Elysées 2012

Cristallisation

 Nous avons souvent relevé ce processus si particulier qu'institua l'élection présidentielle au suffrage universel, qui favorise - cherche en tout cas à favoriser - un dialogue entre un homme et la nation.

Dans ce dialogue, il y a bien effectivement un moment où la mayonnaise prend et les exemples antérieurs montrent, nous l'avons souvent écrit, que ce moment se situe entre la fin janvier et février, à la notable exception de 2002 où les enquêtes n'avaient pas vu, parce que le mouvement lui-même s'est produit tard, le retournement qui allait produire l'éviction de Jospin au second tour.

Ce moment que d'aucuns nomment cristallisation est bien celui où le dialogue se fait, c'est-à-dire celui où le message du candidat rejoint les préoccupations, les interrogations et les attentes de l'électorat. Il y a sans doute quelque chose de miraculeux - en tout cas d'imprévisible - dans ce moment et il serait fallacieux d'en déduire l'inconstance de l'électorat qui basculerait invariablement de gauche ou de droite et qui, surtout, se déterminerait presque en dernière minute. Bien au contraire, ce moment a lieu, quand le message des candidats se fait clair - limpide comme eau de source ? -

Il y a quelque chose de frappant quand on écoute la campagne de de Gaulle en 65 - réduite on le sait à ses trois entretiens avec M Droit entre les deux tours, puisqu'il avait répugné à faire celle du premier tour - c'est combien il évite soigneusement de distiller un programme avec des mesures, combien il s'attache surtout à recadrer sa vision de la France, de son rôle dans le monde, de sa démarche générale en économie et en matière de politique sociale, mais vraiment combien il répugne à indiquer quelque mesure concrète que ce soit. Remarque que l'on peut tout aussi bien faire à propos de toutes ses conférences de presse où il n'affectionne rien tant que de dresser de grands tableaux historique ou de marquer sa philosophie politique. Nul doute que ce fut là aussi une manière de bien marquer la différence de rôle entre la présidence et le gouvernement, celui-ci déterminant et conduisant la politique de la nation - selon les termes de la constitution - alors même que le président se pose plus en garant, guide et protecteur.

Dès lors si l'on se situe à cette hauteur-là, qui est celle des principes,

- nul doute que rien n'est plus éloigné de la pensée gaullienne que les 101 propositions de Mitterrand en 81, ou qu'un programme électoral précis, qui relève plutôt de la stratégie des partis ;

- que d'ailleurs on doit bien constater la dérive partisane de la présidentielle que n'arrange assurément pas la désormais concomitance des présidentielles et législatives ;

- que la critique faite à Hollande de ne dévoiler que progressivement son programme n'est pas, de ce point de vue, conforme à l'esprit de la constitution, même s'il n'est pas faux d'affirmer que l'on ne peut demander à l'électorat de se déterminer sur de simples généralités ;

- que c'est sans doute - mais il le revendique ardemment - Bayrou qui est le plus proche de ce retour à l'esprit gaulllien, quand il affirme la nécessité d'un président non partisan, garant de l'intérêt national.

Le point de cristallisation a lieu, au fond, au moment où le message des impétrants, au delà des propositions concrètes, parvient à se résumer en quelques principes simples qui rejoignent les préoccupations de la nation, ses choix, ses craintes comme ses espoirs. C'est peut-être aussi ce moment - ruse de la raison - où selon Hegel l'universel de la raison rejoint le particulier des intérêts et des passions. Le grand acteur c'est celui qui sait saisir cette croisée.

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Sans doute est-ce du côté de la crise financière et de ses conséquences sociales qu'il faut entendre les peurs ; du côté de l'aspiration à du lien social qu'il faut entendre les attentes.

De récentes enquêtes sur les classes moyennes illustrent qu'elles oscillent entre la gauche et le centre (2) : or, c'est effectivement là que se marquent le mieux l'exigence de la hauteur et de la justice.

C'est là qu'il faut chercher le point de cristallisation en même temps que le rejet de la personnalité même de N Sarkozy. L'image d'un état partial - et les récentes affaires ne font rien pour arranger les choses - celle d'un président qui se comporte, sous le prétexte de lever une hypocrisie - comme un véritable chef de clan demeure un abcès de fixation qui pourrait bien mener cet électorat vers Bayrou, tandis que les classes populaires risquent de rejoindre le FN moins perçu désormais comme une menace - ce qui laisserait augurer que la stratégie de banalisation du FN entreprise par M Le Pen commencerait à réussir.

 


1) voir baromètre FN mené par TNS SOFRES

2) lire sur les classes moyennes