Elysées 2012

Analyse

Le texte est présenté par Libération comme étant bien ciselé. Nul doute qu'il ne fut précautionneusement préparé pour cela précisément qu'il est le premier acte de la campagne, et pour cela se devait d'être emblématique.

Trois remarques rapides :

- Décidément les commentateurs manquent singulièrement mais aussi systématiquement tant d'imagination que d'à propos ! Un exemple parmi tant d'autres, Pujadas qui reprend inlassablement la question de l'autorité du candidat, rémanence implicite mais si peu, de la gauche molle et indécise qu'on avait déjà entendue jusque et y compris dans la bouche d'Aubry. Preuve s'il en est que la riposte se fera aussi sur la légitimité du candidat, et pas seulement sur son programme.

- Décidément les commentateurs ne relèvent que ce qui peut faire polémique ou scandale : ainsi que Hollande se fasse dans ce texte incisif et parfois ironique sera relevé en priorité sur toute autre considération. Or, tout ceci n'a rien de bien nouveau et Hollande est coutumier du trait ironique : on le lui a assez reproché ! Qu'il soit un adversaire résolu de Sarkozy n'est pas non plus une nouveauté que je sache ! Pour autant, ce texte ne se résume pas à une critique du quinquennat finissant, il dessine aussi des perspectives : curieusement elles furent mois soulignées.

- Les réactions que ce texte suscita auront été convenues et finalement très prévisibles. Elles attestent de la fébrilité du camp majoritaire au moins par l'ombrageuse critique faite à Libé d'accorder sa une à un candidat ! Que je sache rien n'empêchera ledit quotidien, qui s'est empressé de le rappeler, d'accorder demain la même une aux autres candidats ! Que par ailleurs la presse est libre, non ? Qu'enfin je ne me souviens pas qu'un Monde appelant à voter pour tel ou tel candidat autrefois (Mitterrand en 81 par exemple ) n'avait pas suscité une telle polémique. Qu'une autre part des réactions tournassent autour du vide, en tout cas de l'imprécision des propos est plus cohérent même si l'on est bien obligé de constater que c'est un choix fait par Hollande de bien distinguer la parole du candidat-président, qui se veut être de hauteur, avec les mesures concrètes que l'on apprend devoir être plutôt distillées au fil de la campagne plutôt que dévoilée d'un bloc dans un document de programme. C'est un choix, critiquable sans doute, mais un choix qui du coup ôte quelque pertinence au reproche de vacuité de cette adresse. Dernière réaction en date, qui relève manifestement de la polémique stupide : l'injure supposé faite par Hollande à l'endroit de Sarkozy ! Sans y revenir trop dans le détail, réitérons ce que toute la presse annonce depuis un an déjà selon quoi la campagne sera dure, trash écrivent certains, signe évident là encore que le camp Sarkozy ne se laissera pas défaire sans haute lutte et que tous les coups seront permis dans cette aventure où il y a lieu de craindre que les idées et les projets cèdent le pas devant les attaques ad hominem.

Quatre termes volontairement mis en évidence

Ils forment la partie centrale de l'adresse après le double constat du désarroi de notre pays et de la manière dont l'exécutif aura géré cette crise en favorisant systématiquement les privilégiés, en accroissant les inégalités et injustices sociales. Cette première partie n'est formée que de quatre paragraphes. Quatre seulement ! qui se concluent effectivement par l'ironique plutôt que de reconduire un président qui aurait tellement changé, pourquoi ne pas changer de président, tout simplement ?

C'est assez dire qu'en réalité ce que Hollande veut transmettre dans ce texte, c'est moins la partie négative, critique, que la dimension projet et perspective. On y aura trouvé seulement le constat des effets de la crise et l'argument fréquemment utilisé que si ces effets désastreux sont effectvement la conséquence de la crise internationale et en particulier de celle financière de la dette, elles ne le sont qu'en partie, l'autre étant due à la gestion sarkozyte et, en particulier, antienne répéteé depuis 2007, aux cadeaux fiscaux initiaux de la loi TEPA.

Rien de bien nouveau ici en tout cas ! Et, à tout prendre bien moins mordant que ce qui fut énoncé lors des voeux où le triple réquisitoire de incohérent, injuste et x aura été prononcé ; où l'on retrouve la même expression tourner la page.

Hollande s'inscrit dans une perspective historique : il l'écrit ici, il le redira en fin de texte par sa référence à Mitterrand. La page qu'il veut tourner c'est celle de l'histoire. Or, s'il peut le lire ainsi c'est bien parce qu'il a la sensation que nous serions en train de vivre un véritable tournant de l'histoire.

Une histoire de redressements ...
ou le redressement de l'histoire ?

Deux dates apparaissent : 58 et 81 ! Elles ne sont pas anodines ! mais elles le sont pour des raisons diamétralement différentes, sinon opposées.

1958, évidemment c'est le retour de de Gaulle au pouvoir ce qui impliquera à la fois un changement constitutionnel et une politique de décolonisation, difficile pour l'Algérie, plus aisée pour l'Afrique, mais en tout cas une double rupture politique et institutionnelle qui permettra à la France de rentrer résolument dans la modernité, de sortir au fond de l'après-guerre !

1981, évidemment c'est l'arrivée de la gauche au pouvoir, pour la première fois sous la Ve - et la seule aux présidentielles en tout cas. Moment clé pour diverses raisons dont la moindre n'aura pas été l'adoubement définitif de la constitution que l'on avait accusée de n'être fait que pour des personnages d'exception comme de Gaulle, qui aura à l'occasion montré sa souplesse en s'adaptant à une radicale alternance et même au cas de figure insolite et nécessairement compliqué de la cohabitation. Moment clé par principe parce qu'une constitution ne peut longtemps survivre à l'absence d'alternance et que 23 ans finissaient par faire douter que la constitution et le mode de scrutin la permît seulement. Moment clé parce que ceci fit entrer dans les conseils de la république toute une catégorie de personnels, de cadres dirigeants, d'énarques qui en était jusqu'à présent exclue ; que ceci supposa une approche politique différente même s'il fallut rapidement déchanter ; que ceci en tout cas permit de donner à la gauche une expérience gouvernementale qu'elle n'avait plus aux notables et rares exceptions des quelques caciques subsistants dont Mitterrand lui-même, Deferre ou Savary.

C'est sans doute la loi du genre que de vouloir légitimer sa candidature en consacrant la période comme n'étant pas anodine mais une période de rupture. Autre valet de la dramatisation. Ce n'est pas une autre manière de faire la même politique mais changer radicalement de politique parce que l'époque l'exigerait. C'est d'ailleurs sur le même registre que s'était faite la campagne de 2007 où Sarkozy avait joué autant qu'il le pouvait, et c'était quand même un beau jeu d'illusionniste dans la mesure où il était ministre de Chirac depuis 5 ans après avoir été celui de Balladur entre 93 et 95, mais un jeu crédible dans la mesure même où la présidence Chirac avait pu paraître celle de l'immobilisme.

La logique veut effectivement qu'il ne s'agisse pas seulement de se doter d'une politique moins économique mais plus sociale mais de marquer rupture avec une période qui est en train de se finir. Ce qui est train de se passer effectivement. La domination de l'idéologie néo-libérale commencée à la fin des années 70 avec Tatcher, Reagan semble s'essoufler non tant dans les discours encore très dominants que dans le réel d'un capitalisme qui assurant sa bascule vers le financier ne s'en sort plus de ses soubresauts spéculatifs et ne peut s'en sortir qu'en achevant le politique et les Etats qui commencent à regimber. L'Europe, l'euro surtout, qui semblait un truchement convénient pour résister à la mondialisation s'épuise et se remet mal de fondations mal arrimées, empiriquement bâties en omettant systématiquement le politique. L'emploi, en berne, partout, depuis plus de trente ans, sans qu'on y voie d'issue probable. Et je n'évoque ni la montée des émergents qui rebat les cartes de la géopolitique mondiale, ni les périls environnementaux qui, de toute façon, obligeront à de radicales remises en question. Tout ceci renvoie l'image d'un monde qui se cherche une issue, un rebond et n'y peut parvenir que par rupture.

On peut lire Machiavel ! Ou reprendre l'histoire ! A chaque fois, quand il y a impasse, dilemme insurmontable, seule une stratégie visant à rebattre les cartes peut réussir. On peut songer à celle, classique d'un Thiers quittant Paris pour Versailles avant d'aller quelques mois plus tard écraser la Commune ! stratégie qui fut celle de de Gaulle en 46 même s'il fut contraint d'attendre douze ans avant d'écraser la IVe. Il est des ruptures plus brutales, celles que produisent les révolutions ou les guerres ... Force est en tout cas de constater que toujours l'impasse dans l'histoire produit son soubresaut, fût-il douloureux, imprévisible, immaîtrisé.

On pourra toujours avec Tocqueville scruter les mouvements et deviner que sous les bourrasques se camoufflent toujours plus de continuité que de ruptures ; ou se souvenir avec Braudel qu'il est des temps plus lents, presque immobiles qui forment le socle de l'histoire humaine. Toujours est-il que se situer dans le cadre d'un tournant, d'une rupture, c'est nécessairement à la fois affirmer le trouble d'une crise et la volonté de s'en sortir. C'est à la fois dramatiser et rassurer et, paradoxalement, c'est bien en ceci que Sarkozy se ressemblent d'être contraints d'user des mêmes registres. Car le capitaine des tempêtes ne peut en aucun cas être ordinaire pour des temps qui ne le seraient pas.

Vérité Volonté Justice Espérance

Ce ne sont assurément pas ces mots qui importent mais ceux à qui ils sont liés. Car, après tout, ils pourraient être prononcés par n'importe quel candidat. Vérité, Justice sont tellement généraux qu'on voie mal un candidat pouvoir écrire autre chose. Volonté est le propre même du politique et la condition de l'espérance.

Pourtant : vérité, qui est le même registre que celui employé par Sarkozy, reste lié à la douloureuse expérience du tournant de la rigueur après 82. Façon à la fois de poser ses pas dans les traces de 81 et de se démarquer. Justice est évident sauf que lié à cette grande réforme fiscale qu'il a déjà présentée comme la condition de tout, et en particulier de l'effort de tous. Volonté va de pair avec espérance même si le premier est toujours implicitement la réponse aux insinuations de molesse et que le second ancre le rêve qu'il entend néanmoins permettre à nouveau en dépit des circonstances sombres et d'un horizon bouché.

Quatre termes liés deux à deux finalement : les deux premiers renvoyant au réalisme et à la rigueur intellectuelle ; les deux autres, qui se jouent de l'empathie étant le gage offert à l'exigence d'une cohésion sociale rétablie.

Très science po cette démarche plutôt que dialectique.