Elysées 2012

Rigueur

Rigueur ? Vous avez dit rigueur ?

Oui, le mot est lâché, aussi difficile à prononcer que le mot récession, on l'a vu. Et nous aurons bientôt droit à la cohorte d'expressions toutes faites dont la presse a le si paresseux secret : austérité qui s'accompagne toujours de cure par exemple, ou encore mesures courageuses, potion amère. Que Fillon lui, accompagne, jusqu'à satiété, du mot effort. (1)

Les mots ne sont jamais neutres et pour qu'on ose désormais les prononcer, il faut bien que la situation soit grave - et l'on va prononcer faillitepour la dramatiser. Mais rigueur s'accompagne de toute une série de références implicites dont la moindre ne sera pas La cigale et la fourmi qui permettra aussitôt de se dédouaner de la responsabilité de la chose sur les prédécesseurs ou, mieux encore, sur l'ensemble de la nation qui eût préféré la facilité à l'effort et qui doit désormais le payer. Où se joue le contraste entre le besogneux, pas très excitant certes, mais prévoyant, dont on se moque souvent mais qui est prêt à toute éventualité, d'une part, et le jouisseur, le dilettante, l'esprit sans suite et sans projet autre que l'immédiat, d'autre part. D'un côté, le sérieux et le travail ; de l'autre ....

Il n'est plus qu'à suivre le regard des mots, des maux !

Du latin rigor raideur, dureté , au fig. sévérité, inflexibilité. Il y a bien ici quelque chose de l'ordre de la virilité affirmée, de la violence à peine contenue qui met en opposition, l'air de rien, sur le mode de l'implicite, la ligne droite de la raison et les circonvolutions de la passion - notamment de la paresse - ou la démarche vertueuse de la difficulté, de l'épreuve et de la preuve en face de la trop grande facilité - à quoi toujours l'on succombe - qui équivaut à sinuosités, transaction, compromis, voire compromission ... toujours des sinuosités de ceux qui tournent autour du pot, contournent les difficultés, manquent sans doute de courage ou de détermination. A qui ne resteraient que lâcheté ou démagogie - on dit désormais populisme.

Tout, dans notre langage autant que dans notre morale, nous conduit à ramener le droit à la vertu et à la raison. Tant et si bien qu'un Descartes, voulant illustrer ce qu'était une droite raison, une correcte méthode, utilisait l'exemple de qui, perdu dans une forêt, n'avait qu'à marcher tout droit, sans surtout jamais hésiter, retourner en arrière : il finirait bien par en sortir.

C'était pourtant oublier deux choses : que sans repère, on risquait bien quand même de tourner en rond tels les Dupondt dans le désert lors même que l'on s'imaginât marcher droit ; qu'en second lieu il fallait n'être pas tout à fait perdu pour savoir que la forêt n'était pas infinie, qu'en tout cas elle ne fût pas plus vaste que la finitude des efforts que je pouvais fournir pour tenter d'en sortir. En tout cas, on le voit ici, le contraire de la solution, qui est le droit, demeure l'échec qui est le tourner en rond.

C'est que derrière le droit, il y a le Droit ! mais le Roi, aussi ! Le pouvoir.
Que derrière la courbe, la sinuosité, il y a les sens, l'imagination, les arts certes, mais aussi le féminin ... où le péché n'est jamais loin

 

Donner un sens à la rigueur

Le piège en forme de dilemme est en train de fonctionner : en tout cas, patiemment la majorité pose ses rêts. On n'échappe pas à la rigueur à moins d'apparaître comme un fumiste, une cigale ou, pire encore, un inconscient ! La réponse de Hollande ne signifie rien d'autre : donner un sens sans qu'on sache d'ailleurs s'il s'agit d'une direction ou d'une signification.

La presse le laisse entendre : ce serait toute la stratégie de Hollande qui serait par terre du fait de la crise obturant toute alternative, toute perspective ; une presse qui se délecte des supposées dissensions commençant à se faire jour dans le camp du candidat socialiste, et la remontée de la cote de popularité de Sarkozy ne fait rien évidemment pour arranger les choses.

La prudence s'impose néanmoins qui impose de ne pas tirer de conclusions prématurées : la rigueur, en réalité est un piège pour tout le monde - et pour l'équipe en place aussi. Ce n'est pas tant le jeu - joliment puéril - du c'est pas moi, c'est l'autre qu'il importe de considérer ici : il est de bonne guerre même et si chacun y va de sa mauvaise foi institutionnelle. Mettre tout sur le dos des 35h comme si c'était là la seule cause de notre crise a quelque chose de stupide et d'ailleurs de vraisemblablement peu porteur. D'un autre côté avancer que les années Jospin auraient réglé tous les problèmes et commencé de réduire la dette c'est oublier en tout cas qu'elles avaient bénéficié d'une conjoncture économique favorable.

Non décidément ce qui est le plus dévastateur, potentiellement, dans la rigueur à quoi l'on nous invite, c'est le peu de marge de manoeuvre qu'elle suppose qui illustre encore une fois combien peu désormais le politique a de pouvoir, de choix ; combien il subit les situations sans vraiment pouvoir faire autre chose qu'aller dans leur sens et - au mieux - tenter de les légèrement infléchir.

Or l'impuissance a toujours été dévastatrice. Qui non seulement trahit l'espoir mais surtout souligne la vanité de tout débat, la vacuité de toute ambition.

Qui peut se retourner contre chacun, indifféremment ; successivement ; simultanément.

Ces élections peuvent aussi ressembler demain à un jeu de massacre !

Robespierre et Pertinax

Mais comment enfin ne pas songer, et c'est le second motif qui inciterait à la prudence, combien la vertu mise au pouvoir est elle-même un piège.

Robespierre était inquiétant pour son incorruptibilité même qui empêchait qu'on eût prise sur lui, pour la vertu même de l'exercice d'une politique rationnelle qui se prêtait si mal au compromis ; si peu au débat.

Pertinax, éphémère empereur romain, porté au pouvoir pour sa sagesse et sa rigueur, dont on espérait tant qu'il mît un peu d'ordre dans la corruption et la luxure que Commode avait répandues partout autour de lui, dans tout l'appareil d'Etat ; mais Pertinax qui fut éliminé quelques mois après par sa propre garde prétorienne pour avoir précisément commencé d'exécuter la politique pour laquelle il avait été choisi.

Non décidément, celui qui prêche la rigueur n'a d'autre choix que, demain, devenir un danger ou de se mettre lui-même en danger.

La république est peut-être fille facile, qui succombe rapidement aux tentations prochaines plutôt que d'arpenter la pente ardue de la vertu oui ! mais elle a la puissance étonnante de parvenir à écrire une histoire, chaotique sans doute, brouillonne, oui ; truffée d'allers et retours insensés et stériles, assurément ; mais une histoire quand même qui nous ressemble. Elle n'a nul besoin de cador ou d'anges pour y parvenir : elle sait en combinant les bassesses des hommes ordinaires et leurs maladresse se tirer des ornières.

Ne l'oublions pas : un système qui ne fonctionne qu'avec des hommes d'exception est fragile.

L'histoire est fille de la contradiction, de la courbure même de nos atermoiements.

Oui, décidément la rigueur est un piège ... pour tout le monde.