Elysées 2012

Accents

On sait qu'E Joly en a fait le prétexte d'un clip plutôt réussi. Il faut aller au-delà !

Au delà de la stupide polémique sur la liberté d'expression que soulève Zemmour dans cette émission, qui l'amène quand même à proclamer que toute opinion est légitime - même le racisme - même quand elle est stupide, il vaut sans doute mieux soulever simplement ce que cache cette assez traditionnelle moquerie à l'égard de l'accent dont Serres rappelle qu'il fut en son temps victime lui-même ; dont tout alsacien, de ma génération en tout cas, pourrait témoigner.

Une politique de la langue qui est aussi une politique de l'accent

Peut-être faut-il rappeler que la France aura de longtemps été le seul pays à s'être donné une politique de la langue : du décret de Villers-Cotterêts à l'institution de l'Académie Française - qui est quand même la police de la langue - jusqu'à la lutte acharnée, via l'école obligatoire, de la IIIe République contre tous les patois et dialectes régionaux quitte à le regretter un peu à partir des années 70 au point de vouloir promouvoir l'enseignement des parlers régionaux, oui, la France a voulu la généralisation de la langue française au détriment de tous les autres et ceci renvoie invariablement à la politique d'assimilation.

Pour autant, derrière ceci, il y a aussi, qui pointe, une forme d'assimilation sociale qui vise à distribuer le long d'une ligne que personne n'avoue jamais, mais qui demeure néanmoins quasi-infranchissable, d'un côté l'élite qui parle pointu, parisien, bourgeoisie éclairée, et de l'autre, le peuple qui parlait autrefois province, région, et aujourd'hui banlieue.

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Il faut assurément regarder ce petit extrait de Égaux mais pas trop : on y voit une jeune femme cinq ans après son passage par Science Po se regarder dans une ITV faite durant ses années d'études. Frappant décidément qu'avant même de sourire de ce qu'elle y dit, phénomène logique d'une jeune adulte s'amusant de ses propos d'adolescente, elle s'effraie d'abord de l'accent alors prononcé qu'elle y révèle. Accent moins banlieue (1) que populaire, accent provincial d'abord, lorrain en l'occurrence.

Frappant que soit perçue comme une évidence incontournable l'obligation de perdre son accent, comme si l'ascension sociale, la réussite devait se faire au prix de systématiques concessions au conformisme bourgeois, parisien. Il faut être aveugle pour ne pas voir combien l'accent peut-être socialement discriminant, combien les étudiants finissent presque tous par s'acharner à le perdre dès lors qu'ils ont compris combien leur parler peut les enfermer très vite du mauvais côté de la ligne.

Comment ne pas songer à la représentation bourgeoise du peuple tout au long du XIXe qui vit presque toujours dans la classe populaire une bête inculte, uniquement soumise à l'assouvissement sans retenue des pulsions les plus brutes, finalement un groupe pas - ou presque pas - assimilé à l'humain.

Oui, ce serait une erreur que de vouloir conjuguer l'accent à la seule perspective d'un ostracisme ou d'un racisme ; une erreur pire encore que de vouloir l'appréhender en terme d'identité ou de racines. Non ! d'abord il s'agit d'une ségrégation sociale qui court tout l'espace, celle des puissants, des nantis à l'encontre des pauvres, des faibles, du peuple.

Le mépris pour le peuple a une histoire et prend des formes infiniment variées. N'y surtout pas voir l'effet d'une quelconque pensée unique ou d'un politiquement correct dont la bien-pensance s'offusque si aisément ; mais seulement le jeu violent de la classe dominante.

Décidément la morgue des possédants, la suffisance de la classe possédante, sa hargne a le demeurer ne connaît aucune limite ni aucune mesure. C'est toujours la même violence à l'oeuvre pour exclure celui qui n'est pas du même monde, du cénacle.

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Et ces gens-là voudraient nous interdire même de s'en offusquer sous le fallacieux prétexte qu'on peut rire de tout ?

Reprendre sans doute la judicieuse formule de Desproges : oui on peut rire de tout .... mais pas avec tout le monde !

 

 

 


1) une thèse a été consacrée à ce sujet