Elysées 2012

Philosophie spontanée
de l'écologie

Revenir rapidement sur ce qui se cache sous l'écologie tant les controverses furent nombreuses, et pas toujours du meilleur goût ni de la plus grande honnêteté. Tenter aussi de comprendre ce qui se joue, idéologiquement, philosophiquement.

Cette réflexion s'étalera sur plusieurs pages : en voici les étapes et les liens :

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Une polémique indigne Ecologie politique    
Rapports homme / nature Rupture   Bibliographie

 

Une polémique indigne :

des rapports supposés troubles de l'écologie avec le nazisme

Dans le Nouvel ordre écologique, paru en 92, Ferry distinguait trois courants écologistes :

- environnementaliste, qui manifestement a ses faveurs, où se concentrent le souci et le projet de rendre compatible le développement économique, industriel de nos sociétés avec le maintien d'une nature salubre.

- utilitariste, qui considère que la souffrance animale doit être prise en compte au même titre que celle de l'homme. Cette tendance remet ainsien question de primat de l'homme sur les autres espèces. Il se nomme antispécisme. (1)

- troisième courant qu'il rattache à la deep ecology considère que c'est la nature elle-même qui doit être considérée comme un sujet de droit c'est-à-dire non seulement les anumaux mais aussi les choses. Il rattache d'ailleurs à ce courant autant Hans Jonas (2) que M Serres

Seul, évidemment, le premier courant trouve grâce à ses yeux pour ce qu'il est centré sur l'homme et son développement et lui semble compatible avec la démocratie.

Les rapports de l'homme avec la nature

De l'humanisme

On comprend bien pourquoi le premier courant a les faveurs de Ferry : il est évidemment celui de toute la culture humaniste sur fond de quoi nous pensons encore ; d'une culture qui trouve ses heures initiales de gloire avec Descartes, les poursuit avec Rousseau - que Ferry cite abondamment- et les achève avec Hegel, voire Marx.

Tous ont en commun de considérer la place particulière de l'homme dans le monde, place qu'il tient de sa conscience, de sa pensée voire de son humour (3). Du devenir comme maître et possesseur de la nature de Descartes à la conscience qui selon Hegel fait que l'homme n'est plus seulement du monde mais devant le monde par cela seul qu'il le pense et se pense, position paradoxale, dialectique qui fait à la fois sa grandeur et sa misère, en passant par Marx et son L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes (4) et jusqu'à Bataille et sa conception de l'homme contre être de la double négation, tout en effet dans la philosophie occidentale semble converger vers une approche antagoniste des relations que l'homme entretient non seulement avec autrui mais avec le monde.

Sans évidemment parler de Sartre.

L'homme dont la seule essence est de n'en pas avoir, parce que précisément il est histoire, projet, devenir, parce qu'il se construit en même temps qu'il construit le monde, l'homme ne saurait renoncer ni à la science, ni à la technique sans en même temps renoncer à son propre être.

Deux facteurs auront contribué à cette dénégation du monde, à l'exhaussement de l'homme

- la tradition chrétienne d'abord qui en faisant de l'homme, une créature divine, certes, mais la couronne de cette création, lui donne néanmoins une prééminence sur le monde : soit que celui-ci fût entendu comme inessentiel par rapport à dieu et donc comme un espace de perdition qu'il faut quitter ou au moins dont il faut éviter les pièges et les délices, soit qu'il fût perçu comme ce sera le cas avec le protestantisme, comme un jardin laissé à l'homme pour qu'il l'embellisse ad majorem gloriam dei. Tout a l'air de se passer comme si dans cette relation, un tiers dût nécessairement être exclu : dans le dialogue entre homme et dieu, dans l'Alliance, il n'y a pas de place pour le monde.

On peut distinguer deux sources de l’humanisme européen : une source grecque, les hommes dirigent leur cité, la capacité des humains à s’autogouverner, par la démocratie, avec cette idée que la raison est ce qui doit nous guider en tant qu’humain ; l’aspect judéo-chrétien, Dieu qui a fait l’homme à son image dans la Bible, Jésus fils de Dieu supposé a pris forme et chair humaines, et puis le message fraternitaire dans l’Évangile. On peut dire que c’est une sorte de symbiose entre ces courants antagonistes qui pénètre l’humanisme européen. E. Morin (5)

- la démarche scientifique elle-même au moins autant que l'esprit technique. Les sciences ne peuvent avancer qu'en objectivant le monde, ne peuvent l'expliquer qu'en le supposant régi par des lois, des régles constantes et repérables, qu'en le posant déterminé. Ce qu'au fond on a appelé le désenchantement du monde. C'est en réalité le même mouvement qui anime le processus technicien : l'homme ne peut se servir des choses, les saisir et les transformer que pour autant qu'elles ne soient pas divines ou n'appartiennent pas au divin. Ici encore le tiers est exclu : dans la relation de l'homme au monde, c'est dieu qui est de trop. Sans conférer pour autant une dimension historique à la loi des trois états de Comte, on peut néanmoins observer que le passage du fétichisme au polythéisme puis au monothéisme aura précidément consacré l'éviction progressive du divin hors du monde qu'illustre parfaitement la transcendance du dieu judéo-chrétien. Le désenchantement, c'est d'abord cette réification, cette mise à disposition. Tout à l'air de se passer comme si, dialectique hégélienne aidant, l'affirmation de l'homme ne pouvait se réaliser qu'au prix de la dépréciation du monde.

La position de Ferry

Dans l'écologie, en tout cas dans cette écologie profonde qu'il dénonce, Ferry soupçonne une remise en question radicale de cet humanisme. Pour autant que sciences et techniques représentent une mise à disposition de la nature, parce qu'elle serait explicable, prévisible et donc maîtrisable, il en déduit que toute revalorisation de cette nature reviendrait à une remise en question des sciences, de cet humanisme, et de l'homme en général.

Si le raisonnement est spécieux, il n'empêche qu'il pointe juste lorsqu'il mentionne que la logique de mondialisation débouche sur un progrès qui n'est plus une fin en soi mais une contrainte que la logique du capitalisme rend incontournable incontournable. Des quatre conséquences que Ferry attribue à la mondialisation (perte de sens; perte du contrôle des processus ; individualisation de la consommation et addiction ; perte du sacré et donc du pouvoir des politiques) il induit cette civilisation de la peur qui selon lui domine les consciences modernes.

Il est assez intéressant que dans le repérage assez juste en lui-même qu'il fait de la société de la peur, Ferry lui associe immédiatement et l'écologie et H Jonas. (voir aussi).

On comprend mieux la position de 1992 à la lumière de ce qui suit.

Pour lui, manifestement, l'écologie surfe sur la vague des peurs millénaristes et risque fort de déboucher sur une abdication en rase campagne. D'où la référence appuyée, et pas toujours très honnête, à l'écologisme des nazis, mais il aurait tout aussi bien pu prendre l'exemple de la Révolution Nationale de Vichy.

Derrière toute écologie, il soupçonne le réflexe de la révolution conservatrice et celui de l’anti-science.

La Révolution Nationale de Vichy

Il n'est pas faux que se soumettre aux impératifs de la nature, dès lors érigée en principe transcendant, en entité sacrée, revient ni plus ni moins qu'à une prodigieuse régression philosophique comme culturelle. C'est bien celle que chercha à entamer Pétain en 40 avec ce retour à la terre, à une société corporatiste d'où serait fallacieusement évincée toute lutte des classes, parce que cela revient à revenir sur tous ces trois R que détestait Maurras ( la Réforme pour la liberté d'examen et de conscience ; la Révolution pour la mise à bas d'une société millénaire et hiérarchisée où dominaient obéissance, sujétion et intégration au groupe ; le Romantisme pour le culte de l'individu qu'il supposait.) Ce n'est d'ailleurs sûrement pas un hasard si ce sont des maurrassiens que l'on retrouve dans les allées du pouvoir de Vichy.

Il n'y a effectivement rien de plus insupportable que ces antiennes sur la terre qui ne ment pas, sur la tradition ; que ces injonctions du type vous souffrez et vous souffrirez longtemps encore et autre nous n'avons pas fini de payer toutes nos fautes , ou resaisissez-vous !

«Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal. La terre, elle, ne ment pas...»
Petain le 25 juin 40

Autant de formules qui suintent la culpabilisation et l'appel à la soumission. Ce serait trop s'écarter que de refaire ici l'histoire de cette extrême-droite qui vit l'occasion en 40 de revenir à un pouvoir qu'elle perdit une première fois en 1789 ; une seconde après le coup du mai 1877 ; occasion - la défaite de 40, ne l'oublions pas, qui fit Maurras s'exclamer divine surprise ! (6)

Mais au fond toute la question est là : les écologistes font-ils véritablement cela ? érigent-ils la nature en principe sacré, sont-ils les thuriféraires de la soumission ? Bref, sont-ils des fascistes rampants ?

Il y a deux choses particulièrement gênantes dans les présupposés de Ferry :

- un raisonnement spécieux qui implicitement suggère que les nazis et les fascistes en général ayant un respect prononcé pour la nature, tous ceux qui ont ce souci du respect de l'environnement seraient fascistes.
Le moins que l'on puisse dire est qu'il y a malhonnêteté là-dessous. Car supposerait, en outre, que l'acte même qui consisterait à concevoir la nature comme sujet de droit reviendrait à en appeler à la soumission. Quand, par exemple, on fit passer l'enfant de sujet du droit à sujet de droit ceci n'a pas impliqué, que je sache, que l'on se soumît pieds et poings liés à l'enfant ; ceci signifiait seulement qu'il pût ester en justice et être entendu. Que sa parole compte.

- s'il est vrai que le régime nazi produisit des lois de protection des animaux, que certaines de protection de la nature (on ne disait pas encore de l'environnement) encore en vigueur en Allemagne restent opérationnelles parce qu'en avance sur leur temps, c'est encore un raisonnement fallacieux que de supposer que ce serait l'idéologie nazie qui les produisit. Car après tout c'est une constance de la culture germanique que ce souci de l'environnement. Par ailleurs, il est faux (7) d'affirmer, comme Ferry le fit, qu'Hitler porta un soin tout particulier à la mise en place de ces lois. On peut tout aussi bien mettre la sensibilité écologique allemande sur le compte du romantisme - voire, aujourd'hui, sur le compte d'un ressentiment générationnel qui n'a rien à voir avec une quelconque culpabilité face au passé nazi de l'Allemagne.

Qu'il puisse se trouver dans le rang des écologistes des sensibilités politiques diverses et, pourquoi pas d'extrême-droite, ne fait que révéler que l'écologie n'est pas encore une doctrine politique, avec un projet, une idéologie etc. En réalité, l'écologie compte de nombreuses familles.

Le reste relève de la sottise.

Rupture

Où tous les observateurs s'accordent tient à une véritable révolution de civilisation, entamée sans doute il y a longtemps mais qui devient patente, cruciale :

- nous avons perdu le monde. (8) Et ceci peut s'observer non seulement par la sur-urbanisation de l'humanité mais par la quasi-disparition des agriculteurs. Serres n'avait pas tort quand il soulignait déjà en 92 dans le Contrat naturel combien nous nous préoccupâmes plus d'organiser nos relations humaines que nous ne pensâmes notre relation avec le monde. Ce qu'il illustrait malicieusement avec ce tableau de Goya où, nets sont les protagonistes de la lutte mais si flou le contexte : le monde. Mais une perte aggravée par un secteur agro-alimentaire sur-industrialisé, par l'effacement de l'espace comme du temps produit par la mondialisation.

- la nature est entrée dans l'histoire (9) :pour la première fois, les effets de notre propre développement sur la nature rejaillissent sur nous par un prodigieux effet de feed-backd'autant plus insistant qu'il est crucial, imminent et d'importance. Ce qui, dans les récits bibliques pouvait nous paraître absurde et si évidemment superstitieux (la sanction de l'homme par le monde ) est en train de devenir réalité.

Autant dire que, à condition d'éviter une eschatologie trop sulfureuse, ce que revendiquent précisément des gens comme Cohn-Bendit, mais aussi Morin mais encore Serres, mais pas Girard, effectivement, il appartient effectivement à l'écologie, mais au fond à l'ensemble de nos sociétés d'inventer une écologie politique, c'est-à-dire un projet politique et économique qui à la fois ne remette en question ni l'homme, ni sa liberté, ni sa capacité de se développer mais en même temps propose, mette en place un modèle économique qui préserve l'environnement : le développement durable ?

suite


F Guattari : Pour une refondation des pratiques sociales

Pour une mutation écologique et solidaire Orientations du projet Europe Ecologie – Les Verts 2012 :

Colloque Où va le monde ?


1) voir leur site

2) sur H Jonas lire

Le contrat naturel de M Serres est paru à la même époque

3) Le rire a été donné aux hommes par Dieu pour les consoler d'être intelligents. - Marcel Pagnol

4) Manifeste du PC 1848

5) On relira avec intérêt cet entretien avec E Morin

mais aussi : Entretien Ferry Cohn Bendit (2009)

La pensée occidentale ne sait opérer que par disjonction ou par réduction. Descartes, qui voulait que l'homme soit « comme maître et possesseur de la nature », opère la disjonction entre la science et la philosophie, ce qui aboutira à cette séparation entre le monde des humanités et celui de la technique. Après avoir mis Dieu au chômage technologique, l'homme s'est octroyé le droit de dominer la nature. Cette prétention s'est effondrée récemment. D'une part, parce que cette volonté de maîtriser le vivant se retourne contre nous ; d'autre part, parce que la Terre nous apparaît comme une minuscule planète d'un système solaire lui-même périphérique dans un cosmos gigantesque.
Il faut dire aussi que le christianisme, qui nous a façonnés, est une religion ouverte sur l'humain avec ces valeurs cardinales que sont la charité et l'amour, mais fermée à la nature et au monde animal. À l'opposé, le bouddhisme immerge l'humain dans le cycle des reproductions du monde vivant. La compassion du Bouddha s'adresse à toutes les souffrances. Nous sommes donc également marqués par l'empreinte chrétienne de notre civilisation qui ignore notre relation ombilicale à la nature. Il n'est possible de nous affranchir de cette lourde charge à la fois religieuse et techniciste que par une réforme de notre mode de pensée.
entretien Morin/ Hulot Philo Magazine


6) Maurras : lire

sur le site dédié à Maurras un historique de l'Action Française

7) on trouvera ici texte de Elisabeth Hardouin-Fugier sur la protection animalière sous le nazisme

on trouvera par ailleurs une série d'articles critique de Ferry par le courant même qu'il aura dénoncé

8) Michel Serres lire

9) lire

10) sur l'écologie politique lire J Zin mais aussi JP Deléage

 



Ecologie : quelle politique ? par franceculture 

 


Clement Gilles, L'homme symbiotique par centrepompidou