Elysées 2012

Tendances .... et stratégies

Une série de sondages avant les fêtes autre manière de faire une revue de détail avant le vrai démarrage de la bataille.

Tous se ramènent en réalité aux mêmes triples constatations :

- l'entrée en campagne de Bayrou lui réussit plutôt bien puisqu'il est désormais crédité de plus de 10%. Il a ainsi réussi son objectif : être celui dont on parlera durant les fêtes.

- un tassement de l'écart entre Hollande et Sarkozy quand bien même celui-là est toujours donné le grand gagnant du second tour

- un score élevé - jusqu'à 20% - pour Marine Le Pen

Des confirmations

Il y a dans tout ceci à la fois du parfaitement prévisible et des leçons qui seront certainement tirées pour la stratégie à mener par les uns et les autres dans les trois prochains mois.

Prévisible assurément le tassement des intentions en faveur de Hollande. Exagérément élevé à l'issue des primaires, son score est amené progressivement à retrouver des étiages habituels à mesure que tous les candidats entreront en lice. Qu'il reste devant Sarkozy indique au reste plus le mécontentement ressenti à l'égard de ce dernier que la satisfaction à son propre endroit. Inquiétante pour lui néanmoins l'image présidentielle reconquise d'un Sarkozy qui apparaît mieux à même d'affronter les gros temps et de prendre des décisions difficiles - la crise est passée par là !

Prévisible encore le score élevé du Front National au point que certains se (re)demandent si un 21 avril n'était pas possible à nouveau. Il est certain en tout cas que la stratégie adoptée par Marine Le Pen qui vise à mettre en sourdine les aspects les plus fascisants du parti, à mettre en avant des thèmes sociaux, à draguer sur les terres de gauche en tout cas, complique le jeu du PS qui ne saurait plus se contenter d'une réprobation morale face à ce parti qui s'affiche de plus en plus comme un parti comme les autres.

Prévisible enfin la montée de Bayrou, conséquence logique de sa déclaration de candidature savamment mitonnée pour l'avant-fêtes. Il est, pour le moment, le seul à croire à son étoile mais invariablement les médias lui feront écho à la mesure de ses capacités de rassemblement. Il a une force : il est une alternative à droite pour tous ceux qui ne supportent plus Sarkozy mais ne désirent pas pour autant franchir la ligne en votant à gauche ; il a une énorme faiblesse : il n'a pas de parti qui le soutienne et l'on sait, qu'en dépit de l'esprit de la Ve, cette condition est rédhibitoire.

Sources d'enseignements

Trois indicateurs néanmoins commencent à se dessiner qui peuvent parfaitement changer la donne, en tout cas modifier la stratégie des uns et des autres

L'aspiration à l'union nationale

C'est du côté du CSA qu'il faut le trouver, dans cette préférence affichée pour un gouvernement d'union nationale. Préférence plutôt droitière, certes, mais qui recueille quand même aux alentours de 45% dans l'électorat de gauche.

On peut évidemment l'expliquer par la gravité de la crise de la dette ; y voir un désaveu sinon de la classe politique en tout cas des jeux politiciens traditionnels distribués entre droite et gauche ; le moins que l'on puisse dire en tout cas reste que ceci ouvre un boulevard à la stratégie de Bayrou qui peut légitimement y considérer le fondement de sa candidature. On peut même s'en réjouir dans la mesure où demeure évidemment préférable une telle aspiration à celle, protestataire, qui s'exprimerait par un vote FN !

On peut surtout y deviner toute la complexité des stratégies que les différents candidats devront désormais mettre en place. Il est de logique institutionnelle sous la Ve, et avec un scrutin à deux tours, que le vainqueur soit celui qui apparaisse le mieux capable de rassembler autour de lui. A ce jeu, Bayrou n'est manifestement pas le plus mal placé et, signe de ce frémissement, les sondages le donnent quand même à deux points au dessus de ceux de décembre 2006, signe en tout cas que Bayrou n'aura pas trop souffert de sa longue traversée du désert et que même sa position d'opposant résolu à Sarkozy le sert plutôt. Perçu comme plus proche de la droite que de la gauche mais capable de s'ouvrir à la gauche, Bayrou a cette année une identité politique parfaitement en phase avec l'époque - en tout cas beaucoup plus qu'en 2007. Saura-t-il saisir l'occasion ? toujours est-il que la posture de l'homme seul contre tous, qui a eu raison seul avant tout le monde a déjà fonctionné et qu'elle fonctionne toujours assez bien en période de forte crise et de grande incertitude.

La bipolarisation a du plomb dans l'aile

A gauche on est parfaitement conscient qu'il importe d'abord de ne pas commettre l'erreur de 2002 où Jospin, convaincu d'être finaliste aura d'emblée fait une campagne de second tour, et qu'il s'agit donc de rassembler d'abord à gauche mais cette stratégie est entravée par le fait qu'en réalité il ne s'agit pas d'un jeu à deux avec des faire-valoir mais au contraire d'un jeu à quatre où trois au moins des protagonistes ont des chances raisonnables de l'emporter - tant il me semble encore invraisemblable que M Le Pen puisse l'emporter au second tour. Chacun devra se garder de trop insulter l'avenir parce qu'il sait qu'il aura besoin des voix du troisième homme et pourtant se démarquer nonobstant.

Ce qui est nouveau dans la configuration de 2012, ce n'est pas tant que l'électorat ne se reconnaisse plus dans les catégories gauche/droite traditionnelles que dans le fait qu'il semble estimer que leur opposition n'est pas appropriée en période de grave crise et tension. C'est bien le cas de figure de l'union nationale. La France a peu connu ce genre de gouvernements hormis durant la 1e guerre mondiale et les gouvernements provisoires de 44-45 et tripartites de 46 & 47 (avant l'éviction des ministres communistes ); en revanche elle aura avec de Gaulle en 58 essayé le cas de figure des majorités élargies - à la SFIO notamment - justifié à la fois par la guerre d'Algérie et le vote de la constitution de 58. Telle est plutôt l'hypothèse de Hollande qui ne conçoit pas la crise suffisamment grave pour justifier un tel dispositif même si dans son entourge on reconnaît que

On n’en a jamais parlé dans l’entourage de François Hollande. Cette alliance se justifie en temps de guerre ou dans un cas comme la Grèce. On n’y est pas ! En revanche, la situation est suffisamment grave pour que, si François Hollande l’emporte et si certaines bonnes volontés se manifestent comme François Bayrou, Jean Arthuis ou des gaullistes déçus de Nicolas Sarkozy, il faudra les accueillir. 1

C'est entre ces deux optiques que tout se jouera et dans la capacité qu'aura Sarkozy de gommer son image d'homme omnipotent, d'hyperactif - et, finalement, seul ! Car c'est finalement l'image que désormais il donne : un président à la barre, agissant, mais seul ; et notamment face à une majorité crispée, qui craquelle de toute part et dont le parti UMP faute de réelle culture démocratique interne ressemble plus à une machine à faire gagner Sarkozy qu'à un parti pluriel où les tendances diverses qui le composent échaffauderaient ensemble les perspectives et les projets.

Toute la question reste de savoir si la mécanique électorale qui incline systématiquement vers la bipolarisation suffira à éliminer les trublions de chaque camp ou si au contraire comme l'indique G Courtois l'éviction de ces derniers ne serait pas le ferment d'une surprise à venir :

Les gens "sérieux" - M. Hollande et M. Sarkozy - peuvent compter sur la loi électorale, aussi bien présidentielle que législative, pour renvoyer à leur marginalité ces trublions et tous ceux qui seraient tentés de les suivre. C'est le plus plausible, même si le précédent du 21 avril 2002 incite à la prudence. Il reste cependant troublant que le système politique français continue aussi aveuglément à écarter de la représentation des pans entiers de l'opinion, ou à les faire rentrer, au chausse-pied, dans des camps qui ne parviennent plus à porter leurs attentes. S'il ne conduit pas les électeurs à déserter les urnes, ce mécanisme de vote contraint - et les bataillons de "malgré-nous" de la gauche ou de la droite de gouvernement qu'il suscite - peut réserver bien des surprises d'ici au 21 avril 2012 *

Toute la question reste de savoir à propos du clivage gauche/droite, si, comme le souligne Finchelstein, les français

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ne sont plus croyants mais encore pratiquants et que donc, faute d'un contenu idéologique précis surtout chez les jeunes, l'image de gauche ou de droite reste structurante. Or, ce qui ressort de l'étude 2 ce sont bien ces deux aspirations respect et solidarité qui traduisent une forte demande de lien social d'un électorat qui dans ses franges ouvertes ne récuse pas la mondialisation mais refuse le déchirement du tissu social que produit l'accroissement des inégalités et l'atomisation - ce que Arendt nommait délaissement - accrue des individus. A ce titre il faut bien reconnaître combien Bayrou peut viser juste quand dans la péroraison de son discours de candidature il en appelle à l'exhaussement de l'humain qui ne se réduit pas à une machine à produire.

Car c'est bien de ceci dont il s'agit : l'intrusion forte de l'économie qui bouscule le politique dès 83, d'autant plus marquante qu'elle se fit sous un gouvernement de gauche contraint de reporter ses ambitions sociales, marque le vrai début de la désidéologisation du couple gauche/droite. La technocratisation, en réalité la technisisation du débat politique aura vidé le politique de toute substance et provoqué ce que nous avons nommé déni du politique. Si cette élection peut réserver sinon des surprises en tout cas une rupture, c'est d'abord en ceci : un appel profond au politique d'autant plus fort que la récente crise de la dette aura mis en évidence la mise en place au niveau européen d'un directoire bien peu démocratique. Que cet appel se conjugue en terme de lien social d'une part, et de morale de l'autre - ce qui sied assez à l'électorat des seniors - offre d'étonnantes perspectives.

La stratégie banalisation du FN 4

Elle contraint manifestement le PS à revoir sa copie. Qui s'en ouvre parfois ouvertement 5 . Ce qui est clair c'est que les classes dites populaires - ouvriers et employés - ont depuis longtemps déserté la gauche et que c'est manifestement sur ce terrain-ci que drague le FN au point d'en épouser parfois la terminologie. Ce qui est certain c'est que même si la classe ouvrière est en déclin, qu'elle le perçoit, il n'en demeure pas moins qu'elle représente encore une frange importante de l'électorat que la gauche ne peut pas stratégiquement délaisser mais surtout pas politiquement et moralement abandonner sauf à déconstruire la légitimité de toute son histoire.

C'est bien à ce titre que, même si un 21 avril reste possible mais selon nous improbable, le jeu est bien à quatre pour cette élection et que les deux protagonistes principaux devront en tout état de cause se garder à la fois sur leur gauche et sur leur droite .

 

 


CSA

IFOP

OPINIONWAY

1) lire

2) autour de l'étude menée par la Fondation J Jaurès sur le nouveau paysage idéologique

voir : itv et lire :

étude

synthèse

note

3) G Courtois Le Monde 8 nov 2011

4) lire


 

5) cet ITV d'O Ferrand (Terra Nova ) Le Monde daté du 28 dec

Le think thank Terra Nova, proche du PS, doit produire, en janvier 2012, deux notes consacrées au Front national : la première, sur le décryptage du programme de la candidate à l'élection présidentielle, Marine Le Pen, la seconde, sur les " liaisons dangereuses " entre UMP et FN. Son président, Olivier Ferrand, revient sur le nécessaire réarmement du PS face au parti d'extrême droite.

La gauche a-t-elle vraiment appréhendé les mutations du FN de Marine Le Pen ?

Le Front national de Jean-Marie Le Pen était de nature fascistoïde, non républicaine et n'avait pas vocation à gouverner. Celui de Marine Le Pen, dans la lignée des évolutions de l'extrême droite européenne, a été déghettoïsé. Il reste un mouvement dur, xénophobe et populiste, mais désormais républicain et donc devenu acceptable.

Comment le PS peut-il contrer cette évolution ?

Jusqu'ici, les partis de gouvernement repoussaient le FN en dénonçant, derrière la façade avenante et républicaine, le parti néofasciste. Cela n'est plus vrai. Le cordon sanitaire est tombé. L'angle d'attaque doit donc changer. Il ne peut plus être simplement moral.

Les changements programmatiques du FN ne font-ils pas concurrence à certaines thématiques du projet socialiste ?

Les changements ont en effet été fondamentaux sur les questions économiques et sociales. Le FN avait toujours été poujadiste et néolibéral. C'était un hymne à la petite entreprise commerciale et artisanale, anti-Etat, anti-impôt, anti-redistribution. Avec Marine Le Pen, le FN revendique au contraire un Etat fort, un impôt sur le revenu élevé, redistribué aux classes populaires, des droits sociaux forts, un protectionnisme économique avec un refus des délocalisations et une sortie de la zone euro. C'est une offre de protection globale, séduisante pour des Français tendus par la crise, et qui craignent le déclassement.

Justement, comment éviter que les catégories populaires votent FN plutôt que PS ?

Il faut accepter la réalité nouvelle du FN. Ce parti se veut normalisé dans la perspective de l'exercice du pouvoir ? Il faut réussir à montrer que s'il était amené à gouverner, ce serait une catastrophe économique et sociale pour le pays. Ses mesures économiques sont absurdes, et pas simplement la sortie de la zone euro qui est inepte, totalement inapplicable et qui coûterait des dizaines de milliards d'euros. Il faut attaquer le FN sur son incapacité à faire ce qu'il prétend faire : gouverner.

Le 22 avril 2012 pourrait-il ressembler au 21 avril 2002 ?

En 2002, le FN protestataire avait atteint son maximum. En 2012, son potentiel est beaucoup plus fort. Le FN n'a jamais été mesuré aussi haut et aussi tôt. Il y a un véritable danger. Le risque de 21 avril, à l'endroit ou l'envers, ne peut être négligé. Propos recueillis par D. R. A.