Camus Carnets III, p 235

 

Aurore. Une fable. Le Don Juan de la connaissance : aucun philosophe, aucun poète ne l'a découvert. Il lui manque l'amour des choses qu'il découvre, mais il a de l'esprit et de la volupté et il jouit des charmes et des intrigues de la connaissance - qu'il poursuit jusqu'aux étoiles les plus hautes et les plus lointaines - jusqu'à ce qu'enfin il ne lui reste plus rien à chasser, si ce n'est ce qu'il y a d'absolument douloureux dans la connaissance comme l'ivrogne qui finit par boire de !'absinthe et de l'eau-forte. C'est pourquoi il finit par désirer l'enfer. C'est la dernière connaissance qui le séduit. Peut-être qu'elle aussi le désappointera comme tout ce qui lui est connu. Alors il lui faudrait s'arrêter pour toute éternité, cloué à la déception et devenu lui-même le convive de pierre, il aura le désir d'un repas du soir de la connaissance, le repas qui jamais ne lui tombera en partage. Car le monde des choses tout entier ne trouvera plus une bouchée à donner à cet affamé.