Elysées 2012

De la dévalorisation du travail

C'est celui qui dit, qui est

Comment ne pas songer à cette contine enfantine quand on entend évoquer la dévalorisation du travail ?

Une bataille à front renversé

Ce sera l'antienne de toute l'idéologie dominante, avec des variantes évidemment, des nuances sans doute, sur lesquelles nous nous appuyerons, mais un leit-motiv néanmoins que de prétendre être le grand défenseur de la valeur travail alors même qu'en face, du côté des travailleurs, l'on n'eût à faire qu'à des fainéants, avides de paresse et de jouissance.

Au lieu, qu'à bien y regarder, c'est assurément du côté du mouvement ouvrier, de l'ensemble des sensibilités sociales depuis un siècle et demi, que se trouvent ceux-là précisément qui défendront le travail en tentant de lui conférer une valeur positive, de libération et d'épanouissement.

On n'a pas assez dit, notamment, que la campagne sarkozyste d'il y a bientôt cinq ans, aura résumé, jusqu'à la caricature cette bataille-ci. Il suffit de relire le discours qu'il prononça au congrès de l'UMP en Janvier 2007 pour le comprendre 1 Outre les habiletés rhétoriques qui lui auront permis de se positionner du côté d'une gauche qui aurait trahi ses valeurs, les éléments de langage déjà présents qui lui permirent d'inverser à l'envi le sens des mots et de récupérer à son compte le progrès pour rejeter la gauche dans le conservatisme, il y a une réalité : celle de la politique menée qui permet de mettre en face des mots, des faits, bruts, inolents, impudiques.

- quand en début de mandat il propose d'élargir le travail au dimanche au nom de la valeur travail que fait-il d'autre sinon proposer comme modèle le seul dyptique production/consommation comme si la pause dominicale, loin d'être le souffle nécessaire du recul ou bien seulement l'espace requis pour l'éclosion d'une vie privée et familiale n'était que lâche concession faite à la paresse ?

- quand sont défiscalisées les heures supplémentaires pour inciter chacun à travailler plus, et ceci indépendamment de toute considération sur le coût d'une telle mesure, que fait-il d'autre que le dévaloriser puisqu'en même temps les salaires sont sinon bloqués tout au moins très ralentis dans leur progression ? Qu'être amené à travailler plus pour compenser des salaires qui ne suivent plus l'augmentation du coût de la vie, revient en réalité à voir la valeur travail diminuée.

- quand, très récemment, à l'occasion de la crise de la dette, Sarkozy rabat l'exigence du travailler plus non plus sur le gagner plus mais seulement sur le remboursement de la dette ; que par ailleurs il fustige l'illusion dont nous aurions été victimes (ou acteurs fautifs) d'avoir imaginé que l'on pût travailler moins , que fait-il d'autre sinon en revenir à la vieille représenation d'un travail souffrance, punition. On est, en tout état de cause, très loin de la représentation d'un travail qui épanouisse et rende libre.

Au lieu que, de l'autre côté, dans la recherche d'une organisation du travail, mais aussi, depuis peu, dans l'invention d'un modèle économique qui ne mette pas en péril, ni la société elle-même ni la planète il y a, sinon des solutions, au moins une tentative acharnée d'en faire le vecteur positif de l'histoire humaine.

Ce ne saurait être un hasard.

Libération & épanouissement

Ces deux termes renvoient inéluctablement à l'individu et non plus au collectif. Il n'est de libération que de sa propre volonté ; d'épanouissement que de ses propres désirs. L'ordre, au fond, n'aime pas l'abondance et s'il est une contradiction interne au capitalisme, elle tient peut-être moins à la baisse tendancielle du taux de profit que crut y percevoir Marx que dans l'abondance que la nécessaire rotation du capital adjointe à la productivité accrue du travail humain qu'autorisent les progrès techniques, produit invariablement avec la nécessité non moins impérieuse de trouver en face des marchandises produites de plus en plus nombreuses et de plus en plus vites, des consommateurs prêts et capables de les acheter.

C'est que la soumission à l'ordre établi est d'autant plus forte que règne une pénurie face à quoi seule une démarche collective, ordonnée peut trouver réponse. La liberté est un luxe, et l'individu avec elle, que seule une société qui aura résolu ses conditions élémentaires de surcie, peut se permettre.

L'abondance est centrifuge ; seule la pénurie est centripète. L'ordre est affaire de collectif et le collectif ne se maintient jamais aussi bien que dans la pénurie, la pauvreté, la survie. Le capitalisme crève de ne pouvoir survivre dans une abondance qu'il est pourtant le seul à pouvoir produire. Le système aime la pauvreté et l'obéissance, la morale aussi ; l'église évidemment qui n'a pas fait pour rien voeu de chasteté et pauvreté.

D'où tout au long du XIXe les quatre dérives que souligne Rosanvallon dans la société des égaux

- l'idéologie libérale conservatrice

- le communisme utopique

- le national-protectionnisme

- le racisme constituant

Qui méritent qu'on y revienne

Petit bilan en forme d'angoisse

Plus de deux siècles après 89, après un siècle et demi de capitalisme industriel, après presque soixante-dix années de progrès techniques incessants et de plus en plus rapides qui contribuèrent amplement à bouleverser nos sociétés quel bilan tenir ?

Les Trente Glorieuses mises à part, autorisées par l'immensité de la reconstruction nécessaire d'une Europe dévastée par deux guerres mondiales, déprimée par les horreurs qu'elle aura laissé fomenter en son sein, ces trente années oui mises à part qui ont pu donner l'illusion d'un progrès qui n'aurait de cesse et garantirait que demain irrémédiablement serait meilleur qu'aujourd'hui et qui effectivement garantirent longtemps que le sort de la génération suivante fût meilleur que celui de la précédente ; les Trentes Glorieuses qui n'auront été qu'une parenthèse une fois achevées, oui, qu'observons-nous ?

- une société qui vante le travail mais n'est même pas capable de l'offrir à tous au point de considérer avec ce cynisme que seul le jargon de l'expertise est capable de proférer sans honte ni camouflage qu'est société de plein emploi celle qui eût moins de 10% de chomeurs

- une société qui aura démultiplié la puissance de l'effort humain dans des proportions inimaginables autrement sans pour autant savoir en faire profiter le plus grand nombre et ce au point que même la réduction du temps de travail est présentée comme une faute, un signe de faiblesse ou de paresse.

- une société qui aura promis le bonheur mais suinte l'ennui quand elle croit bien aller, l'angoisse quand elle est en crise, qui aura produit une telle atomisation que chacun, isolé, impuissant, est voué sans réelle alternative à cette oppression molle que Tocqueville avait entrevue ; une société morose en attendant d'être en colère.

- une société qui n'a de place à offrir ni à ses jeunes, ni à ses vieux et seulement à une tranche de plus en plus étroite de trentenaires dynamiques vite rejetés au rebus dès la cinquantaine atteinte

- une société qui court à sa perte et sait qu'elle épuise ses ressources à pleine allure sans même se soucier de leur remplacement ; qui brûle son environnement sans même être capable de s'en soucier encore moins d'en prévenir les effets

- une société, enfin, où le travail uniquement perçu comme performance semble avoir pris toute sa tapageuse place semblant par la même considérer l'homme comme un appui subsidiaire dont on devrait bien pouvoir se passer

- une société encore qui sait à l'envi réinventer l'esclavage, la soumission et ne manque pas pourtant de mots suaves - mondialisation - pour travestir l'horizon qu'elle bouche pour le plus grand nombre.

On a presque envie d'écrire tout ça pour ça ?

L'échec sans doute le plus flagrand de cette culture occidentale : d'avoir pris le parti des choses, elle en a oublié l'homme.


1) Discours de Janvier 2007

Mes valeurs sont les vôtres, celles de la droite républicaine. Ce sont des valeurs d'équité, d'ordre, de mérite, de travail, de responsabilité

(...)

Le but de la République c'est la reconnaissance du travail comme source de la propriété et la propriété comme représentation du travail.

(...)

Notre modèle républicain est en crise. Cette crise est avant tout morale. Au coeur de celle-ci il y a la 8 dévalorisation du travail.

Le travail c'est la liberté, c'est l'égalité des chances, c'est la promotion sociale. Le travail c'est le respect, c'est la dignité, c'est la citoyenneté réelle. Avec la crise de la valeur travail, c'est l'espérance qui disparaît. Comment espérer encore si le travail ne permet plus de se mettre à l'abri de la précarité, de s'en sortir, de progresser ? Le travailleur qui voit l'assisté s'en tirer mieux que lui pour boucler ses fins de mois sans rien faire ou le patron qui a conduit son entreprise au bord de la faillite partir avec un parachute en or finit par se dire qu'il n'a aucune raison de se donner autant de mal.

Le travail est dévalorisé, la France qui travaille est démoralisée.

Le problème c'est que la France travaille moins quand les autres travaillent plus. Le plein emploi est possible chez les autres. Il l'est aussi chez nous. Il faut aimer le travail et pas le détester.

Le problème c'est qu'il n'y a pas assez de travail en France pour financer les retraites, l'allongement de la durée de la vie, la dépendance, la protection sociale, pour faire fonctionner notre modèle d'intégration.

Longtemps la droite a ignoré le travailleur et la gauche qui jadis s'identifiait à lui a fini par le trahir.

Je veux être le Président d'une France qui remettra le travailleur au coeur de la société. Je veux proposer aux Français une politique dont le but sera la revalorisation du travail.