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Crépuscules
Instants de prédilection des romantiques invétérés, est-il moment plus édifiant qu'un coucher de soleil qui déploie sa palette chromatique à vous en faire oublier qu'il signe pourtant une fin quand même s'enticherait-on à ne la même pas considérer.
Il est pourtant des aubes contrefaisant les crépuscules sans que pourtant l'on s'en inquiète alors qu'elles en sont supposées être le contre-point exact.
Inutile de chercher plus avant illustration plus juste de l'éternité ou de l'éternel retour … Ce cycle, réglé et tellement prévisible qu'on en pourra bien vite calculer l'occurrence avec une précision de mage antique, cette étrange conformation qui fait la fin se contenter de préfigurer un commencement, n'est sans doute pas étrangère à notre incapacité à croire réellement à la mort et à nous inventer tous les subterfuges, des plus sordides aux plus poétiques, pour la métamorphoser en simple passage.
Car ce que nous aimons en fin de compte dans le crépuscule, n'est-ce pas cette magnifique résistance de la lumière après que le soleil eut pourtant déjà disparu ? Comme si l'obscurité ne pouvait jamais l'emporter … ce qui d'ailleurs est le cas, la lune, avec sa bonhomie habituelle aura toujours entrepris depuis un moment à prendre le relais.
Crépuscule, cette obscurité pas encore totalement victorieuse fait que tout devient sinon étrange, en tout cas incertain comme si contours et volumes, formes et couleurs n'avaient jamais appartenu ni aux objets, ni aux arbres, pas même aux vastes prairies, mais n'avaient jamais été que la concession faite aux choses par une lumière qui dévale peut-être l'échelle chromatique du chaud jusqu'au froid mais jamais ne s'avoue vaincue ni définitivement ni momentanément.
Sans cette âme du monde, qui lui viendrait comme de surcroît, comme un miracle qui viendrait ici s'incarner dans la masse brute des choses et subtilement l'animer, comme une grâce qui au fond a le nom même de la vie, je n'imagine pas le monde autrement que cet amas brut de rocailles imbéciles et froides.
Car même les montagnes sont espiègles au regard de l'inlassable désert ou de la roche si massive et si abusivement obscure.
J'aime qu'ici le chromatique fasse au contraire se rejoindre musique et peinture, fasse se comprendre enfin oreille et œil. Le silence épais des tombes où l'on s'efforce d'oublier qui vous gêne ou empêtre ne vaut que pour les mauvais récits d'antiques forfaits d'usurpateurs. Et ne sied ni aux hommes ni au monde. Il n'est pas d'antre, si reculée soit-elle de toute lueur qui ne finisse pourtant par laisser transpercer au moins un soupir, presque une mélodie. Bientôt un cantique
Il n'y a pas à chercher longtemps pourquoi nous ne parvenons pas à comprendre les débuts immémoriaux non plus qu'à admettre les fins définitives. C'est qu'en réalité il y a toujours un avant ce qui devant nous éclot et que les soleils couchants s'entêtent à entonner promesses plus belles que les jours. Il suffisait oui de regarder l'alternance impeccable des jours et des nuits, si soigneusement ordonnancée qu'elle en devint prévisible à siècles de distance. D'écouter les hymnes entonnés, les marches modulées sur les tombes de nos anciens, d'éveiller les souvenirs qu'ils éveillent en nous. Et voir, oui, comme en plein jour, combien ces échappées vaporeuses aux nuances mordorées en réalité sacrifient moins à la profondeur des noirs qu'elles ne fomentent le fumet de la résurgence toute proche.
Telle est peut-être le grand secret de la danse incroyable où la pesanteur invite la grâce : de faire se rejoindre sotte ligne droite et si délicieuse courbure de l'âme ; où le cycle qui pouvait nous laisser accroire que nous serions trop engourdis pour seulement avancer encore est ceci même qui, de nous laisser ondoyer d'entre nos hésitations, espérances et craintes, par la puissance du rite, la force de la reconnaissance, la vertu même nous fait enfin entrevoir là, aux confins de l'horizon, quelque chose comme un chemin, étroit, mais un chemin, c'est sûr.
Les anciens scrutaient les signes - étoile ou fumée - qui du ciel suggéreraient trajectoire à empruntée dans cet enfer trop uniforme de sable et de rocaille qu'est le désert qui imite trop la vacuité de nos âmes pour ne pas nous effrayer.
Je crois que nous n'avons jamais cessé. Voix, murmure presque inaudible ou choral tonitruant ; dessin même énigmatique, dessiné ici sur le roc ou tracé dans le sable d'un bâton mythique.
Oh bien sûr nous ne l'avouerons jamais : notre sotte fierté nous l'interdit. Pourtant, à la dérobée, nous demeurons à l'affût. Les ténèbres n'aiment pas la lumière mais pas plus l'absurde, l'insensé ; la béance d'être. C'est bien pourquoi, se trahissant inéluctablement, à la fin, de son refus de tout, elle dessine sa propre anfractuosité : c'est bien par là que s'insinue et bientôt l'emporte, la lumière.
Notre moralité tient tout entière, dans ces lentes et trop longues spirales que laissent nos pas derrière eux. Dans leur refus de la défaite. Dans l'attente de l'aube.
Car l'aube est de blancheur. Albe, la patrie originaire des deux jumeaux, en porte le nom. J'aime qu'on se disputa pour décider si le blanc était, ou non, une couleur. L'histoire nous montre en tout cas qu'il est l'intégrale de tous les possibles. Il n'était pas écrit que des fils répudiés d'Albe fondent un jour Rome, ville puis empire qui bientôt engloutira tout.
Il n'est sans doute pas de blanc pur mais s'il devait exister, inconcevable et sans doute insoutenable pour nos yeux défaillants, je ne doute pas qu'il serait la couleur même de la Lumière originaire, et modulerait d'une même ferveur le fiat lux originaire.
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