Elysées 2012

Réindustrialiser *

C'est désormais le leitmotiv de tous les candidats constatant la marche rapide que prend la désindustrialisation.

Il faut bien voir qu'au-delà des interprétations que les uns et les autres font de ce phénomène, des causes ou des imputations qu'ils en dressent, c'est bien à une seconde révolution que l'on assiste qui affecte au plus profond le rapport que nous entretenons avec le monde.

- en moins d'un siècle nous sommes passés d'un monde agricole qui représentait presque la moitié des emplois en 1913 à moins de 5 % désormais

- en moins d'une cinquantaine d'année nous sommes passés d'un monde industriel, en retard certes sur ses voisins européens, mais en réelle dynamique dans les années d'après-guerre et les deux premières décennies de la Ve, à un repli en règle qui semble s'être amplifié depuis 2000, puisque l'industrie ne semble avoir perdu 45 % de ses emplois et ne plus devoir regrouper qu'une vingtaine de % de la population active.

Outre les inévitables effets économiques et sociaux il importe d'en souligner l'impact sur le visage même de notre pays, sur la relation que nous entretenons désormais avec l'espace et le temps.

L'industrie, de endo (en grec, ενδον au dedans, et struo : disposer, arranger d'où construire et bâtir : c'est l'essence même de la technique qui se concrétise dans l'industrie, ce par quoi l'homme s'affirme à la fois dans son habileté et son zèle puisqu'aussi bien industrie signifie aussi habileté, ingéniosité. A bien y regarder les services qui représentent désormais 75% des emplois en France, se définissent par la prestation donc par du non tangible.

Devenir ainsi une société de services c'est à sa façon quitter le réel, le matériel pour le virtuel, le logiciel.

On peut s'interroger sur l'aveuglement de ceux qui crurent que la division internationale du travail irait dans le sens d'un déplacement des activités productrices vers les seuls pays émergeants pour ne laisser aux pays dits développés (qu'autrefois justement on appelait industriels) que les services et les hautes technologies comme si un pays pouvait survivre en ne produisant plus, en restant une société de comptables et de touristes !

On peut s'interroger sur l'arrogance occidentale qui derechef affirme son irrésistible ethnocentrisme en délaissant aux autres celles des activités qu'elle juge désormais subalternes pour ne conserver par devers elle que les activités nobles.

On peut s'interroger sur ce que, anthropologiquement, signifie le fait d'ainsi explicitement dévaloriser l'acte de produire qui aura pourtant déterminé tout le parcours humain jusqu'ici.

On peut effectivement en déduire ce glissement dès lors inexorable du capitalisme vers le financier dès lors qu'y dominent les services et non plus l'industrie - ce qui s'observe jusque et y compris dans l'équipe dirigeante du MEDEF.

On peut même constater l'ironie d'une situation qui aura permis grosso modo à l'Europe de respecter ses engagements en matière d'émission de CO2 - justement parce qu'elle aura externalisé ses productions vers les pays émergeants se parant ainsi d'une vertu toute jésuite l'autorisant à gourmander non sans morgue

Mais nous sommes allés si loin et si vite dans ce processus que l'on pourrait aussi y considérer une véritable opportunité historique.

Nous sommes allés si loin dans ce jeu de massacre industriel qu'il y a tout à faire - à refaire : et se présente donc aussi la chance de pouvoir reconstruire une industrie qui corresponde aux critères du développement durable et de la qualité environnementale.

Cette chance de pouvoir construire une industrie d'un nouveau type, saurons-nous la saisir ? C'est ceci notamment qu'il faudra scruter dans les programmes industrieux des uns et des autres ....


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