Elysées 2012

Sécurité

Chacun y va désormais de sa petite musique et la surenchère commence sur la question de la sécurité. Libération titre là-dessus notamment (1) .

Il faut dire que le bilan de l'équipe sortante, sur ce point, n'a rien d'exceptionnel et, comme la gauche aime à le rappeler, dans la mesure où Sarkozy fut ministre de l'intérieur sous Villepin, c'est donc une politique sécuritaire de plus de six ans que l'on peut désormais jauger.

La proposition d'un encadrement militaire des jeunes délinquants par Royal hérisse toujours un peu le poil socialiste mais manifestement, au PS, on est décomplexé sur le sujet au point de voir une Aubry se rendre à Marseille au moment où est installé un préfet sécurité, et d'entendre un Hollande rappeler qu'il s'y était déjà rendu.

Je suis venue aujourd'hui à Marseille pour dire de manière forte que je serai la présidente de la sécurité de tous les Français (Aubry à Marseille)

On comprend bien ce qui se joue ici : on comprend bien aussi que le souvenir de 2002 où la gauche fut prise de revers sur ce thème de la sécurité qu'elle n'avait pas vu venir, qu'elle avait largement sous-estimé, aura laissé un goût amer ; que celle de 2007 fut aussi gagnée par Sarkozy parce que, sur ce thème, il parut alors largement plus crédiblequ'une gauche sempiternellement jugée trop angélique sur la question.

Mais quand même !

Un gage réactionnaire ?

Certes, c'est le premier devoir d'un état républicain que d'assurer l'ordre public ; c'est, rappelons-le, le premier échange qui fonde, selon Rousseau, le contrat social : la renonciation à l'intérêt privé, l'engagement à ne considérer que l'intérêt général en échange de la protection des biens et des personnes. Certes, ce fut, toujours l'attitude des républicains en période de crise, que d'en appeler au retour à l'ordre républicain avant de pouvoir engager quelque négociation que ce soit.

Ce fut, par exemple, l'attitude d'un Mitterrand, ministre de l'intérieur de Mendès France, à la Toussaint 54, lors de ce qui apparaîtra comme le vrai début de la guerre d'Algérie - et on le lui a tellement reproché

Ce fut celle de Pompidou et de Gaulle en 68 promettant conciliation, négociation, referendum... mais après le retour à l'ordre.

etc...

Pourtant !

C'est une constante dans notre vie politique de jouer sur la diabolisation de la droite et l'angélisme de la gauche : une droite qui exciterait la xénophobie et la peur en se cherchant des boucs émissaires du côté des jeunes, des émigrés, des terroristes ; une gauche si fière de ses principes qui en oublierait les réalités - et le premier de ses devoirs - la sécurité.

On remarquera au passage le code biblique utilisé qui sent bon son manichéisme sulfureux.

Il y a pourtant quelque chose de résolument régressif, pour ne pas dire réactionnaire derrière tout cela : on ne me fera pas croire qu'il ne s'agit pas ici d'un discours de pleutre, de peur, de vieux. Je l'ai déjà écrit, et tant pis si je me répète, je vois ici plus un discours à destination d'une nation vieillissante, qui cherche à préserver ce qu'elle a - ou qui lui reste - que je n'entends un discours d'avenir, de projet, à destination des jeunes générations, à la mesure des enjeux et des périls qui menacent.

Je ne parviens pas à oublier que ce fut dans le même contexte de nation vieillissante, au seuil de désastre, que la France se donna à un vieillard podagre et inventa les antiennes étriquées et culpabilisantes de la Révolution Nationale.

C'est ici tout le problème - et il est éminemment politique: concilier ordre et progrès . J'ai toujours pensé que c'était sur cette question que se frayait la ligne de partage entre une droite qui, en période de crise, finira toujours par privilégier l'ordre quitte à réduire provisoirement libertés et progrès, quand une gauche, pour autant qu'elle reste fidèle à ses principes, tentera toujours d'asseoir l'ordre sur la liberté.

C'est tout le problème d'une période (relire Habermas) qui a trop tendance à jouer sur la peur quitte à faire la part belle à la xénophobie ; ce fut - et c'est encore - tout le problème que pose l'extrême-droite qui surfe évidemment sur la peur de l'insécurité, et la droite classique qui aura su en tout cas en 2007 récupérer les dividendes politiques de cette peur (2) . Ce fut toute l'habileté de la droite en 2007, mais aussi l'essai en 2009, en jouant sur la politique de civilisation, sur un retour au religieux - en tout cas aux valeurs traditionnelles - que celui d'en appeler à l'ordre tout en se donnant l'allure d'ouvrir dynamiquement sur l'avenir.

C'est tout le problème de la gauche : assurer le socle de cet ordre républicain sans se renier.

A cet égard je ne suis pas sûr que l'invention, en son temps, du principe de précaution fût de la meilleure augure : les enjeux sont désormais trop cruciaux - tant écologiques qu'économiques - pour que nous puissions nous contenter de stratégies précautionneuses ; je crois - ou crains - qu'il nous faille plutôt des stratégies ambitieuses, voire risquées parce que ce sont les seules qui puissent demain nous sortir de l'impasse où nous nous sommes nous-mêmes engouffrés.

Alors oui, sécurité s'il le faut ! mais de grâce, n'en oublions pas l'essentiel.


1) Aubry et Hollande rivalisent sur la sécurité mais aussi Le PS et la sécurité : la fin d'un tabou

voir aussi sur ce sujet Le Monde

2 ) On retrouvera ici un opuscule écrit en 95 (déjà) par M Aubry et O Duhamel
Petit dictionnaire pour lutter contre l'extrême-droite

Voir par exemple ce qui y fut écrit dans l'article Peur:

La peur en général, des peurs particulières alimentent la poussée de l'extrême-droite.

Parce que cette dernière sait les utiliser. Nombre de sections du Front national repèrent systématiquement dans la presse locale les noms des personnes cambriolées ou agressées et leur rendent ensuite visite en leur proposant soit d'adhérer au FN, soit de rejoindre des groupements plus anodins d'apparence (du type « association de défense contre les cambriolages »).

Parce que l'extrême-droite est trop souvent la seule à intervenir sur ce terrain. Parce que la gauche ne dispose pas encore d'un discours démocratique en matière de sécurité rattachant ses valeurs à des politiques concrètes.

À la peur s'ajoute la frustration. Prenons le cas des machinistes de la RATP, traditionnellement de gauche. Nombre d'entre eux se rapprochent maintenant du Front national, notamment parmi ceux qui circulent dans les quartiers les plus durs des banlieues. Ils n'en peuvent plus de se faire cracher dessus. Ils n'en peuvent plus de n'avoir aucun espoir de reconnaissance sociale. Leurs salaires n'augmentent guère, leurs qualifications ne sont pas reconnues, leurs carrières sont bloquées. Leur dignité est atteinte de tous les côtés. La frustration redouble alors la peur. L'extrême droite en fait son miel. La lutte contre l'extrême-droite est une question idéologique.

La lutte contre l'extrême-droite pose évidemment la question sociale.

3) revoir notamment ces passages du Discours de Latran

et ce que nous en écrivions à l'époque

mais où l'on retrouvecertains des thèmes classiques de l'extrême-droite :

    « la haine du présent », considéré comme une période de décadence ;
    « la nostalgie d’un âge d’or » ;
    « l'éloge de l’immobilité », conséquence du refus du changement ;
    « l'anti-individualisme », conséquence des libertés individuelles et du suffrage universel ;
    « l'apologie des sociétés élitaires », l'absence d’élites étant considérée comme une décadence ;
    « la nostalgie du sacré », qu'il soit religieux ou moral ;
    « la peur du métissage génétique et l’effondrement démographique » ;
    « la censure des mœurs », notamment la liberté sexuelle et l'homosexualité ;
    « l'anti-intellectualisme », les intellectuels n’ayant « aucun contact avec le monde réel » .