout en restant libre

Nourrir l'amitié jamais l'indifférence

Etre prudent sans rien perdre de sa force d'âme

gratitude

différence  

chercher

liberté : obéir ou servir

écoute  

philosopher : un geste moral

loi

empathie  

prudence plutôt que scepticisme

 

sexualité

sagesse

 

 
entre silence et parole
    devenir

Rester humble et jamais arrogant

Etre généreux et surtout jamais âpre

Rester juste et fuir la démesure

finitude

franchise et sincérité

entre intensité et prudence

moi

foi ou crédulité

mensonge
être source ?
partage
fissure
témoigner
refuser la déchéance
vicariat