Elysées 2012

Figures de pouvoir

 

 

Entre la mise en scène grandiloquente des funérailles d'un dictateur mégalo et la disparition d'un grand humaniste, décidément il n'y a pas photo

Mais à leurs façons si différentes de disparaître au même moment, il y a sinon une leçon en tout cas une interrogation à tirer qui tient à l'étrange fascination du pouvoir.

Jolie figure de l'humilité, Havel est l'homme que rien n'aurait jamais du conduire vers la politique. Venu du monde des arts il aura été toute sa vie sinon un dissident en tout cas un citoyen capable de s'insurger quand la loi cessait de défendre les droits fondamentaux, habile à ne pas jouer le jeu classique et à dire tout haut, en dépit parfois de sa position institutionnelle, ce que sa conscience clamait et sa plume déclamait.

Humilité, c'est d'ailleurs ce terme qu'il emploie à l'issue de l'entretien qu'il accorda quelques mois à peine avant la révolution de velours.

Au seuil d'un nouveau millénaire, le bien le plus précieux à défendre, celui qui devrait faire partout l'unanimité, quels que soient les systèmes et les pays où l'on vit, c'est un certain nombre de qualités humaines, de valeurs fondamentales. Et, d'abord, l'humilité. Beaucoup d'événements cruels que nous avons vécus à la fin de ce millénaire, comme l'hitlérisme, le stalinisme ou, par exemple, les excès de Pol Pot, montrent l'orgueil, l'arrogance de groupes ou de personnes, de fanatiques ou de non-fanatiques, des idéologues, des doctrinaires, des utopistes. L'orgueil de ceux qui croient savoir comment tout doit être, qui croient décider de l'ordre des choses. Quand la réalité ne cadre pas avec leurs théories, ce sont leurs théories qu'ils imposent et elles débouchent droit sur les camps, les massacres, les guerres les plus atroces. Ce manque d'humilité, on l'observe ailleurs que dans le domaine strictement politique. A la base de la crise écologique du globe, on trouve encore l'orgueil : l'homme impose à la nature sa volonté, sans respecter ses lois, ses secrets. Je pourrais continuer longtemps ainsi... Gardons le sens de la liberté, de la dignité, de la justice. Et soyons plus humbles. (1)

Certes, sans doute faut-il une certaine dose de présomption - de mégalomanie ? - pour se croire capable de faire plier le cours des événements, pour s'imaginer investi de je ne sais quelle destinée, pour prétendre pouvoir incarner une nation ou l'avenir ... Certes, l'humain se définit précisément par sa rage à dire non et évidemment tant le politique que la technique n'ont de signification que par cette négation que l'humain porte à la fois sur lui-même et sur le monde. Pour autant ...

De Gaulle aura sans doute été le plus parfait exemple de cette mégalomanie, lui qui parlait de lui-même à la troisième personne ou s'identifiait à la France ! - qui fait le grand acteur de l'histoire mais d'une douce mégalomanie en ceci au moins qu'elle n'institua nul culte de la personnalité, nul sacre ou pseudo déification ; qu'elle resta dans les limites strictes même si parfois contestables de la république. Le premier des français est désormais le premier en France déclara Coty lors de l'investiture de de Gaulle en 58 mais précisément premier il fut mais pas au-dessus. Demeure la grande leçon rousseauiste qui assurément permet de distinguer le républicain du monarque, le démocrate du dictateur : il n'était pas au-dessus ! (2)

Quel contraste avec ce décorum grandiloquent des fastes communistes d'antan, avec ces masses rassemblées pour mettre en scène un malheur institutionnel ... Tout pouvoir sans contrôle rend fou disait Alain en 34 ... assurément ! C'est d'ailleurs ce seul truchement qu'aura trouvé la république pour se prémunir contre la folie du pouvoir : le contre-pouvoir qui surveille, rend compte, contrôle. Truchement qui ne marche pas si bien que cela, on le sait bien, ni n'évite les dérives.

Tout a l'air de se passer comme si nous n'avions le choix qu'entre la folie (3) dure et dangereuse du politique ou le doux rêve impuissant du poète. Tant l'on sait que le souhait platonicien de confier le pouvoir à ceux qui ne l'aiment pas - les philosophes - ne suffit pas vraiment à garantir l'inocuité du pouvoir.

Oui, le pouvoir est bien un pharmakos - φαρμακός - un rituel où se joue à la fois le poison et le remède ! Peut-être ne vaut-il que lorsqu'il est sacrifié ! Sans doute est-ce le grand mérite de la présidentielle au suffrage universel de ritualiser ainsi le rassemblement de la nation autour de la mise à mort de l'impétrant et la sacralisation - provisoire - de l'incarné !


1) entretien réalisé en juin 89 publié dans les Cahiers de l'Unesco

2) JJ Rousseau :

Quand chacun fait ce qui lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d'autres, et cela ne s'appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu'à n'être pas soumis à celle d'autrui; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner, c'est obéir. (...) Dans la liberté commune, nul n'a le droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit, et la vraie liberté n'est jamais destructrice d'elle-même. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction; car, comme qu'on s'y prenne, tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée. Il n'y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu'un est au-dessus des lois : dans l'état même de la nature, l'homme n'est libre qu'à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas; il a des chefs et non des maîtres; il obéit aux lois, mais il n'obéit pas aux hommes.

On remarquera d'ailleurs que la figure préalable du pouvoir demeure celle, biblique, de la traversée du désert, préalable à l'entrée dans Jérusalem. L'homme seul, qui comprend et domine seul la situation ....

3) sur la folie présidentielle ... cet article de R Bacqué