Elysées 2012

Cafouillage

Ou comment transformer un processus démocratique en un quasi-désastre ?

L'accord EELV-PS aura viré au vaudeville et souligne à l'envi combien la perception prime sur la chose, ou, si l'on préfère, la communication sur le politique. Car, à tout prendre, que négocier avec EELV n'est pas chose aisée, tout le monde le sait tant cette organisation est coutumière ( comme le PS d'ailleurs) des divisions internes, des sautes d'humeurs. C'est que EELV est déjà un rassemblement de courants divers qui spontanément tirent à hue et à dia.

Par ailleurs la question énergétique est suffisamment importante, l'abandon progressif du nucléaire - ou pas - un problème suffisamment crucial, surtout en pleine turbulence financièreet dans un pays qui a depuis les années Pompidou fait le choix du tout nucléaire,, pour mériter d'être clarifiée. Or était devenu clair durant la primaire socialiste que la position de Hollande sur la question était plus tempérée que celle d'Aubry et prévisible qu'un accord avec les Verts serait plus délicat.

Qu'enfin deux partis prennent leur temps pour clarifier leurs positions, exigences et projets plutôt que de noyer leurs divergences sous de soyeux euphémismes diplomatiques semble de bien meilleure transparence démocratique qu'un texte ciselé au millimètre ... qui ne dirait rien.

Alors pourquoi cette impression désagréable ?

Pataquès, imbroglio, couac, flottement, confusion, sans compter les inévitables jeux de mots (un accord au Mox près ou encore le délicieux s'accordent un max sur le mox) ... inutile de dire que la presse se régale...

Une droite qui se délecte, mais c'est de bonne guerre, et en profite pour souligner encore une fois combien Hollande n'aurait pas le caractère d'un homme d'Etat. Un Copé d'ailleurs, qui, depuis plusieurs semaines, martèle un discours méprisant, arguant qu'on serait en train de brader l'industrie nucléaire française pour de basses considérations électorales. Le parachutage de Duflot sur Paris, l'intervention même du CRIF s'inquiétant de l'éviction de députés juifs suite à cet accord aura eu quelque chose de surréaliste. On aurait pu faire mieux ; on ne saurait faire pire.

Des balles tirés dans son propre camp aussi : entre un Cohn-Bendit qui se demande si Hollande ne se ségolénise pasou un Mélenchon qui le suppose capitaine de pédalo ... on a presque envie de dire arrêtez la coupe est pleine. Sans compter une E Joly qui ne se sent pas engagée par l'accord et se tient à l'écart du conseil fédéral qui avalisera l'accord chez les Verts.

Un bel exemple de communication de crise

On peut comprendre la remarque, faite comme en passant, par M Sapin déclarant ne pas comprendre ce cafouillage ... ça tombe bien ! nous non plus ! Preuve supplémentaire, s'il en fallait, qu'une fois une affaire mal enmanchée ... pas grand chose n'est récupérable.

Tout ce joli monde a des conseillers en communication : j'imagine bien qu'ils ressasseront leur manuel du bon usage de la communication de crise !

Des différents conseils que l'on peut trouver il y en a trois qui me semblent avoir été ici remarquablement suivis :

- dire la vérité : quoique déplaisante, elle a été reconnue, notamment par Sapin qui n'a pas hésité à parler de cafouillage même s'il avoue ne pas le comprendre. Qui n'hésite pas non plus à repérer les désaccords entre les deux parties.

- réagir vite : même s'il est vrai que présenter deux versions différentes du texte de l'accord aura été pour le moins maladroit et aura soulevé de légitimes suspicions, il n'empêche que l'affaire aura été emballée en deux jours.

- ne pas s'en prendre aux médias : quoiqu'il soit indéniable que la presse se délecte de telles bisbilles, c'eût été une erreur de trop souligner combien elle privilégie plutôt les antagonismes personnels et les ambitions contradictoires que les questions de fond. C'est loin d'être faux, mais après tout, n'est-ce pas son métier. Il faut bien avouer qu'elle aura repéré très vite le paragraphe escamoté, ce qui renvoie à la première consigne : dire la vérité parce que tout se voit, de toute manière.

- tenter de rebondir : stratégie dialectique au possible, consistant à faire de la crise une occasion de communiquer autrement et de souligner son propre message, surtout s'il est nouveau. Le moins que l'on puisse dire en tout cas est que la performance de Hollande à la TV mercredi 16 n'aura pas été d'une clarté évangélique et celle de Dufflot sur la chaine d'en face, au même moment contribuait à entonner le détestable refrain de la querelle de chiffonniers.

Deux lectures possibles

Ou bien considérer qu'en prenant du champ, Joly a donné l'exemple, et Hollande de s'y essayer en rappelant que ce type de questions ne relève de toute manière pas de pas de la présidence de la république mais du gouvernement et donc, ici, pas d'un candidat à la présidentielle mais des partis susceptibles de le soutenir. Considérer encore qu'est positif que l'on avoue explicitement ne pas avoir pu produire un accord de gouvernement mais seulement une alliance électorale dessinant le bout de chemin que l'on est disposé à faire ensemble sans camoufler les divergences.

Ce serait néanmoins oublier que l'affaire laisse des traces au sein de la gauche elle-même et qu'il n'est qu'à voir comment cette affaire aura relancé les questions de légitimité tant sur la stature de Hollande que sur la légitimité de Joly pour comprendre que le pilonnage ne cessera pas. Joly ne se sent pas engagée par ces accords et très choquée et troublée par le côté vaudevillesque des négociations ! Bigre ! Au point de la voir contrainte de se rappeler au bon souvenir de tous :

"J'entends ici ou là les commentaires sur ma campagne. Je ne patine, bien que mes origines nordiques me conduise à aimer les sports de glisse, je suis une skieuse de fond, je vais à mon rythme et je trace mon chemin"

Certes, la démocratie est affaire de débats et il est normal que des différences et des divergences apparaissent et il est sain que par la négociation elles puissent devant le public se résoudre.

On peut à l'inverse, et c'est l'analyse que fait F Fressoz dans Le Monde s'interroger sur la faiblesse de la méthode:

Le poids des partis, le rôle des compromis signent la vision d'une République parlementaire à laquelle les écologistes et une partie des socialistes restent viscéralement attachés. Cette logique en heurte une autre, poussée à l'extrême par Nicolas Sarkozy : celle d'une République présidentielle bâtie sur l'unité de commandement et le parti unique. Elle a l'inconvénient de court-circuiter les corps intermédiaires et de réduire le débat à la portion congrue mais l'avantage par temps de crise de permettre la réactivité et le pilonnage des positions adverses. C'est exactement ce qui est en train de se passer.

Tout le problème est là, précisément : entre deux conceptions de la démocratie ; entre une vision de plus en plus présidentielle et une approche plus classiquement parlementaire qui reste celle de la gauche. Les périodes de crise, comme celle que nous subissons, plaident toujours en faveur de l'efficacité et renforcent l'exécutif. Le problème est que ceci ne renforce pas une équipe mais un homme ; pas une majorité mais un parti qui se veut de plus en plus monolithique. Que cela tue le débat ! Au nom de l'efficacité, dans une logique managériale de plus en plus forte qui ne peut que souligner la technicisation des problèmes et leur confiscation.

Alors, à tout prendre, entre l'ordre efficace et la liberté un peu brouillonne, s'il faut choisir, on choisira.

Mais c'est dire en même temps que c'est bien, là-dessous, une conception du pouvoir, une approche du politique qui se joue et que chacun devrait bien prendre garde avant d'entonner ses critiques boudeuses.

L'ordre efficace a ses charmes, assurément : celui du silence ! Doit-on vraiment rappeler que la liberté a son prix qu'il faut savoir payer et que le moindre n'est pas le désordre ?


1) Libération du 17 novembre

Le couac MOX entre écologistes et socialistes est loin d’être réglé, ce jeudi... et les explications données, dans la soirée de mercredi, par François Hollande et Cécile Duflot ont plutôt cristallisé les divergences des deux camps.

Quel texte vaut pour accord entre PS et EELV, alors que le Bureau national a ratifié le document une fois trappé le paragraphe sur «la reconversion à emplois constants» de la filière de retraitement des déchets nucléaires? Quelques heures après la révélation par Médiapart de ce surréaliste cafouillage, auquel se mêle Areva, le candidat PS a dit vouloir, sur TF1, la «poursuite de l’activité» de retraitement, le temps nécessaire, et rassurer les entreprises concernées: «On parle de lobby mais ce sont des entreprises publiques, Areva, EDF, ce sont des emplois, des syndicats.»

Mais Cécile Duflot, quelques minutes après au JT de France 2, a campé sur sa position, ne reconnaissant que l’accord signé dans l’après-midi avec la première secrétaire du PS, Martine Aubry, et comprenant le paragraphe sur le combustible MOX (mixed oxydes). Cette version initiale n’est «pas remise en cause», estime la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, et c’est celle-ci qui sera votée samedi en conseil fédéral.
«Pas très jojo»

Ce que confirme le conseiller de Duflot et négociateur EELV, Jean-Vincent Placé, qui s’en tient au texte contenant le «passage très précis» qu’il a rédigé avec le négociateur PS en chef, Michel Sapin. Il raconte d’ailleurs, sur Europe 1, avoir eu au téléphone, mercredi à 17h, ce très proche de Hollande et réaffirme: «Cette partie du texte est là.»

Dans ce cas, pourquoi est-ce une mouture sans paragraphe MOX qui a été validée la veille par le Bureau national du PS? Le sénateur EELV met en cause l’«entourage très productiviste, pro-nucléaire», qui devient «extrêmement arrogant» autour de Hollande.

L’eurodéputé écologiste, Daniel-Cohn-Bendit, dénonce, lui, le cadeau «pas très jojo» fait par le PS à Areva, opérateur de l’usine de la Hague: «Il suffit d’un coup de téléphone d’Areva pour que le grand PS, avec sa tradition et son histoire, se mette au garde à vous!» Allusion à l’intervention du fleuron du nucléaire français auprès du député-maire (PS) de Cherbourg -circonscription de La Hague-, Bernard Cazeneuve, pour plaider la poursuite du retraitement.

«C’est François Hollande qui dit la vérité», tranche, de son côté, le conseiller spécial du socialiste, Jean-Marc Ayrault sur Europe 1. Il justifie la coupe dans le texte de l’accord pour des questions de cohérence. En substance: on ne peut soutenir la poursuite du chantier EPR de Flamanville -comme le veut le PS- et en même temps arrêter la fabrication du MOX qui en sera le combustible. «Chacun doit prendre ses responsabilités, nous avons pris les nôtres», conclut Ayrault, renvoyant EE-LV à «leurs responsabilités».


«Tout est désormais caduc au PS»

Pendant ce temps, la droite jubile. «Tout est désormais caduc au PS», se réjouit sur Canal+ le ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, jugeant Hollande incapable de «choix clairs». Sur RMC et BFM TV, Alain Juppé a moqué le «spectacle tout à fait extraordinaire» donné par «des gens qui sont décidés, apparemment, à gouverner ensemble et qui ont un désaccord de fond sur une question absolument fondamentale».

Le ministre du Travail, Xavier Bertrand, brandit la menace «insupportable» que l’accord PS-EELV fait peser sur l’emploi, la chiffrant à «400000 emplois directs» supprimés tandis que Nicolas Sarkozy lui-même a mis en garde contre «les dommages considérables» pour «l’industrie française» qu’entraînerait une réduction de la part du nucléaire.

Dans la même veine, Jean-François Copé, accuse le PS et les écologistes de «sacrifier» le développement durable «sur l’autel des marchandages électoraux» pour les législatives de 2012. Le secrétaire général de l’UMP, qui devait d'ailleurs débattre, ce jeudi soir face à Eva Joly sur France 2 dans l'émission Des paroles et des actes avant que celle-ci n'annule sa participation.

Le faux bond n’a pas échappé à Valérie Rosso-Debord. «Est-elle si peu à l’aise avec cet accord qu’elle préfère fuir le débat démocratique plutôt qu’assumer les petits renoncements entre amis sur le dos de la facture d’électricité des Français?», se plaît à demander la députée proche du patron de l’UMP.



Duflot : Eva Joly de retour "dés le début de la... par FranceInfo