Elysées 2012

Regards croisés

Les entames

Un Bayrou qui déroge malicieusement à la tradition en zappant, l'expression est de lui, la partie bilan ; un Sarkozy qui d'emblée joue la dramatisation en reprenant le je ne vous ai jamais rien caché ; un Hollande qui d'emblée joue la réforme -fiscale mais c'est si peu sexy- mais qu'il retraduit immédiatement en terme de justice comme condition de l'effort partagé dont il ne cache ni la nécessité ni l'inévitable rigueur... telles sont les caractéristiques des voeux de ce cru 2011.

Ceci n'a l'air de rien mais dit tout.

Certes, les voeux ne sont ni le lieu ni le moment pour détailler un programme et encore moins son mode de financement ; certes, ils ne sont après tout que le passage obligé pour créer d'avec la Nation un lien d'autant plus nécessaire qu'on en sollicitera demain les suffrages.

Mais en même temps, et le fait que les différents prétendants y vont, via Internet, de leurs propres voeux ne fait que renforcer le phénomène, c'est aussi une manière de se mettre dans les habits que l'on prétendra revêtir demain tant et si bien que ce à quoi nous assistons n'est autre que la mue lente d'où doit éclore une figure que l'on peut commencer à entr'apercevoir rien que par ces entames choisies.

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Or, de ce point de vue, force est de constater que si Hollande, Mélenchon, Bayrou parle de lendemains, Sarkozy, lui, comme s'il éprouvait des difficultés à revêtir l'habit de candidat, ou que surtout il éprouvât peine à quitter celui qu'il mit tant d'ambition et de rage à conquérir, Sarkozy lui ne parle que d'hier et d'aujourd'hui. Le bilan pèse ! déjà !

J'assumerai jusqu'au bout et en totalité, les lourdes responsabilités que vous m'avez confiées

Il ne peut, sans déroger, que tenir la promesse qu'il avait faite l'année dernière d'une année utile, que rester fidèle à son image d'homme d'action et d'expérience internationale, où il sait pouvoir conquérir ou maintenir une stature qui manque à son concurrent principal, mais cette crise qu'il sait être pour lui une opportunité est en même temps ce qui l'empêche encore de se présenter en candidat et donc de pouvoir débattre, polémiquer, attaquer. Et si cet avantage supposé se retournait contre lui, finalement ?

Le rapport au peuple

Pour autant ! C'est la manière même dont l'auditoire est interpellé qui en dit long sur la démarche

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Chez Sarkozy, le peuple est celui qui souffre, qui a certes courage et sang-froid, mais qui, passif, doit patienter et endurer encore les épreuves pendant que devant le grand timonier tente de résoudre les problèmes et dénouer la crise. Le peuple ici est passif. Le vocabulaire appartient totalement au registre de la passivité : souffrir, endurer, résister, sang-froid, épreuve et éprouver ... Jusqu'à la résistance, laquelle, après tout ,appartient elle aussi au domaine de la réaction et non de l'action, qui est attribuée certes au courage mais surtout à la solidité des institutions, au système de protection sociale et aux mesures prises par l'exécutif - thème déjà utilisé au mois de novembre. Le peuple en est appelé à la patience, autre forme du pâtir, du supporter.

Bien entendu la dramatisation, nous l'avons déjà indiqué, fait partie intégrante de la stratégie de communication, qui lui permet à la fois de se situer au-dessus des autres candidats - lui agit pendant que les autres parlent, ergotent et critiquent - de surseoir à l'annonce de sa candidature - il est des préoccupations autrement plus urgentes que la satisfaction de quelque ambition personnelle - mais surtout de se positionner comme sauveur, comme celui qui protège dans les gros temps. Le terme protéger aura moins été prononcé que l'an dernier, mais il le fut quand même une fois, pour ponctuer l'ensemble de la déclaration. De la protection à la souffrance, demeure quelque chose de la lointaine rémanence du discours pétainiste de 40 : non dans le sens où la stratégie politique de Sarkozy fût pétainiste, mais la posture adoptée du protecteur, de la figure tutélaire qui rassure, mais gourmande aussi parfois, qui prend sur lui autant les péchés que les souffrances.

Il ne répond pas ; mais se substitue. Ultime avatar de cet hyper-actif dont on a déjà souligné souvent à l'occasion de l'hyper-présidence, sa capacité à se mêler de tout, à décider sur tout, à ne rien déléguer. De ce point de vue, figure autoritaire, il est surtout une figure non républicaine. Démocratique oui mais républicaine, non !

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A l'opposé radical, Mélenchon ; à l'intermédiaire Hollande qui en appelle certes à la confiance, mais surtout à la mobilisation : toujours cette même radicale idée républicaine que le destin d'une Nation se forge par ses propres bras ; que le pouvoir est une délégation qui ne signifie pas que le peuple doive rester muet dans l'intervalle de deux élections mais être acteur de plain pied - à la fois l'auteur, le destinataire et l'acteur de la vie publique.

Hollande en appelle à la confiance, comme Sarkozy mais à la confiance en soi - et cela change tout. Ce n'est pas ici une confiance en l'autre qui vous ferait vous effacer devant lui mais bien cette mobilisation à quoi l'on appelle, cet ensemble, cette fierté commune de relever ensemble notre pays. Il en appelle à l'espérance mais belle et fière et n'oublie pas l'exigence d'une harmonie - le mot est utilisé - d'une cohésion sociale qui est bien l'attente du corps électoral.

Mélenchon qui sait lui surfer sur la vague qui le porte, joue à la fois sur la mobilisation et sur le coeur et ce double mouvement des mains ouvertes qui vont chercher du côté du coeur l'énergie d'agir et de prendre le pouvoir, politique mais aussi sur soi, dit-il, est une belle trouvaille.

Sans doute dira-t-on, cette différence tient à la position elle-même : Sarkozy est en poste, responsable quand les autres, qui ne sont que des prétendants, au mieux, des figurants, au pire, ne peuvent se poser légitimement que contre le sortant, en appelant à la rescousse une légitimité qui ne peut surgir que d'en-bas. Et on aura raison.

Pourtant, il y a plus !

Une logique réactionnaire

Qui se joue dans le pouvoir/devoir présent dans le discours sarkozyste.

Nous pouvons, nous devons garder confiance dans l'avenir

Chez lui pouvoir et devoir fonctionnent comme synonymes ! il y avait déjà fait référence quand, à la réponse sur la confiance à accorder à la Grèce, il avait répondu nous n'avons pas d'autre choix mais rajouté aussitôt il y avait un problème économique mais aussi un problème moral (1) Chez lui le réel des relations de pouvoir équivaut au devoir des relations humaines et sociales. Ce qui est est ce qui doit être ; ce qui doit être est ce à quoi il faut se conformer, se plier, s'adapter.

- d'abord, la logique devoir/pouvoir s'applique ici comme là au seul registre émotionnel jamais évoqué : la confiance. Il ne s'agit pas de normes d'action, encore moins de règles de pensée : cet homme qui verse peu dans le sentiment mais se veut surtout l'acteur pragmatique qui saisit les occasions que le réel lui présente et affronte les épreuves quand elles surgissent, n'envisage jamais l'émotion, la sensation qu'en terme de confiance qui revient dans son esprit à un laissez moi agir !

- tu dois donc tu peux écrivait Kant indiquant combien toute morale supposait logiquement la liberté, la révélait. Pour autant Sarkozy est loin d'être kantien et si un impératif catégorique l'anime, c'est loin d'être la pensée. Cette logique du devoir repose sur la résistance. On est loin ici de l'action glorieuse de lutte contre l'occupant, de subversion contre un tyran : au contraire, ici, c'est de se serrer les coudes, de s'armer de patience, de faire bloc contre l'adversité. Les mesures sociales qui sont annoncées pour janvier le révèlent. Ne pas frapper plus durement encore ceux qui sont déjà atteints, leur permettre de tenir. Où la valeur morale fondatrice, ici comme ce fut le cas en novembre, reste la famille, cette structure refuge qui doit affirmer haut et fort la solidarité en cas de faiblesse d'un de ses membres. Contrairement à ce que avenir pourrait laisser entendre, il ne s'agit pas ici d'une liberté qui se refuserait au réel pour tenter de lui en substituer un autre, encore moins d'un projet de société : non, il est question, s'agissant de l'Europe de restaurer une structure qui fonctionne mal, qui n'assume pas sa fonction refuge. Il n'en appelle pas à un monde meilleur mais à un retour à la normale, au statu quo ante bouleversé par une crise provoquée par des réformes imparfaites lors de la fondation de l'euro voire de l'Europe.

- On remarquera par ailleurs que rien chez lui n'est fortuit ou gratuit : de la même manière qu'il n'érige les allocations familiales comme paradigme de la protection sociale et donc du modèle à la française qu'en soulignant à chaque fois la nécessaire lutte contre les fraudeurs comme si ce modèle n'était mis en péril que par les fraudes et non par son financement dès lors insuffisant, de la même manière il ne propose une formation aux chômeurs qu'à condition que l'impossibilité pour chacun de s'y soustraire contrebalance la nécessité de l'offrir à tous. On en revient toujours à cette seconde valeur implicite qui règle le devoir sarkozyste : le travail ! Travailler plus, non pas tant finalement pour gagner plus même si ce fut le leitmotiv de la campagne de 2007, que parce que le travail est l'obligation morale qui sanctifie l'appartenance à la famille, qui vient jouer la contrepartie de la protection de cette dernière tant et si bien que ne pas travailler peut certes être vu comme une malédiction contre quoi il faut résister, mais demeurera toujours plus ou moins suspect, qui peut cacher un manquement à ses obligations voire une fraude. Le système a ainsi ses pauvres - ceux qui ne travaillent pas - à destination de quoi on met en place un système de protection qui en réalité fonctionne un peu comme l'organisation de la charité bourgeoise au XIXe. Mais en tout état de cause l'homme n'est jamais perçu ici comme un citoyen mais comme un travailleur/consommateur. Pris au piège du faux équilibre du donnant/donnant ou comme le disent désormais nos inénarrables commerciaux le gagnant/gagnant, Sarkozy n'a d'autre proposition à formuler que l'aide aux démunis en contrepartie d'un rendre des comptes par le travail à quoi nous sommes réduits.

Loin d'être un projet politique, nous sommes ici au coeur d'une stratégie purement défensive, réactionnaire trois fois :

dans la mesure où elle ne propose pas un rebond mais seulement une réaction, une résistance ;

dans la mesure où elle se replie sur des valeurs refuge où après travail et famille ne manque vraiment plus que Patrie ;

dans la mesure où elle cantonne le citoyen à n'être que le bénéficiaire de la protection sociale, où son seul rôle actif demeure la production/consommation.

Rigueur

Assez intéressant ce terme de rigueur à l'intersection des politiques économiques, de la morale et de la pensée. Du latin rigor, le terme renvoie à la dureté, l'inflexibilité, la froideur. L'homme rigoureux est celui qui ne se laisse pas détourner de son chemin, qui ne mêle pas passion à raison quand il pense, qui ne fléchit pas dans la stricte observance des principes moraux quand il agit, qui ne cède pas à la facilité électorale, politique du court terme quand il s'agit de gérer le pays. Bref, quelqu'un qui place au-dessus de lui des principes dont il fait une fin en soi, dont il s'institue comme simple vecteur.

Il y a quelque chose de l'ordre de la purgation dans cette affaire-là : on imagine assez aisément les savants Diafoirus prompts à la saignée de celui qu'encore une fois on nomme le patient ! celui qui souffre, qui supporte. On avait déjà repéré la métaphore météorologique pour évoquer la crise, et le mot tempête figure dans l'intervention de Sarkozy, en filigrane on retrouve encore ici celle de la maladie, preuve s'il en fallait, que la naturalisation d'un phénomène va toujours de pair avec sa moralisation et l'on sait que du mal à la maladie il n'est souvent qu'un pas. Le courage, le sang-froid que l'on nous reconnaît, est celui du malade gravement atteint, mais il faut tellement dire qu'il n'a pas le choix d'autre réaction que celle-ci.

C'est l'autre item de la crise, déjà repéré : l'absence de choix ! il n'y a rien d'autre à faire que ce que nous faisons ; que ce que nous avons à faire. Et nous sommes d'autant plus méritants de le faire qu'électoralement ceci peut évidemment nous nuire. Rigueur égale courage ! Rigueur égale vertu !

En Carré ...

C'est en s'inspirant de cet outil de la sémiologie que l'analyse permet de mieux saisir les connections logiques de cet argumentaire implicite.

Il y a bien un jeu d'opposition entre se fier à lui, ou s'en méfier ; entre se fier à l'avenir ou s'en méfier.

La contradiction absolue c'est Hollande qui la représente et, au fond, l'ensemble des prétendants qui clament, pour l'essentiel, une détestation commune du personnage et du quinquennat finissant.

On voit bien que c'est la relation de complémentarité que vise Sarkozy : au delà du corps qui le soutient naturellement, il lui faut aller quérir non ceux qui se défient de lui mais ceux qui ne se fient pas à lui. Relation complémentaire au sens d'Aristote. Ceux qui, dans son camp, récusent l'Europe et regagner ces électeurs du FN dont il aura impérieusement besoin. Son problème tient dans le fait qu'il a affaire à une doublé méfiance et à son propre égard et à celui de l'Europe

En deçà, c'est la question de l'action qui se joue : or l'on voit bien ici que son seul terrain d'ouverture est vers ceux qui n'agissent pas quand en réalité il est contraint de faire appel à ceux qui réagissent. Le ventre mou, silencieux, écrasé est sa cible à quoi il ne peut que demander derechef, non pas d'agir mais de lui remettre les clés. Au fond, toute la contradiction réside en ce qu'il fait mine de s'adresser à la sensibilité de l'électorat quand en fait il ne lui parle que de raison.

A l'inverse, Hollande, et il ponctue ceci d'un balaiement des mains, veut tourner la page, fermer la parenthèse. On remarquera que l'homme qu'on dit si indécis, incapable de se déterminer, aura dans ses voeux mis son je en avant sous la forme d'ailleurs d'un je veux plusieurs fois répétés. Il s'adresse à tous ceux qui n'agissent pas et qu'il veut mettre en mouvement, à tous ceux qui sans nécessairement lui faire confiance, au moins ne se défient pas de lui.

Au bilan

Spectateurs de cette mise en bouche, nous ne pouvons que regarder les protagonistes affuter sinon leurs armes - c'est encore un petit peu trop tôt - au moins leurs argumentaire. Raison contre passion, non pas vraiment, mais rigueur contre sensibilité, charité contre mobilisation, résistance contre mobilisation et rêve ! oui !

 

 


1) 1e vidéo de Sarkozy sur cette page