Elysées 2012

Sarkozy

On a beaucoup écrit sur lui, beaucoup dit et l'on publie à l'occasion des présidentielles un nombre impressionnant d'ouvrages. C'est peu dire qu'il fascine, étonne et parfois inquiète. C'est assez dire - sa grande force - qu'il sera, de toute manière, le roi de la fête, celui autour de quoi tout tournera et sans doute assez champion de la communication pour obliger les autres concurrents à se positionner face à lui, le sortant, mais surtout le maître ès image et parole, pour conserver en dépit de scores sondagiers médiocres encore, une ligne d'avance.

Tout le monde aura relevé la stratégie de représidentialisation qui est sienne depuis bientôt un an : on peut y revenir parce qu'elle révèle combien, en fin limier, il aura compris tôt que ce manque de hauteur, de stature pouvait à terme le plomber. Comme tout sortant il a la difficulté à la fois d'assumer son bilan et de dessiner des perspectives - et l'on sait qu'un Giscard par exemple n'aura pas résisté en 81 à ce dilemme. Mais Sarkozy sait qu'il ne peut se battre sur deux fronts : le bilan et la stature.

La statue du commandeur

La récente émission Déshabillons-les confirme, au moins dans la bouche de S Rozès, ce que nous avions repéré lors de son intervention lors de la crise grecque cet automne. Sarkozy revêt les habits du sauveur.

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Il faut regarder attentivement ces deux séquences notamment celle où, sur le perron de l'Elysée, il intervient pour commenter la décision, entre temps rapportée, de recourir au référendum pour faire approuver les mesures prises.

Non dans son bureau avec le décorum que ceci eût supposé, non à l'occasion d'une conférence de presse derrière une tribune, mais, comme à l'improviste, et pour mieux en souligner l'urgence et l'importance, sur le perron, derrière un micro qui lui barre la silhouette. Belle figure de la dramatisation dont on a déjà dit qu'elle est un des artifices du discours politique de crise, que celle d'un président descendant dans l'arène, comme pour mieux prendre à bras le corps le problème qui se pose, comme pour mieux prendre le taureau par les cornes. A ce moment précis, il est la quintessence de la présidence : celui qui, aux commandes, agit, interpelle, semonce et met en garde ; celui qui à la fois parle et agit. Ce qu'il avait déjà souligné lors de son intervention télévisée précédente : je ne suis pas là pour commenter l'actualité, mais pour agir.

Où l'analyse de S Rozès prend tout son sens : les temps ordinaires ne conviennent pas à N Sarkozy. Comme si ne l'intéressaient

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que les phases de grandes tempêtes, les crises graves où il pourrait donner toute sa (dé)mesure quand au fond il s'ennuierait dans les périodes ordinaires. Va dans ce sens le rythme effréné qu'il imprima aux réformes dès le début du quinquennat et la boutade relevée par D Jeambar selon laquelle il ne ferait qu'un seul mandat pour bousculer la France ... avant d'aller faire du fric dans le privé ! 3.

C'est d'ailleurs tout l'enjeu de cette crise financière qui, en offrant à Sarkozy l'occasion de se repositionner dans une période de fortes tensions lui offre aussi toute la dynamique du désir, lui que n'intéresse pas la gestion mais seulement la forte transformation du réel. (4) Opportunité qui, au delà de l'inévitable tension ( tentation ?) qui aura affecté chacun en dépit de toute raison d'affronter la malédiction du second mandat, explique que Sarkozy en dépit de ce qu'il aura pu dire - et sans doute penser en 2006 se représentera : l'occasion est trop belle, trop à sa mesure.

Sauveur ?

Où l'on retrouve la configuration résolument sacrée du pouvoir, quoiqu'on en veuille, quoiqu'on y fît. Sarkozy aura payé cher, en terme sinon d'impopularité ( ceci c'est sans doute l'usure du pouvoir et mes mesures suscitées par la crise qui peut l'expliquer) mais surtout d'agacement - jusque et y compris dans sa propre majorité - le fait d'avoir profané la figure présidentielle par le côté bling bling des débuts, le langage relâché, l'intervention systématique urbi et orbi sur à peu près tous les sujets - ce que l'on a appelé l'hyperprésidence.

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Toute la question est de savoir si Sarkozy est capable de résister à la tension réelle chez lui entre l'homme moderne, transgressif, qu'il est et la hauteur où il sait devoir se hisser. Ce sera tout l'enjeu de la campagne qui s'ouvre véritablement à partir de janvier où manifestement la crise, sur laquelle il va jouer assurément, lui est un étai confortable.

Toute la question, mais elle est aussi personnelle ou, si l'on veut plutôt psychologique, demeure de savoir s'il n'y a pas une contradiction in adjecto entre la démarche qui fut sienne de bousculer le pays et donc de le heurter, en ne jouant pas sur le temps long de la transformation sociale et politique mais sur le temps court du management et des marchés financiers, toute la question demeure, oui, si la trajectoire dès lors nécessaire de ce second mandat n'irait pas si systématiquement à l'encontre du premier autant qu'à l'inverse de sa psychologie pour qu'il puisse y réellement parvenir.

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C'est que, comme le souligne Jeambar, Sarkozy souffre à sa manière, d'un manque de culture chronique qui l'empêche de saisir le vent de l'histoire : il a le sens du moment, de l'événement, et sait habilement en profiter, mais il n'a pas le sens de l'histoire et des mouvements de fond qui l'animent. Tout le projet sarkoziste, il faut le répéter, et sans doute la cohérence de sa démarche tient tout entière ici, depuis le début de son mandat : le pays est figé et totalement inadapté à la mondialisation qu'il faut donc secouer et le faire de telle manière que les mouvements entamés soient irréversibles.

Mais en même temps cette mise en mouvement du pays souffre de la paralysie provoquée par l'hyperprésidence elle-même, par cette tendance à se mêler de tout, à intervenir partout, à occuper toute la place, toutes les places.

La réussite de Sarkozy en mai, en tout cas celle de sa campagne dépend totalement de sa capacité à résoudre cette double contradiction, personnelle et politique. J-A Miller estime qu'il est en train de la réussir : c'est effectivement possible dans la mesure où, capable de prendre sur lui, il saura continuer à montrer qu'il est l'homme qui peut, avec les grands de ce monde, Merckel Obama, sortir le monde de l'ornière. (voir)

Elements de discours

J-A Miller croit deviner chez Sarkozy l'homme de la pensée qui viendrait prendre le pas sur l'homme d'action qu'il s'est attaché à montrer depuis 5 ans. Homme de la pensée qui aurait pris conscience que c'est avec le monde qu'il aura à faire, un monde où tout ne serait pas possible et où son rôle serait pour la France et avec elle de faire des choix.

C'est assez dire que l'essentiel de la campagne devrait alors se faire autour de ce thème : l'invention d'un monde nouveau en train de se bâtir sous nos yeux, invention dont la France ne doit pas se tenir écartée quitte à devoir en payer un prix difficile. Représenter le monde qui est la raison aux yeux des français, dit J-A Miller, telle serait le leitmotiv de sa campagne à venir.

Mais ici encore le propos ne va pas sans vent contraire : choisir le monde, les grands horizons de la politique étrangère, se donner la hauteur de la mondialisation et n'en surtout pas rester au pré carré hexagonal est la démarche type d'un président; certes ! pour autant, et l'exemple de la dissolution ratée de 97 l'illustre à l'envi, on ne peut pas gagner d'élection, se présenter devant la nation en proclamant que les choix à faire sont pris sous la contrainte extérieure. Chirac s'y est cassé les dents ! Il lui faudra bien dessiner des perspectives, dresser des projets et ne plus se contenter comme il fit de réformer sans toujours dire où il allait, où il voulait aller. Ce déni de démocratie qui fait déjà grincer des dents sur la question européenne serait inévitablement sanctionné au niveau national.

C'est bien en ceci, et sans doute Sarkozy en a-t-il parfaitement conscience, que cette élection ne saurait être ordinaire ; qu'elle est, comme sans doute celle de 2007, une élection de rupture, où la Nation sait qu'elle a rendez-vous avec elle-même; où il s'agira à la fois de maintenir la cohérence de la nation, ce que l'accroissement actuel des inégalités met en péril, et de proposer un projet politique, clair et non tu, qui permettre à la France à la fois de s'adapter aux mutations en cours et de préserver son identité et son projet républicain.

C'est bien ici que réside son challenge, au delà de son coefficient psychologique personnel : ne plus brusquer mais dire explicitement ce qu'il propose ; et mettre en place une démarche moins autoritaire puisqu'aussi bien c'est cet autoritarisme-là que les français semble avoir récusé depuis quelques temps.


1) lire : Représidentialisation ; stature ; piège ; et ce que nous en écrivions en juin

2) lequel, par ailleurs, apparaît sinon comme conseiller au moins comme visiteur du soir de F Hollande

3) revoir France Culture à l'issue des sénatoriales où débattent D Jeambar et S Rozès

4) écouter à ce propos la chronique de B Couturier faite à l'occasion de cette même émission : "seule la rupture l'intéresse, la question ne l'amuse pas" (sur la fin)