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Calomnie

 

La calomnie…d’abord un bruit léger, rasant le sol comme une hirondelle avant l’orage, pianissimo, murmure et file et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano piano vous le glisse à l’oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable puis tout à coup, je ne sais comment, vous voyez la calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil. Elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate, tonne et devient un cri général, un crescendo public, un chorus universel qui retentit partout ; et le malheureux calomnié, avili, accablé, tombe par bonheur sous le poids de l’indignation générale…

Ah ! qu’en dites-vous ?

Livret

La calunnia è un venticello
un’auretta assai gentile
che insensibile, sottile,
leggermente, dolcemente,
incomincia a sussurrar.
Piano, piano, terra terra,
sottovoce, sibilando,
va scorrendo, va ronzando.
Nell’orecchie della gente,
s’introduce destramente
e le teste ed i cervelli
fa stordire e fa gonfiar.
Dalla bocca fuori uscendo
lo schiamazzo va crescendo,
prende forza a poco a poco,
vola già di loco in loco,
sembra il tuono, la tempesta
che nel sen della foresta
va fischiando, brontolando,
e ti fa d’orror gelar.
Alla fin trabocca e scoppia,
si propaga, si raddoppia,
e produce un’esplosione
come un colpo di cannone,
un tremuoto, un temporale,
che fa l’aria rimbombar.
E il meschino calunniato,
avvilito, calpestato,
sotto il pubblico flagello,
per gran sor te va a crepar.
Ah! Che ne dite?

 


Beaumarchais
Le barbier de Séville, II-8

 

Bartholo : Ah! Don Bazile, vous veniez donner à Rosine sa leçon de musique ?

Bazile : C’est ce qui presse le moins.

Bartholo : J’ai passé chez vous sans vous trouver.

Bazile : J’étais sorti pour vos affaires. Apprenez une nouvelle assez fâcheuse.

Bartholo : Pour vous ?

Bazile : Non, pour vous. Le comte Almaviva est dans cette ville.

Bartholo : Parlez bas. Celui qui faisait chercher Rosine dans tout Madrid ?

Bazile : Il loge à la grande place et sort tous les jours, déguisé.

Bartholo : Il n’en faut point douter, cela me regarde. Et que faire?

Bazile : Si c’était un particulier, on viendrait à bout de l’écarter.

Bartholo : Oui, en s’embusquant le soir, armé, cuirassé...

Bazile : Se compromettre par un brutal assassinat ! Non ! Susciter une méchante affaire, à la bonne heure ! Et, pendant qu’elle fermente, calomnier à dire d’experts. Oui !

Bartholo : Singulier moyen de se défaire d’un homme !

Bazile : La calomnie, Monsieur ? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens prêts d’en être accablés. Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde, qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville, en s’y prenant bien : et nous avons ici des gens d’une adresse ! ... D’abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l’orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano vous le glisse en l’oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable ; puis tout à coup, on ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil ; elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait ?

Bartholo : Mais quel radotage me faites-vous donc là, Bazile ? Et quel rapport ce piano-crescendo peut-il avoir à ma situation ?

Bazile : Comment, quel rapport ? Ce qu’on fait partout pour écarter son ennemi, il faut le faire ici pour empêcher le vôtre d’approcher.