Elysées 2012

Du bon usage des campagnes électorales

J'aime assez, qu'en ces périodes de troubles et de crises, en cette phase pré-électorale, l'on se pose les questions parfois iconoclastes. Et puis ... cet article, dans le Monde se demandant si l'argent n'était pas devenu obsolète ! Qu'il fût écrit par un philosophe n'est pas vraiment étonnant, dont la vocation demeure quand même, de poser, à la racine, des questions qui donnent à penser plutôt que de fourbir des réponses toutes prêtes à l'emploi.

Ce qui est, une autre manière encore de concevoir une élection présidentielle : certes, la désignation pour une période donnée de qui conduira le pays, mais l'occasion périodiquement offerte pour une nation d'un retour sur soi.

On pourrait à ce titre proposer trois variations possibles de l'usage d'une campagne présidentielle :

- à partir d'une lecture anthropologique à la Caillois, considérer qu'une élection fonctionne exactement comme une fête en ponctuant dans le temps social, la nécessaire séparation entre profane et sacré ; en offrant un temps arraché à la lourdeur du quotidien, où, tout s'inversant et se pouvant mimer, la communauté s'offrirait le luxe de l'oubli du réel, du gaspillage et de la mise en scène de sa propre union. Si le politique est affaire de représentation ce n'est pas seulement par la désignation en son sein d'élus qui représentent la volonté générale, le peuple ... c'est aussi en ceci qu'il n'est pas de groupe humain qui n'ait besoin de mimer, de mettre en scène autant dans l'espace que dans le temps, les liens qui l'unissent ou ne manquent jamais de la désunir. Et l'on trouvera effectivement dans les périodes électorales exactement les mêmes caractéristiques que dans les fêtes : l'excès, la bombance, le gaspillage d'autant plus hyperbolique que l'on aura à faire à une société pauvre ou en crise. Promesses exagérées et sans commune mesure avec le possible, combat de coqs se cantonnant au verbe, certes, mais fréquemment violent pour cela même ... La campagne, comme la fête, est cet interstice, arraché à la rigueur du quotidien, où tout semble possible, où tout semble pensable en même temps qu'elle demeure cet oasis d'enthousiasme qui rend le réel supportable en souvenir ou en attente de quoi l'on demeurerait toujours. Nul doute que cette mise en scène qu'une société s'offre à elle-même rencontre sans étonnement cette fabrique à histoire, cette usine à mythes que l'on désigne aujourd'hui sous le nom de storytelling.

- à partir d'une lecture à la Girard, déjà évoquée ici, où la mise en scène du conflit ne serait jamais que le processus victimaire lui-même par quoi une société déplace sur des protagonistes indifférents les ferments de sa déunion, pour parvenir, à la fin, à considérer le vaincu comme celui par qui la faute est arriveé, qui doit en conséquence être sacrifié. Le combat est d'autant plus cru, cruel et violent qu'en réalité ils sont jumeaux ; d'autant plus efficace qu'une fois achevé ne demeure que la ressemblance d'avoir exécré le même, d'avoir voulu satisfaire le même désir. Le vainqueur sacralisé rassemble sur sa tête, canalise sur son nom toute la violence mimétique pour être le coup d'après, sacrifié à son tour. A ce titre, le fait demeure révélateur que, depuis les paroxysmes de la crise, c'est à dire depuis 1981, aucun pouvoir sortant n'en soit sorti indemne. Et fut à peu près autant honni qu'il fut adoré initialement. A ce titre, la présidentielle au suffrage universel n'est jamais que la fête du politique d'un côté ; et la ritualisation de l'évitement de la violence sociale, de l'autre. Mais on comprend bien, à suivre la lecture girardienne, que le processus victimaire ne fonctionne jamais vraiment, et que la sublimation qui s'opère ainsi aura besoin d'être recommencée, sempiternellement, à mesure des conflits s'exacerbant ; on comprend encore que le processus électoral s'érige incontinent en un véritable rituel. Nul doute que ce processus mimétique rejoigne ainsi cette usine à héros, cette fabrique de surhomme que le politique est supposée incarner, même s'il paraît désormais en désapprendre autant le rite que la nécessité.

- on pourrait, et c'est une troisième lecture, considérer alors que le processus électoral fonctionne, soit comme méditation, soit comme confession, marquant ainsi, selon un contexte soit profane de quête de sagesse, soit religieux d'une culpabilité qui chercherait son dénouement dans une retraite où la confession aurait autant sa part que le renoncement. Temps octroyé à la méditation, temps arraché à une action d'autant plus trépidante que le cours de l'histoire irait se précipitant, souffle que l'on se donnerait ( mais on sait combien le souffle - πνευμα - est affaire d'esprit) d'autant plus nécessairement qu'il serait coupé par les épreuves, les crises et les conflits. A tout prendre l'exemple de la crise grecque actuelle où tout semble se précipiter de jour en jour, où les acteurs paraissent plus dominés par les circonstances que pouvoir les régler, plus victimes de soubresauts que réellement aptes à gérer le télescopage imprévisible d'un système qui s'affole, offre l'illustration parfaite d'un monde en écart de quoi il faudrait pouvoir se placer, pour prendre le recul nécessaire de la réflexion. Si échec du politique il y a, il tient à ceci : son incapacité à prendre du recul, son impuissance à donner en conséquence un sens à son action.

Mais on en est loin ! et me revient encore, comme une obsession, la même réflexion que celle que je me fis toujours en songeant à la fois au régime de Pétain et à l'épisode biblique du Sanhédrin, du Christ comparaissant devant un Caïphe finissant par s'exclamer : il est de votre intérêt qu'un seul homme meure * donnant par avance quitus à la thèse de Girard énonçant que le sacrificateur choisit toujours le sacrifié au hasard, qui n'a nul besoin d'être coupable de rien ; ce qu'illustre encore l'épisode de Barabbas.

Décidément on ne tient jamais plus au pouvoir qu'on en détient peu, qu'on n'en possède plus que les symboles évidés.

Ce qui fera toujours du petit potentat un complice consentant et complaisant du tyran. Hitler avait eu l'intelligence de ne pas occuper totalement la France conquise : il allait trouver en Vichy un soutien d'autant plus empressé que les marges de manoeuvre étaient étroites, voire nulles. Rome abandonna aux prêtres une esquisse de pouvoir sur le religieux, les érigeant ipso facto en zélotes effrénés de l'empire, ce qu'atteste la sentence bien plus acharnée de Caïphe et du peuple assemblé que celle qu'eût désiré prononcer Pilate.

Au final nos politiques loin d'être des héros ne sont plus que des otages et les campagnes qui devraient être l'occasion d'un grand débat, d'une méditation que toute société se doit de mener sur ses projets, ses ambitions, ses désirs, est elle-même emportée par le maelstrom énervé des impatiences du temps. Et n'être plus que le trépidant brouhaha des désordres ambiants.

Récit plein de bruit et de fureur raconté par un idiot, écrivit Shakespeare ! oui !

Dommage !


“Les grands prêtres et les Pharisiens réunirent alors un conseil: “Que faisons-nous? disaient-ils, cet homme fait beaucoup de signes. Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront et supprimeront notre lieu Saint et notre nation”
Mais l’un d’entre eux, Caïphe, étant grand prêtre cette année-là, leur dit:
“Vous n’y entendez rien. Vous ne songez même pas qu’il est de votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière.”
Or, cela il ne le dit pas de lui-même; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation - et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l’unité, les enfants de Dieu dispersés. A partir de ce jour, ils furent résolus à le tuer.” Jn, 11, 47-53