Elysées 2012

Boudu sauvé des eaux

C'est à ce film de Renoir, qu'irrésistiblement, me font penser les récents commentaires de la presse après le Sommet européen, autant du reste que la dernière intervention présidentielle sur la question.

L'invraisemblable Boudu - si magnifiquement incarné par M Simon - qui pourrit la vie de son sauveur renvoie sans doute à notre propre barbarie, à cette curieuse scénographie où, condamnés à n'être que les spectateurs un peu trop voyeurs, pas vraiment solidaires mais suffisamment sordides pour nous délecter de la misère des autres tout en nous réconfortant que ce coup-ci le boulet n'est pas passé si loin de nous ; scénographie, oui, où à la fois nous pestons mais demeurons passifs, prompts à espérer ici un sauveur, là un guide qui nous déchargera de notre faix et que nous fustigerons dès demain, dès notre inéluctable déception. Barbarie où, mais Girard et Levi-Strauss ne l'ont-ils pas pensé déjà, sauvé et sauveur se ressemblent si étrangement, aussi peu affriolants l'un que l'autre.

D'aucuns s'en moquent, dont c'est le métier. Ils ont raison tant l'outrance d'une dramaturgie savamment orchestrée, respire le positionnement tactique que l'on observe, de réunions internationales en sommets de crise, ponctuée avec une obstination qui mesure le changement stratégique de représidentialisation que nous avions déjà observée.

Repositionnement

Repousser officiellement au plus tard possible son entrée en campagne officielle, ce qui est logique, même si cette contre-vérité officielle offense toutes les évidences et, notamment, ces visites hebdomadaires en province. Et, pendant ce temps-là, pendant que les autres s'égarent en petites phrases de pré-campagne, lui fait le président et sauve le monde. C'est toute la stratégie adoptée par Sarkozy depuis quelques mois : il n'en a pas d'autre, il ne peut en avoir d'autre non seulement parce qu'il est sortant et a de ce point de vue la difficulté à la fois d'assumer un bilan et de proposer un projet mais aussi parce que son bilan est, pour le moment, plutôt mal perçu.

Les récentes enquêtes (Viavoice) montrent que cette stratégie n'est pas gagnée d'avance tant le rejet semble, pour le moment profond, au point que les réponses fournies affirment faire plus confiance, même sur les affaires de la dette, à Hollande qu'à Sarkozy ce qui est quand même un comble. Il n'est cependant pas impossible, à la mesure de l'évolution de cette crise, qu'il ne finisse par en récolter les dividendes.

En tout cas cette stratégie passe invariablement par trois procédés solidaires

Dramatisation

La crise est grave, ceci tout le monde le sait. On est au bord du gouffre et on est passé

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tout près de la catastrophe. De ce point de vue, les atermoiements anxiogènes et désastreux sur les marchés autant que pour l'image politique de l'Europe, cette crise grecque à laquelle on n'arrive pas à apporter de solution rapide, les réticences allemandes pourraient paradoxalement servir en accentuant l'imminence et la gravité de la crise et, partant, en soulignant le rôle du héros sauveur.

La dramatisation passe par l'argument des conséquences en chaîne qui emporteraient l'Europe d'abord, le monde ensuite, ouvrant sur une situation dès l ors immaîtrisable. On remarquera que cette posture prise, qui exhausse le sauveur à la hauteur de la gravité de la crise (voir notamment un C Jacob évoquant un président sur-dimensionné) n'a de sens que si en même temps qu'elle règle les comptes du passé, elle trace en même temps une perspective pour le futur : ce qui est fait ici par une très jolie leçon de morale sur la solidarité et les valeurs de l'Occident, ramenée au concept de famille.

Eclairage et morale

Sarkozy dont toute la presse avait annoncé, dans des termes d'ailleurs à ce point identiques que l'on peut se demander si ce n'est pas ici encore un résultat de ces éléments de langage, qu'il allait se livrer à une explication de texte, de la pédagogie s'attache dans cette intervention à systématiquement ramener la question à des concepts simples assimilables par tous : qui dit dépenser plus que ce que l'on gagne, dit dette et donc emprunt - ce que chacun comprend. Qui dit dette dit dépendance à l'égard de ses créanciers. Sarkozy se pose à lui-même des questions auxquelles il apporte des réponses simples en même temps qu'il en tire deux leçons de morale : à côté de la valeur positive de la solidarité européenne pensée à partir du concept de famille, Sarkozy se place aussi dans la position du Père Fouettard qui gourmande

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- les marchés financiers qui ont fait n'importe quoi

Incontestablement, ce premier point, répété deux fois rien qu'au début de l'intervention, lui permet, par anticipation, de se positionner à la fois comme un dirigeant responsable récusant comme absurde la démondialisation dont il a bien vu lors des primaires qu'elle pouvait être un abcès de fixation de la grogne électorale, une démondialisation qu'il récuse comme il l'a fait déjà à plusieurs reprises d'un revers de manche par l'argument d'un travailleur chinois, indien ou brésilien, nullement impressionné par l'éventuel protectionnisme de la France. Mais une expression triviale et porteuse qui lui permet en même temps, en filigrane, de retrouver les accents de son discours de Janvier 2010 sur le nouveau capitalisme. Et d'échapper à sa figure de féal des nantis et de la finance internationale.

Assurément l'argument devrait reparaître durant la campagne électorale d'autant qu'il ne pourra se poser en sauveur du monde qu'en ne se contentant pas de boucher les trous en urgence mais au contraire en proposant de nouvelles perspectives et donc notamment à l'Europe et à la régulation financière.

- les français qui ont cru qu'on pouvait travailler moins.

Argument habile qui va servir trois fois :

- pour rappeler qu'il n'est pour rien dans la crise qui a débuté avec l'entrée dans la zone Euro de la Grèce à un moment où ni lui ni Merckel n'étaient en fonction

- pour rappeler que la fragilité de la France sur les marchés, l'écart avec l'Allemagne et les risques éventuels de perte de son AAA ne sont pas de son fait mais remontent à 83 - avec l'adoption sous Mitterrand de la retraite à 60 ans - et à 2001 - avec l'adoption des 35 H qui auraient ruiné la compétitivité du pays - . Ce faisant il se dédouane de toute responsabilité dans la crise de la dette, évitant ainsi par avance l'argument d'undéficit et d'une dette qui se seraient accrus sous son mandat ; mais, en même temps se paie le luxe de tacler la gauche. Argument de bonne guerre même s'il peut paraître culotté, son camp étant au pouvoir depuis dix ans, mais argument qui servira d'autant mieux qu'il y glisse la métaphore implicite mais simple de la goutte d'eau qui fait déborder le vase : une succession de budgets votés en déficit depuis 75, des mesures sociales à l'encontre de toute cohérence économique, un monde financier qui fait n'importe quoi et un pays - la Grèce - qui ment sur ses chiffres ... tout ceci constitue un faisceau de causes qui rendent la situation inextricable, mais soulignent aussi l'habileté du dirigeant qui sait s'en dépatouiller, mais encore l'innocente de toute responsabilité.

- pour revivifier un slogan électoral passablement défraîchi : travailler plus pour gagner plus. Sauf à considérer que désormais il ne sert plus à fustiger la gauche qui aurait trahi le peuple et eût contribué à dévaloriser la valeur travail ; non ce sont ici les français eux-mêmes qui sont visés en ligne de mire : il va falloir se retrousser les manches, travailler plus, non pour gagner plus mais pour rembourser ses dettes.

Argument habile mais dangereux néanmoins pour ce qu'il équivaut à une sévère admonestation des français implicitement accusés d'être, en partie du moins, la cause de la crise pour avoir cru aux sirènes démagogiques de la gauche. Je ne suis pas convaincu que les français accepteront aisément de se laisser entendre comme des fainéants qui plus est suspects de prodigalité délictueuse, même s'il est vrai que l'argument permet à Sarkozy de taper un coup à gauche - les français - et à droite - les banquiers, la finance internationale - et de se donner ainsi des allures de modéré en affirmant vouloir en revenir à la règle, apparemment de bon sens, d'un budget équilibré ; à une saine morale quotidienne et gestion prudente de père de famille qui exige que l'on rembourse des dettes et ne dépense pas plus que ce que l'on a.

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Argument dangereux parce que c'est feindre d'oublier quand même que le capitalisme n'a pu se développer qu'en dépassant l'opprobre de la dette pour ériger un système de crédit, et ce tant au niveau global que local. En revenir à la honte du failli, à l'irresponsabilité de l'endetté, c'est en revenir à une morale étriquée de l'argent rare qui convenait sans doute magnifiquement à l'économie féodale, mais pas vraiment à une économie mondialisée.

S'offrir le luxe de la culpabilisation, c'est, derechef, mais nous l'avons déjà souligné, flirter avec l'argument pétainiste des mensonges qui vous ont fait tant de mal . Argument dangereux parce que contradictoire car, outre les relents troubles que politiquement il véhicule - qui de ce fait donnent implicitement raison à une extrême-droite qui ne demandait que cela - il faut bien avouer qu'il n'a de sens que dans une stratégie de repli sur soi qui va évidemment à l'encontre de l'appel à la mondialisation et à un monde moderne qui demeure quand même le leit-motiv de Sarkozy.

On voit ici se dessiner à nouveau les thèmes de campagne de janvier : comme en 2007, sans doute, des gages à l'extrême droite que l'on a déjà repérés dans le discours sécuritaire du ministre de l'intérieur; que l'on retrouve ici. Je sais bien que c'est dans les vieilles jarres que l'on fait le meilleur vin ; il n'est pas certain que la vieille recette fasse encore merveille ...

Personnalisation

Elle est manifeste et se reconnaît à la fois

- dans ce passage où il rappelle qu'il est là non pour commenter les événements - allusion évidente à Hollande qui lui permet implicitement de faire valoir son expérience, notamment internationale, quand l'opposition se contente de bavasser et critiquer. Petit rappel implicite de l'antienne du début de mandat je n'ai pas été élu pour faire la sieste qui répondait aux critiques de l'hyper-présidence.

- dans ce second passage où sont évoqués ses coups de colère, qu'il avoue en même temps que ses erreurs, ce qui lui permet à la fois de souligner sa dimension humaine et donc de se (re)rendre aimable et marquer qu'il a changé (derechef, comme en 2007) en sachant mieux se maîtriser, en ayant mûri (ce qu'une récente ITV de son épouse soulignait) ; qui lui permet néanmoins de conserver cette image d'(hyper)actif par quoi il veut ponctuer sa posture de président.

- dans ce passage enfin, mi-moralisateur, mi-menaçant, où il souligne que les mesures drastiques prises en Grèce, Portugal ou Espagne ont été épargnées à la France : pas de baisse de salaire des fonctionnaires ni de baisse des retraites grâce au non-renouvellement d'un fonctionnaire sur deux, à la réforme des retraites. Sarkozy (avec Fillon à cette seule occasion cité) non seulement sauveur mais protecteur : oui décidément tout l'attirail du guide est ici mobilisé !

Pour autant - mais doit-on le souligner comme le signe d'une certaine dégradation de la position de la France ou comme un symbole d'humilité ? - cette personnalisation se fait presque toujours sous la double aune de Madame Merckel et moi.

Ce qui est utile trois fois en lui permettant:

- de placer sa démarche dans les traces des grands anciens et ce n'est certainement pas un hasard s'il cite les trois couples décisifs de l'histoire européenne (de Gaulle/Adenauder ; Giscard/Schmidt et Mitterrand/Kohl). Remarquons au passage que Chirac est joyeusement oublié dans cette liste... Ce qui lui permet de se donner une dimension historique que d'aucuns lui récusent (Hollande a ainsi évoqué un quinquennat gâché, Mélenchon d'un président qui nous perdre notre temps ...)

- de justifier sa démarche de convergence avec l'Allemagne en soulignant finalement qu'il n'y avait que deux solutions : soit imiter une démarche à la grecque et aller à la catastrophe, soit rejoindre la voie allemande. Aller dans le sens de ceux qui réussissent, c'est aussi protéger. En la sorte, Sarkozy se veut acteur plein en choisissant l'Europe allemande et non pas victime passive d'événements qui le dépasseraient.

- d'atténuer l'impression qu'on eût pu avoir d'une dépendance vis-à-vis de l'Allemagne en rappelant que l'Europe ne peut se faire sans, s'est toujours développée à partir de ce couple franco-allemand.

Au bilan

Même si l'interview cache mal des zones d'ombre et des contre-vérités manifestes, elle aura été habile au moins en ceci qu'elle sut trouver la juste intersection entre le président qui explique et rend compte et le candidat qui ne répugne pas à tirer quelques dividendes de la crise.

L'enjeu des prochains mois restera néanmoins pour lui de pouvoir capitaliser sur cette crise. Or, il ne le pourra qu' à deux conditions : la première, évidente, que la crise de la dette s'éloigne au moins dans ses aspérités les plus cruelles ; la seconde, qui le concerne directement, que l'impression s'estompte qu'il se serait soumis aux diktats allemands et aurait fait finalement preuve de plus de faiblesse que de détermination.

Sa grande force restant son expérience internationale, il ne pourra s'en servir pour asseoir sa stature qu'à cette condition, lui, à qui on a reproché en début de mandat, de s'être trop couché devant le modèle américain - ce que Chirac rappelait dans ses mémoires - il ne survivrait pas politiquement s'il s'avérait avoir succombé aux charmes allemands.

 


Montage Libération

 
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