Elysées 2012

Dilemme

du grec δί-λημμα ou dilemma « double proposition » : raisonnement comprenant deux prémisses contradictoires, mais menant à une même conclusion, laquelle par conséquent s'impose.

C'est exactement ce que suggère le titre de cet article du Monde du 25 Octobre: Le pouvoir et le PS doivent cogérer le triple A.

La question semble se résumer en des termes simples :

- ou bien la gauche fait des promesses mirobolantes et elle apparaîtra à la fois comme irresponsable aux yeux de l'électorat et comme responsable de la perte demain du triple A, ce qui risque d'écarter les électeurs

- ou bien elle mesure des propositions au point de les rendre semblables à celles de la droite ... et elle perd également faute d'avoir su proposer des perspectives différentes.

Si selon Fressoz, la bataille devait effectivement se jouer sur le front de la crédibilité, alors il semble bien que la crise de la dette fonctionne comme un piège dans la mesure même où, quiqu'elle fasse et dise, les conséquences sont les mêmes qui lui ôteraient toute crédibilité. Mesurer ses propos, pondérer ses propositions, teindre de pastel ses promesses semble d'ailleurs effectivement la stratégie adoptée par Hollande

Je ne serai pas le président qui viendra devant les Français, six mois après son élection, pour leur annoncer qu'il faut changer de cap. Je veux gouverner dans la durée, sur la base de la franchise et de la sincérité Hollande

Un point d'histoire

Référence appuyée au grand tournant de la rigueur adopté dès 83 après à peine une année d'état de grâce de Mitterrand avec l'impulsion non dissimulée d'un Delors demandant dès 82 une pause dans les réformes, tournant marqué par la formation du 3e gouvernement Mauroy puis peu après par la formation du gouvernement Fabius. Contexte semblable au moins en ceci que la pression est extérieure, monétaire, où la tentation fut réelle de sortir du Système Monétaire Européen (SME) qui instituait depuis la période Giscard un flottement concerté des monnaies européennes, où la décision fut finalement prise de se plier aux rigueurs internationales.

L'épisode a laissé des traces. Il servira de moultes façons à la droite pour démontrer au choix :

- ou bien que les promesses de la gauche étaient irresponsables, démagogiques

- ou bien que l'on ne peut désormais conduire une politique économique qui aille à l'encontre de celle de nos partenaires - en particulier européens et tout spécialement allemands

- ou bien encore que la gauche est incapable de gérer le pays sans produire de lourdes catastrophes économiques ou financières.

N'est-ce pas, après tout, l'argument utilisé la semaine dernière par Sarkozy lorsqu'il fit mention à la fois de la retraite à 60 ans et des 35h ?

Glissements insensibles

La presse aura ainsi bruissé jusqu'à satiété des promesses de Hollande sur l'enseignement, se gobergeant des ambiguïtés, des hésitations et des imprécisions que Hollande comme son entourage faisaient planer. Quel coût ? Combien de postes créés ? Dans quels délais ? ...

Le fait même que Hollande pondère désormais son propos en réunissant non seulement ses proches mais aussi le parti pour revoir le programme de celui-ci à l'aune des derniers développements de la crise de la dette, mais aussi des perspectives de croissance ramenées à 1%, montre qu'à gauche on est conscient du danger, mais que l'on n'a pas vraiment ecore de réponse pour sortir de ce piège.

Le fait même que l'on évoque ici et là la figure de Mendès France ne saurait être anodin, lui qui, précisément, incarne la gauche de gouvernement, à la fois parce qu'il est une figure emblématique de la gauche, depuis 36 mais évidemment depuis 54, mais précisément d'une gauche rigoureuse qui n'hésite pas à parler franc et à prendre le risque de la rigueur - ce qu'il a d'emblée montré en démissionnant du gouvernement provisoire de de Gaulle le 6 avril 45, refusant de cautionner la politique économique à ses yeux trop dilatoire que proposait Pléven.

Stratégie

Réenchanter le rêve français avait-il proclamé au soir des primaires qui virent sa victoire : ce pléonasme savoureux - je ne sache pas de rêve qui ne soit enchanteur : quand il ne l'est pas ceci se nomme cauchemar - dit toute l'aporie de la posture du candidat qui doit à la fois dessiner des horizons qui fassent envie et, pour les rendre possibles, s'enraciner dans un réel qui n'a rien, décidément, de merveilleux.

Comment se sortir d'un tel piège ?

Classiquement en retournant ces armes contre son adversaire c'est bien ce qu'il fit dans l'interview accordée au Monde suite à l'intervention présidentielle.

Plus généralement en jouant sur le temps, c'est-à-dire en étalant sur la durée du mandat des mesures qu'on eût pu espérer plus rapides, plus massives. Freud nous l'avait appris : quand le principe de réalité se mêle du principe de plaisir ceci se nomme refoulement au mieux, répression, au pire. Celui qui voulut être un président normal ne manquera pas d'être préalablement un candidat du Sur-Moi et, dans ces cas-là, la morale n'est jamais loin.

Dialectiquement, en déplaçant les points d'application des forces contradictoires ; en se jouant de ce que ce serait la puissance même des contradictions qui dessinera la perspective. Autrement dit, en surfant sur la crise elle-même, sur le retour de ce refoulé qu'est le réel : ce qui revient à être d'autant plus audacieux que la crise est grave.

Ce n'est pourtant pas le chemin que semble devoir prendre Hollande qui cherche manifestement à pondérer le programme du PS, avec son accord : et pourtant ...

La course a commencé entre le désespérant probable et l'improbable porteur d'espoir. Ils sont du reste inséparables : "Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve" (Friedrich Hölderlin), et l'espérance se nourrit de ce qui conduit à la désespérance.

Faire le pari de l'improbable porteur d'espoir ? selon le mot de Morin ?

Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra.