Elysées 2012

Entre deux !

Un rythme, une musique, un balancement constant entre deux refus, la recherche désespérée et à certains moments solitaire d'une voie mitoyenne ... tel est bien le leit-motiv de Bayrou et ce n'est pourtant pas la première fois que le pays aura entendu cette chanson-là !

La posture est avouée, lui qui se choisit comme modèle de Gaulle et Mendès France deux des figures tutélaires de la France de la seconde moitié du XXe, pour des raisons finalement semblables, quoique les deux s'opposassent et eussent bénéficié de circonstances politiques bien différentes qui permirent à l'un de poser sa marque, à l'autre de n'intervenir que fugacement dans la marche de l'histoire. Ces raisons identiques tiennent en deux mots : vision, courage que s'attribue en toute modestie Bayrou.

Il faut revenir sur cette voie moyenne parce qu'elle en dit long sur l'approche des uns et des autres. Y revenir encore parce qu'elle participe trop des canons de la sagesse antique - la tempérance, le juste milieu - pour ne pas emporter avec elle sa cohorte de clichés mais aussi son apparence de cohérence et de sagesse populaire.

C'est - peut-être - ce qu'il y a de plus intéressant dans le politique qui s'emporte toujours sur les extrêmes mais s'exerce sur les moyens, qui se joue sur l'air des radicalités mais s'exécute sur le refrain parfois désespérant du réalisme. Qu'une politique qui n'aurait pas d'ambition et se contenterait de seulement gérer les affaires courantes - quitte à se nommer Realpolitik - ne peut pas ne pas se résonner autrement que comme une abdication en rase campagne, alors qu'à l'opposé toute stratégie qui en appellerait au rêve, à l'idéal, au soir du grand soir, sonne comme une utopie au mieux, une menace de totalitarisme au pire ; à la malice ou à la candeur.

Un point d'histoire

L'exemple de Février 65

Appelé à justifier ce qu'en ces temps-là on nommait politique des revenus (1), de Gaulle entame sa réponse par une de ces vastes fresques historiques dont il a le secret

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pour mettre sa politique en perspective face aux deux extrêmes qu'il refuse avec la même force : le libéralisme d'un côté, le dirigisme soviétique, de l'autre.

Autre temps, autre moeurs, dira-t-on ... il est vrai qu'en cette période de guerre froide où chacun des deux camps marque ses positions et son territoire, où chacun, pour éviter la dérive militaire, sublime son opposition du côté d'une confrontation tant technique (pensons seulement à la conquête de l'espace) qu'économique, où chacun se veut penser comme un modèle, en ces temps furieusement binaires - pour ne pas dire manichéens - il fallait assurément un certain culot pour renvoyer dos à dos les deux politiques dominantes et affirmer la possibilité d'une troisième voie.

Ce qui sied si admirablement à la phrase gaulliste, toujours ternaire, jamais binaire, toujours en quête de rassemblement sinon de réconciliation.

Ce qui signe aussi le tragique de la trajectoire gaulliste - en tout cas son relatif échec politique (2) : à bien y regarder la droite française s'y retrouva évidemment tant qu'il s'agissait de rétablir l'ordre, asseoir le pays sur des institutions solides, se donner une monnaie crédible et relancer l'économie ruinée par la guerre et ses prolongements Louis Vallon en 68successifs en Indochine et en Algérie ; qui s'en contenta beaucoup moins quand il s'agira de promouvoir le volet social d'un gaullisme qui ne s'entendait que contrebalancé par la participation etc . Le glissement vers le libéralisme que récusait de Gaulle commencera dès Pompidou, se fera plus criant encore après la fin des années de prospérité (Giscard/Barre) et sera ostentiblement provoquant avec les années Sarkozy.

A-t-on remarqué à cet égard combien la référence à de Gaulle aura été particulièrement absent dans la campagne de 2007 et ne concerne cette année que le volet institutionnel, politique - certainement pas économique ?

A-t-on assez remarqué qu'assez explicitement les projets du Medef restent quand même, sous couvert de préserver le modèle français, d'en finir avec l'héritage de la Libération et donc, de l'esprit du programme du CNR.

En réalité, c'est toute l'histoire de la droite française depuis la Libération qu'il faudrait ici retracer dans son glissement progressif depuis les années 80 vers un libéralisme avoué, franc et intégral que n'incarnait au début qu'un Madelin qui passait encore pour extrémiste au début des années 90 qu'en réalité tout le monde à droite, ou presque, a rejoint depuis.

Il n'empêche, et cet épisode l'illustre à merveille, on pouvait être de droite en 65 ... et dirigiste, en tout cas interventionniste. O tempora o mores !

Nous ne nous livrerons plus à la discrétion effrénée du capitalisme libéral

Toute la phrase gaullienne tient dans ce balancement du ni ceci, ni cela à quoi est reproché

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d'un côté l'injustice et les secousses, de l'autre, évidemment l'absence de liberté, la contrainte, la force. C'est bien un refus politique du libéralisme comme il y a refus du communisme soviétique. C'est assurément ceci qui marque le mieux la différence avec la période actuelle : alors c'était en politique que l'on envisageait l'économie ; désormais c'est en économiste - voire seulement en financier - que l'on envisage la politique.

Conduire, guider sans les maîtres-mots du verbe gaullien tant en ce qui concerne le rôle du président face à la nation que de celui de l'Etat face aux flux économiques. Rien n'est donc plus éloigné de la pensée gaullienne, on a presque envie d'écrire génétiquement, que l'affaissement de l'Etat face à l'économie, que sa soumission à un système sans règle. Loin d'être une politique irréaliste ou irresponsable - mais n'oublions pas que l'on se situe alors au creux des années glorieuses où un 5% de croissance pouvait passer pour ridicule - De Gaulle tient comme une évidence presque ménagère que l'on doive se garder de dépenser plus que ce que l'on gagne et éviter donc aussi la faillite qu'impliquerait inévitablement la facilité de l'inflation, mais pour autant rien ne serait plus éloigné de sa démarche, de son histoire, de son parcours que l'idée d'une soumission aux faits. Il faut prendre les réaités telles qu'elles sont, dit-il à plusieurs reprises, résoudre les problèmes à partir d'eux-mêmes, certes - par quoi le gaullisme se révèle pour ce qu'il est une démarche pragmatique - mais toujours au nom d'un objectif, d'une visée, qui est celle de la France, de sa grandeur, de son progrès - qu'il déclare encore être inéluctable - de son avenir.

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De ce point de vue est tout à fait gaullien cet appel à l'effort, mais surtout à l'effort intérieur ; ce refus d'aller chercher les causes de ses malheurs à l'extérieur ; cette volonté de ne compter que sur soi quand c'est l'avenir d'un peuple qui est en jeu ; cette métaphore de la guerre qu'on est en train de perdre ; qu'on ne peut pas perdre. Jusque et y compris ce refus de voir en l'Europe un père Fouettard qui viendrait sanctionner de l'extérieur les fautes que nous aurions commises. Cet appel enfin à l'unité nationale. Jusqu'à cette manière de surjouer la travrsée du désert et l'indifférence aux trahisons

Il suffit d'écouter la phrase, l'intonation : c'est la même. Elle est ternaire ! Ce n'est pas sa faute à lui ou à l'autre : mais à nous tous !

Il faut bien comprendre l'implacable dilemme où se met Bayrou qui ressemblera à une destinée visionnaire s'il réussit ; à une mégalomanie suicidaire s'il échoue. Il en appelle à l'effort de tous, à l'union nationale et donc au rassemblement de toutes les bonnes volontés... il ne peut de toute manière pas faire autre chose n'ayant ni parti ni majorité probable. Qu'il ne soit pas qualifié au second tour, il lui faudra bien - il l'a promis - appeler à voter pour l'un ou l'autre des finalistes qu'il aura pourtant morigénés, moralement et politiquement disqualifiés durant toute sa campagne. Même pas cornélienne, cette position est intenable.

Et pourtant ...

Ce fut exactement celle de de Gaulle en 58 qui, non plus n'avait pas de majorité et qui, sauf la pression -orchestrée d'ailleurs - de la rue et de l'armée algéroise n'eût jamais eu le soutien de la classe politique.

Ce fut exactement celle de 40 où de Gaulle eût contre lui les circonstances, la classe politique, les ambitions réelles de Pétain, le talent manoeuvrier de Laval, la lâcheté de presque toute l'Assemblée, pourtant celle de 36, la défaite ...

Identiquement le sentiment d'avoir raison contre tous ; identiquement le sentiment très fort d'une France qu'il fallait sauver ... contre elle-même ; identiquement un concours de circonstance défavorable qui rend l'issue heureuse improbable.

Identiquement ces mots ... union nationale, effort, destinée ....

Ce qui finalement pose la question toute simple de la légitimité. Cette dernière est fondée par la loi, mais surtout par la conformité aux principes et donc à la constitution évidemment mais aussi à la Déclaration des droits de l'homme qui justifie - peut justifier - la désobéissance sitôt que le pouvoir cesserait de respecter l'intérêt commun. Mais elle s'observe, qu'on le veuille ou non - a posteriori en raison de la victoire ou de la défaite. Qu'eût été de Gaulle en 45, en cas de défaite, sinon un condamné à mort par contumace ? un traître ? Qu'eût été de Gaulle en 58 sinon un général factieux ?

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On peut assurément dire la même chose de Bayrou qui ne me paraît pas plus mégalomane que ne l'était de Gaulle lorsqu'il parlait de lui à la troisième personne et s'identifiait à la France au point dans ses Mémoires d'utiliser indifféremment le je ou le elle pour se désigner lui-même. Qui mettait une telle émotion - jouissance ? - lorsqu'il l'évoquait ... (voir ci-contre. )

J'aime assez, je l'avoue, cette folie politique quand elle reste douce qui souligne si bien l'atroce fragilité des grands, l'insolente solidité des petits ...

Au bilan

On peut toujours, et certains commencent à le faire, soupçonner Bayrou de commencer à négocier son avenir, lassé qu'il serait de son rôle de Cassandre et d'ermite politique. On peut toujours s'en moquer et sourire en coin ... la question n'est pas là !

Elle est bien plutôt dans ce que révèle Bayrou, comme elle fut dans ce que révéla en son temps l'épopée de Gaulle.

Que la démocratie est ce régime, pour cela remarquable, capable de fonctionner même avec des gens ordinaires et parfois même avec un personnel politique médiocre. Que sa souplesse tient dans le collectif, le débat public et la négociation sempiternelle. Qu'il est, pourtant, des moments particuliers, des moments de crise, de tragédie, où la classe ordinaire, désemparée, lâche parfois, faible souvent, ordinaire simplement, cesse de pouvoir tenir la bride et attend, espère l'homme providentiel ... qui parfois paraît.

Qu'aussi souple qu'elle puisse être, la démocratie souffre de la même entropie que n'importe quel système et que crises, tragédies, guerre ou révolution lui sont parfois nécessaires pour se regénérer comme si le jeu avait parfois besoin que les cartes fussent totalement redistribuées.

On comprend bien pourquoi le discours de Bayrou commença par le peuple et la France et qu'il prit soin pour justifier l'unité nationale de parler de guerre que nous serons en train de perdre.

« Hegel remarque quelque part que tous les grands faits et les grands personnages de l’histoire universelle adviennent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. » Marx

Ce n'est peut être qu'une farce !

Mais l'entre-deux demeure : cet espace que dessine le sentiment assez général que portent tous les candidats d'une situation exceptionnelle, d'une croisée qui ne souffre pas de solutions ordinaires, ni donc d'acteurs ordinaires ; situation avec quoi certains jouent sur l'air de l'apocalypse, en tout cas moins de la peur que de l'angoisse.

Illusion millénariste, crainte fin de siècle comme notre histoire en connut plusieurs au gré de son parcours ? peut-être !

Mais une illusion qui fait de ces élections un moment très particulier et de ce mois de décembre un mois de latence, indécis comme jamais, où rien ne semble pouvoir encore se dessiner à l'horizon, ou tout, et en particulier le pire, paraît possible.

Mais c'est aussi tout son intérêt !

 

 

 

 


1) ce passage se situe au tout début de la conférence de presse consacrée par ailleurs à la crise du dollar, à l'ONU et à la réunification de l'Allemagne et donc à la politique européenne de la France . ( la conférence en sa totalité )

2) l'épisode de l'amendement Vallon *- instituant la participation - et la puissante animosité entre Pompidou et lui illustrent à l'envi cet antagonisme entre l'UNR et sa branche de gauche l'UDT et donc ce glissement insensible du gaullisme historique de la troisième voie à ce gaullisme d'affaires, d'inspiration libérale qu'incarnera à merveille ce Pompidou passé de l'agrégation de grammaire à la banque Rotschild

On voit ici Vallon interviewé par Dumayet, après son exclusion en 69 de l'UNR - le parti gaulliste de l'époque.

Notons que c'est encore ce vieil antagonisme qui fera s'éloigner des gens comme Malraux qui refusèrent après le référendum de 69 et le départ du Général, de participer à quelque gouvernement que ce soit sous la présidence de Pompidou.

3) ce que nous en écrivions cet été à propos de la référence au gaullisme de S Royal

 


à ne pas confondre avec l'amendement d'Henri Wallon qui en 1875 permit à une voix près, de fonder définitivement la république et donc de sortir du régime provisoire qui prévalait depuis le 2 Septembre 70 .