Elysées 2012

Classes moyennes

Tout le monde semble courir après elles, qui résistent ... notamment à leur définition. Mais à n'entendre que les seules réactions à la proposition de Hollande de réformer le quotiet familial, on devine, moins à celle de Sarkozy qui était prévisible, qu'à celle de Bayrou qui est forte et de principe, combien elles seront l'objet de toutes les attentions.

Un article, précisément, dans le Monde leur est consacré où apparaissent plusieurs points qui rendent assez bien compte de leur importance stratégique pour ce scrutin surtout si on les relie aux résultats de l'étude de la fondation Jaurès à laquelle nous avons plusieurs fois fait référence 1

- les classes moyennes représentent désormais une part importante de la population : avec 30% de la population active, elles représentent le coeur de la société et plus les ouvriers.

- en dépit de tout, elles auront été les grandes gagnantes des trente dernières années et même si leur progression est plus lente, elles ne se sont pas (encore ? ) déclassées. En revanche, elles ont peur de ce déclassement. Et cette peur les rapproche des classes populaires.

En dépit d'une définition nécessairement floue, mais peut-il en aller autrement dans la mesure même où le corps social aura beaucoup fluctué ces trente dernières années ce qui ne peut que s'observer accru dans les tranches moyennes, en dépit d'une approche qui, via les ressources des ménages, qui peut même faire monter cette catégorie à 60% ce qui est important mais ôte alors au concept toute pertinence pour nécessairement entremêler des réalités trop différentes, on voit bien néanmoins que cette catégorie aura à la fois été centrale économiquement et la clé de voûte sociale. Point moins fixe que mitoyen de toutes les mutations, elles ont aussi le sentiment d'y avoir le plus contribué et d'en avoir le moins bénéficié, tant elles ont la sensation d'avoir été les grandes oubliées de toutes les politiques sociales.

Politiquement, les classes moyennes auront toujours été trop possédantes pour avoir la tentation de verser dans les espérances révolutionnaires dont elles eurent toujours tout à craindre, trop républicaines pour verser dans l'extrême de la droite. Au fond le centre leur irait à ravir ... s'il existait. Elles furent la cheville ouvrière du radicalisme façon IIIe République ; elles formèrent le socle de la IVe avec les alliances MRP/SFIO et trouvèrent avec l'épopée gaullienne le chemin d'une droite qui pouvait satisfaire à la fois leur goût de l'ordre et leur aspiration au progrès.

Giscard d'Estaing entre 74 et 81 tenta bien de gouverner au centre mais, miné à la fois par un parti chiraquien qui voulait sa peau et une UDF fraîchement construite qui ne parvint pas à être autre chose que le soutier minoritaire du RPR, l'entreprise échoua.

Depuis le centre se cherche et ne cesse de se diviser.

La stratégie des troisièmes ...

Toute l'entreprise Bayrou s'entend de là : quand il parle de majorité centrale, à tout coup vise-t-il cette couche-ci, d'autant mieux d'ailleurs si on l'entend dans le sens élargi. Ces couches moyennes sont nécessairement le coeur de cible de toute candidature et ç'aura précisément été la grande nouveauté que de voir désormais le FN lui-même glaner sur ces mêmes terres.

Il y a indéniablement une montée de l'extrême-droite qui ne s'observe pas qu'en France mais dans toute l'Europe : conséquence d'une mondialisation qui produit une désindustrialisation à marche forcée et laisse les classes populaires livrées au désarroi soit du chômage soit d'une régression sociale incontestable ; qui favorise les flux migratoires (légaux ou illégaux d'ailleurs) et ressuscite invariablement les vieilles peurs de perte d'identité de la nation.

Si l'on s'en tient à l'histoire, Mélenchon a raison : dans les crises graves - et c'en est une - la lutte finit toujours par un face à face entre le fascisme d'une part et la gauche radicale. 1940 a montré plus que nécessaire combien les partis traditionnels, combien la classe politique surtout, finit toujours, par lâcheté ou intérêt, par succomber ... ou exploser en vol. En 40 la droite se soumit - et avec quel zèle ! et la gauche explosa. Ce fut l'honneur de quelques uns - dans les deux camps - de ne pas abdiquer mais combien eût-on aimé qu'ils fussent légion !

La menace brune n'est certainement pas un vain mot et c'est ce bercer d'illusion que d'imaginer qu'elle se fût assagie. Mais c'est une réalité que la politique de Sarkozy des dernières années qu'incarne désormais à merveille Guéant a effectivement fait sauter des digues entre la droite et le FN - et, pour ne parler que d'eux, il y a bien désormais des éléments de langage à l'UMP qui ne finissent pas de troubler.

Dès lors on comprend qu'une partie assez importante des classes populaires ait versé du côté du FN et qu'une partie des classes moyennes y pourrait succomber à la mesure des peurs de déclassement qu'elle ressent.

Les deux seules stratégies possibles :

Celle de la peur d'abord .

Celle qu'utilise le FN mais que les récentes péripéties de campagne illustrent devoir être aussi celle de l'UMP. On joue sur le thème de l'anti-France (voir les polémiques autour d'E Joly) sur l'incapacité du PS de diriger ce pays sans produire des catastrophes voire des guerres ; sur la remise en question du bloc identitaire de la France. Le positionnement libéral de Sarkozy l'empêche évidemment de se positionner contre la mondialisation : qu'à cela ne tienne , on joue alors sur la dramatisation de la crise mais surtout sur une politique brutale contre l'immigration, la fraude etc devrait permettre de compenser et de se positionner comme le garant indéfectible de la loi, de l'ordre, de la sécurité, de l'identité nationale.

Celle du rebond et de l'effort :

Celle qu'utilise Bayrou en utilisant tous les registres de la fierté et de la morale et en donnant à cette stratégie un objectif humaniste que nous avons déjà souligné. Sortir de l'impuissance et du brouillard ... tourner la page ... sont autant d'items qui jalonnent le projet Bayrou avec l'exigence de lucidité et volonté. Mais l'essentiel tient dans cette affirmation qu'il faut chercher en soi l'issue plutôt que de s'en défausser sur l'extérieur. Cette stratégie c'est celle du sursaut, du rebond, d'une véritable conversion morale autant que politique. Mais c'est évidemment celle de l'espoir .

Toute la question reste désormais de savoir si la peur est plus forte que l'espérance nourrie en soi ! Hollande lui aussi parle de tourner la page, de réenchantement et de changement. Son discours, flou encore, emporte moins, a, pour le moment encore, moins de souffle, d'inspiration que celui de Bayrou ou que celui, passionné, de Mélenchon.

Je ne crois pas Hollande capable de ramener les classes populaires au bercail et toute la question demeure de savoir s'il est capable au moins de retenir ces classes moyennes de plus en plus hésitantes entre le gauche et le centre.

Cette élection, qui reste à la mi-janvier, décidément bien ouverte encore pourrait bien être le festival des troisièmes :

M Le Pen engrange soigneusement un capital de sympathie en dépit d'une campagne pour le moment plutôt en demi-teinte au point selon les enquêtes de talonner Sarkozy, au point surtout, ce qui est potentiellement grave, qu'il n'y aurait plus que 53% des français à estimer le FN être un danger pour la démocratie. La peste brune s'insinue dans les têtes, lentement ! Le vote FN n'est plus seulement un vote protestataire et ceci change tout !

Bayrou quant à lui, plus haut dans les enquêtes qu'il n'était à la même période en 2007, mène sa campagne solitaire en se jouant tel un acrobate, de la récusation simultanée des partis traditionnels (UMP et PS) et d'un appel au sursaut et à l'unité nationale qui implique paradoxalement qu'il gouverne avec eux. Mais la connotation morale et humaniste, ce subtil mélange entre l'appel aux valeurs traditionnelles et l'appel à l'effort et à la fierté nationale, son inscription aussi dans l'histoire peuvent séduire au delà de son électorat traditionnel, cette frange des classes moyennes que l'étude de la Fondation Jaurès appelle ouverte qui ne peut se reconnaître dans le FN mais craindrait en même temps un vote à gauche ; apparaître aussi comme un recours pour l'électorat traditionnel de la droite qui a déserté Sarkozy mais ne se reconnaîtra jamais dans Hollande et répugnerait à basculer du côté de l'extrême-droite.

Arithmétiquement, la montée de l'un comme de l'autre ne peut se faire qu'au détriment de Sarkozy, surtout, de Hollande dans une moindre mesure, des petits candidats (Villepin, Morin ...) enfin. La capacité de rebond de Sarkozy, après sa déclaration de candidature, est encore incertaine mais ce que l'on peut d'ores et déjà dire c'est que ce sera d'elle que dépendra en grande partie la possibilité ou non d'un 21 Avril. A ce titre, une déclaration tardive pourrait lui nuire comme elle nuisit à Giscard en 81.

En tout cas un scenario de deuxième tour où soit Bayrou soit Le Pen ( mais j'y crois moins) serait face à Hollande n'est plus tout à fait invraisemblable et je gage que si Hollande devait se trouver à face à Bayrou, il serait battu, trouvant rassemblé contre lui tout l'électorat de droite et, sans doute, une partie de l'électorat de M Le Pen

A voir, à suivre ....


1) relire