Elysées 2012

Constitution

I/ Constitution II: Les crises de la Ve III/ Une réforme possible ?
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    Réforme possible ?

 

Le sujet a déjà été évoqué ici ; il importe peut-être d'y revenir dans la mesure où elle est reposée par Mélenchon, et le programme du Front de Gauche.

Intéressant, notamment, qu'il ne s'y agisse pas d'une réforme constitutionnelle comme il y en eut déjà beaucoup depuis 58 mais bien de refonder toute l'architecture politique française. Bref de fonder une VIe République.

Intéressant parce que le projet à l'en contre de beaucoup d'idées reçues, en tout cas majoritairement convenues, vise à revenir à un système parlementaire et donc de prendre radicalement la constitution actuelle à rebrousse-poil.

Mais dira-t-on, le pays est déjà suffisamment en crise pour se passer outre celle économique, financière et bientôt sociale, d'une crise politique fondamentale. Mais ce serait oublier que de Gaulle, arrivant au pouvoir, avant même d'entamer la résolution de la question algérienne, et, en réalité, justement pour pouvoir le faire, commence par le vote d'une nouvelle constitution. L'objection de la crise ne vaut donc pas ; elle peut en tout cas aisément se retourner en motivation supplémentaire.

Mais, dira-t-on, les français sont attachés à leur constitution et l'ont montré à diverses reprises depuis 58 ; attachés notamment à l'élection du président au suffrage universel et leur forte participation à ces présidentielles en est le signe presque constant. Il est vrai ! Mais vrai tout autant que les récentes réformes (quinquennat et concomitance des présidentielles et des législatives) en ont considérablement modifié les équilibres ; vrai encore que la manière sarkozyste d'exercer son mandat pourrait parfaitement entraîner dans sa désapprobation celle de la constitution elle-même.

Mais, dira-t-on enfin, nul hormis Mélenchon et Montebourg ne demande une telle révolution institutionnelle mais seulement, ça et là, quelques retouches. Il est vrai ! Mais vrai tout autant, que l'intrication de plus en plus forte de la France dans l'Europe, et de l'Europe dans la mondialisation, auront produit des transferts de compétences tels, mais surtout des transferts à des instances plus technocratiques que politiques, mais encore à des instances sur lesquelles le contrôle démocratique est faible, en tout cas malaisé, en sorte qu'une refondation politique qui tente d'aller à l'en contre du déni du politique rampant à quoi on assiste, ne saurait être absurde.

Mais dira-t-on la France est déjà la championne du monde toute catégorie du nombre de constitutions depuis 1789 ( sans même compter celle (1793) qui ne fut pas appliquée) pour qu'il soit nécessaire d'en rajouter. Sans doute ! Mais sans doute aussi, tout système, si bon soit-il, est-il soumis lui aussi à la loi de l'entropie, et doit en conséquence dépenser de plus en plus d'énergie pour un résultat de moins en moins évident, de plus en plus ténu. De Gaulle le savait pour le mode de scrutin, ce pourquoi il ne l'avait pas fait figurer dans le texte de la constitution. Sans doute est-ce vrai aussi pour la constitution elle-même ; et, il faut bien l'avouer, le monde mais aussi la société de 2012 n'ont plus grand chose à voir avec ceux de 1958.

Il faut donc y regarder de plus près.

Parlementaire ou présidentielle ?

Stricto sensu, il s'agit bien d'une constitution parlementaire dans la mesure où le gouvernement est responsable devant l'Assemblée Nationale, laquelle peut le censurer et donc le forcer à démissionner. Un régime présidentiel se caractérise par la séparation stricte des deux pouvoirs exécutif et législatif ( comme aux USA) ; ce n'est pas le cas ici.

Pourtant plusieurs éléments viennent tempérer cette remarque au point que certains définirent même la constitution comme un régie parlementaire à tendance présidentielle, encore qu'on eût pu écrire l'inverse présidentiel à tendance parlementaire.

Dans les textes

On peut observer deux séries de dispositions concourant au même effet : d'un côté la limitation des pouvoirs du parlement, de l'autre le renforcement de celui de l'exécutif.

Affaissement du parlement

- le parlement qui n'est pas maître de son ordre du jour mais se le voit fixé par le gouvernement ne dispose donc plus de l'arme souvent utilisée sous les régimes précédents consistant dans le refus de délibérer . La récente réforme constitutionnelle réservant à l'Assemblée une semaine par mois pour déterminer son propre ordre du jour ne semble pas avoir été dénaturé à rééquilibrer le primat de l'exécutif sur le législatif.

- la dissolution de l'Assemblée qui relève de la Présidence se fait sans contre-seing - et seulement après consultation des présidents des deux chambres et du premier ministre - et non sur avis conforme comme ce fut le cas dans la constitution de 1875 ce qui la rendit de fait impossible.

- la motion de censure n'est adoptée qu'à la majorité absolue (Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres composant l'Assemblée. art 49) contrairement aux régimes précédents qui envisageaient la majorité simple et rendaient ainsi le renversement des gouvernements d'autant plus aisé que les alliances de circonstances et les abstentions étaient facilitées ) . D'où le fait que seul le premier gouvernement Pompidou ait été censuré en 62

- définition du domaine de la loi (art 37) Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire. Toute définition délimitant son objet, logiquement c'est le domaine du règlement - qui est de la prérogative de l'exécutif - qui se voit ici étendu, contrairement aux constitutions de 1975 et 1946.

- le mode de scrutin - qui n'est pas dans la constitution : majoritaire à deux tours il ne peut que renforcer les majorités et tendre vers la bi-polarisation. Ecrasement des centres qui n'ont d'autre loisir que de rejoindre l'un ou l'autre camp (c'est tout le problème de Bayrou, mais depuis 58 le centre aura été progressivement siphonné par la droite), non représentation des extrêmes (gauche comme droite d'ailleurs) qui simplifient ensemble la constitution de majorités stables et permettent à l'occasion la constitution de chambres introuvables (1968 ; 1981; 2007 - avec la constitution de l'UMP)

- le référendum : en son principe même, et quelle que soit la voie choisie, il institue la possibilité de passer outre le parlement pour le vote de la loi, suggérant de fait que la représentation nationale puisse être un obstacle et non un moyen d'expression de la volonté nationale.

Renforcement de l'exécutif

- le mode d'élection au Suffrage Universel de la Présidence marque évidemment un tournant essentiel : le président est le seul a être élu par l'ensemble de la Nation quand tous les autres le sont par une fraction.

- la disparition du contre-seing pour les actes essentiels (nomination du premier ministre, dissolution de l'Assemblée Nationale ...)

- l'article 16 dits des pouvoirs spéciaux : quand bien même il ne fut utilisé qu'une seule fois, qu'il reste assurément d'un maniement délicat et d'un impact politique ambivalent, demeure néanmoins le symbole révélateur de ce pouvoir de recours que représente le Président en cas de crise. Des pouvoirs qu'il décide de s'arroger seul et à quoi il décide seul de mettre en terme !

- l'ambiguité même de l'article 20 qui affirme certes que Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation mais concurremment avec l'article 5 (Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités.) aura progressivement fait glisser le centre de gravité du régime du côté de la présidence en ne laissant au gouvernement que le soin de l'application quotidienne de décisions prises à l'Elysée.

Dans la pratique des textes

Plutôt intéressante cette recension des articles du Monde depuis 58, consacrés aux crises politiques. Qui montre, notamment, que dans un premier temps ç'aura plus été la question de l'après De Gaulle qui hanta les commentaires et donc la crainte qu'il ne se fût agi que d'une constitution faite pour lui mais inadaptée pour tout autre successeur plus ordinaire que lui ; que sont beaucoup moins nombreux les articles consacrés à la nature même du régime. Alors même qu'en 62, la réforme instituant l'élection du président de la République au SU modifiait sensiblement l'équilibre des pouvoirs et la nature du régime. Alors même que les oppositions ou frontales, telle celle de Mitterrand et de son Coup d'Etat Permanent, ou celle plus philosophique de Mendès France continuait de marquer le régime au fer.

Deux faits sont à considérer ici :

- le délabrement tel de l'Etat à la fin de la IVe ne put que susciter l'appel à l'homme providentiel autant que justifier cette abdication des parlementaires que, quelques mois auparavant, ils n'auraient même pas envisagée.

- la personnalité même du Général de Gaulle dont on imaginait mal qu'on pût le rappeler pour n'être qu'un président soliveau

Dès le départ, la présidence s'avéra être non pas tant le symbole, non pas même le garant indiqué dans les textes, mais en même temps que le recours, un acteur de plein droit de la vie politique - ce qu'il n'avait jamais été depuis l'expérience malheureuse de Louis Napoléon Bonaparte non plus que celle en 1873 de Mac Mahon. C'est en ceci que réside la nouveauté mais aussi l'ambivalence de cette constitution qui installe un président à la fois juge et partie, à la fois arbitre et acteur.

Mais un principe doit être en même temps rappelé

Il concerne l'inévitable écart s'instituant avec le temps, les événements et les acteurs, entre l'esprit et la lettre de la constitution. (3) Ecart que toutes les constitutions ont connu : la troisième n'avait pas envisagé l'existence du président du conseil ; avait conçu un président fort qui se videra pourtant de sa substance, progressivement, après J Grévy ; un droit de dissolution qui tombera en désuétude après l'expérience malheureuse de 1877 ...

D'où :

- le domaine réservé expression consacrée mais qui ne figure nulle part et que de Gaulle comme ses successeurs ont toujours récusée ; un domaine qui jusqu'en 69 se résuma explicitement à l'affaire algérienne et plus généralement à la politique étrangère et de défense. Mais un domaine qui, au gré des circonstances et des présidents, se révélera être de géométrie variable, d'un Chirac laissant une réelle marge de manoeuvre économique à Juppé jusqu'à un Sarkozy instituant à l'Elysée un véritable gouvernement bis au point de réduire la fonction du premier ministre à celle d'un simple collaborateur (4) , d'un simple exécutant ...
Il va sans dire qu'avec l'extension du domaine réservé ce sera toujours tout l'équilibre institutionnel de la Ve République qui sera en cause, fustigé dès de Gaulle au nom du pouvoir personnel , souligné par la propension à nommer des premiers ministres qui ne soient pas parlementaires ( Pompidou en 62 ; Barre en 76 ; de Villepin en 2005 ... )

- la tentation plébiscitaire évidente avec de Gaulle qui fera toujours de ces scrutin un chantage sur son nom, sur sa démission - en cas de non victorieux - ou en cas de défaite lors de législatives. Une tentation qui aura progressivement disparu, qui se sera en tout cas atténuée, avec la lecture mitterrandienne puis chiraquienne, qui permit trois cohabitations inconcevables sous l'ère gaullienne.
Remarquons néanmoins que, contrairement à ce que l'on aurait pu attendre, les trois cohabitations n'auront en réalité pas correspondu du tout à un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du législatif. Qu'aucun gouvernement ne puisse survivre sans l'approbation de l'Assemblée, n'aura pas empêché qu'en fait ce ne fut qu'un glissement - et encore pas total puisqu'à la notable exception de la politique étrangère et de la politique de défense - du pouvoir de la présidence vers Matignon. Que ce fût dans le cadre d'une cohabitation musclée ( Mitterrand/Chirac de 86 à 88) ou dans celui plus apaisé des cohabitations Mitterrand/Balladur (93 à 95) voire même Chirac/Jospin (97/02) le parlement n'a pas réussi à reprendre véritablement la main ... il y aura simplement changé de maître.

- un rapport de forces politiques qui longtemps aura assis des majorités si fortes que l'assemblée se révélera plus être une chambre d'enregistrement qu'un réel lieu de débat, de délibération ou d'amendement. La faible proportion de lois issues de l'initiative parlementaire, l'usage fréquent des votes bloqués, du 49-3 qui permet de présumer un texte voté sauf si une motion de censure était votée, tout ceci concourt inévitablement à l'affaissement du rôle du parlementaire qui, rivé en partie à sa circonscription, se mue lentement en intercesseur englué de clientélisme.

- l'institution du quinquennat mais surtout, l'inversion du calendrier qui interdit qu'une législative pût avoir lieu avant une présidentielle ( ce qui ce serait passé en 2002 sans la réforme puisque l'assemblée voyait son mandat échu en Avril, alors que la fin du mandat présidentiel été fixée fin mai) interdit de fait, sinon de droit, toute dissolution dans la mesure où désormais leurs mandats coïncideront toujours et où l'on imagine mal (sauf cas exceptionnels) un électorat déjugeant en juin son vote de mai, et donc le cas où un président se verrait empêcher d'agir par un parlement rétif; dans la mesure surtout où c'est réinscrire alors dans le calendrier électoral lui-même une prééminence que la durée du mandat n'indique plus.

- une série de dispositions électorales visant toutes à tempérer les éventuelles rugosités du corps électoral.

- La plus classique reste évidemment le bi-caméralisme avec une chambre haute élue au second degré et dans des formes qui lui font sur-représenter la province et la campagne au point qu'il eût fallu attendre 2011 pour voir un Sénat majoritairement à gauche mais ce n'est assurément pas la seule

- il faut y ajouter le refus endémique (à la notable exception près de 86) de tout scrutin proportionnel fût-il à dose majoritaire ;

- le principe même d'un scrutin à deux tours qui rabotent invariablement les nuances politiques pour n'offrir qu'un paysage bi-partisan ;

- la dyarchie au sein de l'exécutif (Président/Premier Ministre) manifestement déséquilibrée au profit du premier qu'illustreront tous les changements de gouvernements qui ne seront jamais motivés par une initiative parlementaire mais par un choix présidentiel : même s'il est vrai que, formellement, il n'est mis fin à un gouvernement que sur sa démission, il s'avère dans les faits que ces derniers ne démissionnent que soit - coutume républicaine oblige - à la fin du mandat présidentiel voire même renouvellement de la Chambre (5) soit sur instance présidentielle quand même un vote de confiance parlementaire eût lieu précédemment - ce qui fut le cas pour Chaban-Delmas en 72 .
Que Sarkozy n'ait pas utilisé ce dispositif en conservant tout au long de son mandat le même premier ministre, quitte d'ailleurs à procéder à de nombreux remaniements intermédiaires, n'aura d'ailleurs pas été de nature à renforcer le gouvernement mais bien plutôt à le réduire au statut de simple exécutant, privant par là même premier ministre et ministres de toute réelle autonomie, autre qu'apparente.
En réalité, tout est conçu, dans le système pour assurer la prééminence du président. Et confier au premier ministre le rôle - ingrat - de fusible permettant au président de rebattre les cartes en cours de mandat, soit à la suite d'une crise (68) soit pour insuffler un nouvel élan ...

 

Deux crises symboles de cette présidentialisation

 


1) voir ci contre

2) le texte de la constitution de 58

3) plus qu'intéressant au reste que l'on soit amené ici à reprendre une distinction évangélique :

qui nous a rendus capables d'être ministres d'une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l'Esprit ; car la lettre tue, l'Esprit vivifie. 2Co 3:6

4) c'est d'ailleurs tout l'intérêt et le charme de ce terme exécutant qui désigne, peut désigner à la fois l'acteur de plein droit ou le simple subordonné ...

Celui, celle qui, dans une circonstance donnée, exécute un ordre, une tâche. (En ce sens, l'exécutant est l'agent de celui qui conçoit ou qui commande). *

5)

fin de mandat présidentiel

Pompidou en 65 ; Couve de Murville en 69; Mesmer en 74 ; Barre en 81; Chirac en 88 ; Balladur en 95 ; Jospin en 2002 ; de Villepin en 2007

fin de mandat législatif ;

Pompidou en 67 et en 68 (après dissolution); Messmer en 73 quitte à être renommé derechef ; Barre en 78 (renommé après) ; Mauroy en 81 après la dissolution ; Fabius en 86 ; Rocard en 88 après la dissolution ; Beregovoy en 93 ; Juppé en 97 après la dissolution ; Raffarin en 2002 après les législatives ; Fillon en 2007 après les législatives

6) sur les pouvoirs présidentiels, à regarder ce docu de l'INA :

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