Elysées 2012

24 h de confusion

Pas facile, mercredi 16 novembre au soir, de voir clair dans l'accord entre Verts et PS. Alors qu'il devait coïncider avec la présentation par François Hollande d'une équipe de campagne soudée et en marche vers 2012, la confusion la plus totale semble régner, les divergences se concentrant sur un paragraphe controversé du texte, consacré au nucléaire.  Retour sur 24 heures mouvementées.

- Mardi 15 novembre, 17 h 30 : Un accord à l'arraché. On les disait difficilement conciliables, et l'accord était jugé impossible entre socialistes et écologistes, qui tentaient depuis plusieurs semaines de trouver les bases d'une alliance dans la perspective de la présidentielle et des législatives de 2012. Les écologistes s'arc-boutaient essentiellement sur un point : que le PS s'engage à abandonner la construction du réacteur à eau pressurisée (EPR) de Flamanville. Hors de question, avait fini par trancher le 7 novembre François Hollande.

Alors que les négociations semblaient s'enliser, on apprend mardi matin que les écologistes sont prêts à sceller un accord, quitte à acter que tout n'est pas réglé. Martine Aubry et Cécile Duflot, respectivement première secrétaire du PS et secrétaire fédérale des Verts, annoncent dans la foulée un accord "de mandature, de gouvernement, un accord de société", selon la maire de Lille. Le texte fait l'impasse sur la question de Flamanville, qui reste ouverte, mais promet aux écologistes d'obtenir de 15 (en cas de défaite) à 30 circonscriptions législatives en 2012, et la possibilité de former un groupe parlementaire à l'Assemblée (les principaux points de l'accord)

- Mardi 15 novembre, 18 h 30 : Le nucléaire en ligne de mire. Le protocole d'accord confié à la presse mentionne plusieurs points sur le nucléaire. Tous ont été négociés âprement entre les socialistes, dont Michel Sapin, chargé du programme de François Hollande, et les écologistes. Ils envisagent la fermeture '"immédiate" du réacteur vieillissant de Fessenheim, en Alsace, la réduction de 75 % à 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique français d'ici à 2025, et la fermeture de 24 réacteurs sur 58 d'ici à la même date. Enfin, le protocole d'accord mentionne "la reconversion, à emploi constant, de la filière de retraitement et de fabrication du MOX", un combustible nucléaire "recyclé" à partir de matériaux usés, dont la dangerosité est critiquée, mais qui alimente une partie du parc français.

- Mardi 15 novembre, 20 h 30 : éclats de voix au bureau national du PS. L'instance valide l'accord par 33 voix contre 5. Une victoire pour Martine Aubry, qui s'en félicite et parle d'un "texte comme il n'en a jamais été signé entre des partis politiques".

Pourtant, c'est lors du bureau national que le problème du Mox prend une autre ampleur, comme on le comprendra le lendemain matin dans la presse. "Nous avons tous reçu des textos en plein BN, nous demandant de retirer le texte. On n'a pas réussi à se mettre d'accord, donc on a retiré le paragraphe à la hussarde, après le vote…", note ainsi un membre du bureau national du PS sur Mediapart.

Mais lors du "BN", l'esclandre le plus spectaculaire concerne un autre point : les élus parisiens sont furieux. L'accord prévoit en effet que, parmi les circonscriptions attribuées par le PS à des élus EELV figurent deux sièges de députés parisiens, ceux de Danièle Hoffman-Rispal (6e circonscription de Paris) et Serge Blisko (10e). Surtout, Cécile Duflot, qui entretenait le flou sur la question depuis quelques temps, lâche en début de soirée qu'elle a "décidé, après une longue réflexion, d'être candidate sur la 6e circonscription à Paris".

Craignant une candidature Duflot aux municipales, Bertrand Delanoë, maire sortant, défend sa première adjointe, Anne Hidalgo, qu'il souhaite adouber. Tous deux laissent éclater leur colère lors du bureau national du PS, et publient un communiqué critiquant un le "parachutage d'une candidature". "Que je ne te croise plus jamais", lance, furieuse, Anne Hidalgo à Martine Aubry, comme le rapporte Le Monde.

- Mercredi 15 novembre, 9 heures : confusion sur le MOX. Malgré les protestations de ces élus, le PS peut se targuer dans la presse d'un accord inespéré, obtenu à la veille de la présentation par M. Hollande de son équipe de campagne. Une manière pour le candidat socialiste de se relancer, alors que Nicolas Sarkozy remonte dans les sondages et que lui perd des points. Mais les choses ne sont pas si simples.

Mais Le Monde puis Mediapart publient deux articles dans lesquels ils mentionnent un fait troublant : l'accord signé par les deux partis et donné à la presse mardi après-midi mentionnait bien l'abandon de la filière MOX. Mais dans le texte  donné à la presse par le PS au sortir du bureau national mardi soir, le paragraphe mentionnant ce fait a purement et simplement disparu.

Au fil des heures, Le Monde apprend que c'est François Hollande lui-même qui a refusé d'avaliser cette partie de l'accord, pourtant déjà signé par Cécile Duflot et Martine Aubry, et approuvé par un vote du bureau national.

- Mercredi 15 novembre, 11 heures : Areva s'invite dans les négociations. Une autre information ajoute au trouble : le groupe Areva s'est immiscé dans les discussions. Le géant français du nucléaire, qui produit 95 % du MOX utilisé dans le monde, l'assume auprès de l'AFP, expliquant "être intervenu" auprès du PS pour le prévenir des "des conséquences économiques, sociales, industrielles, environnementales très graves, qui conduiraient aussi à la disparition du leadership de la France dans le nucléaire civil".

Le groupe dit s'être adressé à Bernard Cazeneuve, maire de Cherbourg, ville voisine de La Hague, où se trouve l'usine de retraitement et de fabrication du Mox d'Areva, qui emploie 5 000 personnes. Or M. Cazeneuve vient d'être nommé porte-parole de la campagne de M. Hollande. Il précisera un peu plus tard que si le Mox a été mentionné dans l'accord, avec la précision que la filière serait reconvertie à "emploi constant", c'est en fait parce que le pacte entre écologistes et socialistes '"aura des conséquences sur le plan de charge à très très long terme de l'usine" de La Hague. Mais il refuse de commenter plus avant.

- Mercredi 15 novembre, 12 heures : les écologistes défendent leurs positions. Côté PS, on cherche à calmer le jeu. Benoît Hamon, porte-parole du PS, explique ainsi que que le paragraphe sur le MOX a simplement été "retiré provisoirement" afin de "clarifier" une "différence d'interprétation". Il assure que les négociateurs PS vont "en reparler avec leurs partenaires d'EELV".

Mais sur Twitter, Cécile Duflot affirme : "Suis une femme pas compliquée : un accord passé est un accord qui engage. Pas d'autres commentaires :-)". Son conseiller politique, Jean-Vincent Placé, promet de son côté : "J'ai eu une discussion avec Michel Sapin. Il y a des passages très précis sur la reconversion de la filière de retraitement du MOX. C'est ce texte qui fait foi, même s'il n'est pas une bible". Il se dit prêt à rediscuter avec le PS.

D'autres écologistes font monter la pression. Le porte-parole d'EELV, Pascal Durand, s'agace : "Des textes modifiés après accord, on a rarement vu ça". Il dit "attendre que Martine Aubry appelle Cécile Duflot". Le député-maire écologiste de Bègles, Noël Mamère, juge que "si le PS, sous la pression d'Areva et du lobby nucléaire, décide de changer d'avis, cela va changer la donne pour nous et on ne peut pas construire l'avenir et une pacte majoritaire avec des gens qui renient leur parole".

- Mercredi 15 novembre, 15 h 30 : "Il faut garder la filière MOX". Changement de ton dans l'après-midi. Manuel Valls, nouveau responsable de la communication de M. Hollande, prend la parole  devant des journalistes à l'Assemblée. Lisant un texte manuscrit, il explique : "Nous poursuivrons l'activité de production de combustible et de retraitement, et il nous faut bien évidemment garder la filière MOX."

Pour le député-maire d'Evry, "si on est favorables à l'EPR de Flamanville,  celui-ci fonctionne au Mox, et par ailleurs une vingtaine de centrales nucléaires fonctionnent au MOX". Pourtant, le socialiste Michel Sapin avançait dans la matinée, quasiment l'inverse à Mediapart, en assurant : "Puisqu'on ferme des centrales, on va donc produire de moins en moins de MOX, c'est ce qui est dit dans ce paragraphe." De plus, le MOX est un carburant de substitution, et la plupart des centrales qui l'utilisent peuvent fonctionner avec d'autres types de carburant.

Manuel Valls rappelle, enfin, que "pour ce qui concerne [François Hollande], il est hors de question de sortir du nucléaire". Une déclaration qui sonne comme un désaveu des écologistes. Et le député-maire d'Evry promet également "qu'aucun groupe industriel ou financier, aucune puissance d'argent ne dicte la position au PS, ou ne dicte la position à François Hollande".

- Mercredi 15 novembre, 17 heures : "Le paragraphe existe." Au tour de Cécile Duflot de s'expliquer. Elle précise à l'AFP quelques minutes plus tard avoir "vérifié auprès de Martine Aubry et de Michel Sapin que le texte d'accord est bien celui acté à l'issue de la négociation". "Le paragraphe existe : Martine Aubry et Michel Sapin confirment la présence intégrale du texte tel qu'il a été acté", "je n'en doutais pas une seconde", ajoute-t-elle.

Mais elle refuse de commenter la déclaration de Manuel Valls, se contentant de critiquer "la volonté faible de certains très engagés auprès de la filière nucléaire" de vouloir un accord".

- Mercredi 15 novembre 20 heures : confusion totale. les principaux protagonistes sont invités à s'expliquer à la télévision, chacun de leur côté. Ce sera TF1 pour François Hollande et France 2 pour Cécile Duflot. Mais leurs interventions ne permettront pas d'y voir plus clair. "Vous parlez de 'lobby nucléaire'. Ce sont des entreprises publiques, des emplois (...) il faut les rassurer. Nous maintiendrons Flamanville, (...) nous poursuivrons le retraitement à La Hague (...) Quant au combustible, il va falloir continuer à en fabriquer" a fait valoir François Hollande. "Je n'ai aucun doute sur le fait que la parole donnée sera maintenue" a malgré tout soutenu Cécile Duflot quelques minutes plus tard sur la chaîne concurrente.

- Jeudi 15 novembre, 9 heures : '"Arrogance". C'est un fiasco. L'accord surprise qui devait permettre à M.Hollande de pousser son avantage et de relancer sa campagne termine donc dans la confusion la plus totale : les deux camps campent sur leurs positions, tout en assurant qu'ils sont d'accord. Eva Joly annule sa venue, prévue le soir même, à "Des paroles et des actes", l'émission politique de France 2, qui reçoit Jean-François Copé.

Et la valse des déclarations repart de plus belle. Jean-Vincent Placé, conseiller politique des Verts, qui, la veille, jouait l'apaisement, fustige sur Europe 1 un "entourage" de François Hollande "très productiviste, pro-nucléaire", et qui devient "extrêmement arrogant". Vantant, par contraste, le "grand plaisir" qu'il a eu à travailler avec Michel Sapin, affirme : "Si il y a des petits amis à lui qui mettent du blanco sur des textes vus par la Première secrétaire du PS et la secrétaire nationale d'EELV, ce n'est pas un bon début. Ca peut même être le début de la fin".

Au même moment, sur RMC, l'eurodéputé Daniel Cohn-Bendit attaque François Hollande, jugeant "pas très jojo" de "s'être mis au garde-à-vous" devant Areva. "Il est fort avec les faibles et faible avec les forts, ce n'est pas très jojo", répète l'Eurodéputé.

- Jeudi 15 novembre, 9h30 : "Face à leurs responsabilités". Au même moment, sur Europe 1 toujours, Jean-Marc Ayrault, patron des députés PS, explique que "c'est François Hollande qui dit la vérité" en refusant de sortir du nucléaire. "C'est un engagement qu'il a pris déjà pendant les primaires", rappelle le maire de Nantes, avant d'expliquer que "chacun doit prendre ses responsabilités, nous avons pris les nôtres". "François Hollande ne peut pas partir en campagne sur une ambiguïté, un malentendu". "Il est levé en ce qui nous concerne. Maintenant, les écologistes sont face à leurs responsabilités".

Dans les matinales de radio, les responsables UMP s'en donnent à coeur joie. Le ministre du travail, Xavier Bertrand, s'interroge : "François Hollande devrait être clair un jour. Il passe un accord le mardi matin. Le mardi après-midi on gomme en cachette cet accord, le mardi soir on dit oui, le mercredi on dit non. Vous imaginez un sommet européen ou un G20 qui se passerait comme ça?"

Samuel Laurent avec Anne-Sophie Mercier