Elysées 2012

Royal et le gaullisme

Dans un texte paru le 23 juillet dans le Monde, S Royal fait suite à ses voeux d'ouverture large jusque vers les gaullistes, confirmant en cela les surprises qu'elle avait annoncées.

Référence y est ainsi faite à Jean-Marcel Jeannenay, décédé depuis, qui lui aurait envoyé un courrier de soutien en 2007, qu'elle cite largement.

 

Ratisser large

Tel semble bien à première vue l'objectif poursuivi par S Royal : elle qui est à la traîne dans les intentions pour les présidentielles ; elle que les sondages présentent actuellement comme la seule candidate de gauche à être perdante face à Sarkozy voire parfois à n'être pas même au second tour.

Bien entendu il faut conquérir en dehors de son propre camp mais ici encore Royal semble prendre tout le monde à rebrousse-poil et à contre-temps. Contre-temps parce que la stratégie du rassemblement est celle du second tour, certainement pas celle des primaires quand même ces dernières fussent ouvertes aux sympathisants. Au moment où certains, secrètement, se réjouissent de l'éviction de DSK, vraiment pas assez à gauche, au moment où les autres tentent de se marquer très clairement à gauche pour tenter de séduire l'aile gauche du parti mais surtout de conquérir demain l'appui au moins tacite de l'ultra gauche et du Front de gauche, la démarche a quelque chose de singulier qui prend Hollande et Royal à contre-pied.

Ceci lui ressemble bien qui fut toujours candidate dérangeante et n'a de chance cette fois-ci de gagner qu'en jouant à fond la démarque.

Mais quand même !

Un message conservateur

A l'écouter en rapppeler aux valeurs traditionnelles et fondamentales - ce qui n'est pas la même chose - à la famille, à l'éducation nationale, à la santé, à la sécurité, on devine bien qu'elle joue une partition compliquée, ambivalente sinon ambiguë où le socle commun républicain le dispute à ce qu'il peut y avoir de plus réactionnaire (famille, sécurité).

- famille : elle retrouve ici un de ses dadas en même temps qu'une thématique universelle où chacun se retrouve mais y met ce qu'il veut, mais en même temps une valeur (puisque la famille est ici présentée comme valeur et non comme structure sociale) qui, depuis Pétain aura été un des refrains de la droite ultra-conservatrice - pour ne pas dire plus.

- éducation nationale où elle vise plutôt la gauche : elle ne parle pas d'éducation ou d'enfants mais d'éducation nationale croyant gagner l'oreille de tous ceux qui voient le service public se dégrader à force de non replacement des départs en retraite.

- santé : on en dirait la même chose que la famille. Je la vois comme un souhait, une espérance ; mais une valeur ? La mentionner suggère ici encore la dégradation de notre système de santé et des hôpitaux publics ( un coup à gauche) mais assez subtilement la signale comme conservatrice. On veut rester en bonne santé, garder la forme, se maintenir.

- sécurité : Royal habilement ne parle pas d'insécurité se préférant le volet positif de la chose mais elle sait qu'ici elle se bat sur le même terrain que Sarkozy qui en aura fait ses choux - pas si gras que cela - durant son mandat et les précédentes au ministère de l'intérieur.

Réalise-t-elle que ce faisant elle fait passer devant ses supposées subtilités tacticiennes, laissant loin derrière les fondamentaux théoriques et son identité de gauche. S'imagine-t-elle refaire à l'envers le coup de Jaurès (1)réussi par Sarkozy en 2007 ? C'est toujours plaisant et - furieusement sarcastique - que de se battre avec les armes de l'adversaire. Cependant j'y vois un grand risque : la vacuité idéologique, l'insipide politique.

Vide idéologique

Je ne saurais oublier le Je crois aux forces de l'esprit, je ne vous quitterai pas. du Mitterrand moribond adressant, pour la dernière fois ses voeux aux Franàais en décembre 94. Quelques mois à peine avant la fin de son mandat, un an à peine avant sa mort, cette phrase d'emblée avait pris une résonnance particulière, que je n'ai pas oubliée. Mais au delà elle a une signification bien précise : même si certains marxistes orthodoxes eussent pu y trouver à redire pour ce qu'en réalité, selon eux, ce fût le réel, l'économie qui déterminât la pensée et non l'inverse, Mitterrand n'a pas oublié que c'est autant l'homme qui fait l'histoire que c'est l'histoire qui fait l'homme. Or, l'homme, c'est sa pensée autant que ses actes, ses rêves, ses représentations qui ne sont jamais neutres.

L'apolitisme, la neutralité, la théologie du rassemblement, par delà les joutes électorales, sont toujours de droite. Toute l'histoire de a gauche rappelle que les avancées se conquièrent, sont affaire de luttes, de front de classe.

Il faut être naïf ou malhonnête pour imaginer qu'il suffise de se rassembler, de discuter, pour trouver un consensus qui dépasse les conflits d'intérêts - ou de classe.

Il faut être d'un singulier manque de culture historique et politique pour s'être laissé piégé par la référence à Jaurès d'un Sarkozy nous promettant de poursuivre lui, la promesse que la gauche eût trahie.

Il fallait être d'une particulière surdité politique pour avoir cru à l'homme neuf et de la rupture.

Oui l'histoire et les idées comptent (2) et même s'il n'est pas faux que, générations passant, ce qui fut fondateur de la Ve soit devenu désormais histoire bien peu connue des jeunes générations, mais qu'aussi, avec le recul, le personnage de Gaulle aura pris sa pleine et grande dimension historique, dépassant- et de loin - les luttes partisanes de l'époque, mais que surtout s'il est vrai que toute l'après-guerre et la Constitution de la IVe qui se proclamait république sociale, s'était promis de respecter le programme du CNR (3) et donc de ne surtout pas oublier ce social que la IIIe avait tant négligé, à la seule notable et bien tardive exception de Blum et du Front Populaire, il n'en reste pas moins vrai que, conflits post-coloniaux aidant il est vrai, et endémique instabilité gouvernementale oblige, la IVe a bien vite oublié sa promesse ; il est non moins vrai que, en dépit des indéniables progrès sociaux permis par les Trente Glorieuses et le formidable bond en avant économique permis alors, ce que la Ve aura finalement représenté politiquement, c'est bien, subrepticement jusqu'en 69, bien plus ostentatoirement avec Pompidou et Giscard, et de manière tapageusement vulgaire depuis 2007, le retour au pouvoir des grands affairistes, chevaliers d'industrie et autres financiers de tout poil.

La grande victoire de l'idéologie libérale, d'aucuns écrivent ultra-libérale, à partir de Tatcher et Reagan, le ralliement de la droite française au libéralisme qui, avec de Gaulle en était encore restée à l'interventionnisme politique dans l'économie, aura aboutit en moins de trente ans à un véritable désastre social, à un redoutable meccano démontant méticuleusement ce qui fut bâti alors. Baisse sensible des salaires, des droits sociaux, remise en question des droits au chômage, à la retraite, à la santé, affaissement considérable du droit du travail ... faut-il en rajouter ? Aujourd'hui les salariés sont particulièrement démunis, dans un rapport de force singulièrement défavorable face aux puissants. Que ces puissants, désormais, soient moins des industriels que des financiers ne fait qu'aggraver les choses. Le meccano a tout détruit : même l'industrie ! L'oeuvre est accomplie : le programme du CNR est détricoté.

Alors simplement se souvenir ...

D'où vinrent les avancées ?

D'où les premiers systèmes de retraites dans les années 1890/1905 sinon sous la pression ouvrière et syndicale, l'action conjuguée de militants comme Jaurès et de gouvernements comme ceux de Bourgeois, Waldeck-Rousseau ou Combes, ceux précisément issus d'une poussée de la gauche après l'affaire Dreyfus.

D'où les congés payés, la semaine de 40 H sinon du Front Populaire et de ce gouvernement Blum ?

D'où la Sécurité sociale (maladie comme retraite et allocations familiales), pour ne parler que d'elle, les nationalisations, extension des comités d'entreprises, d'où le statut de la fonction publique sinon de ces gouvernements de 46 ( de Gaulle et Gouin) appuyés par une très forte majorité de gauche ?

D'où les 39 heures au lieu de 40, la cinquième semaine de congés payés, la décentralisation, les nationalisations, l'impôt sur la fortune, la retraite à soixante ans, l'abolition de la peine de mort, le remboursement de l'IVG sinon de ces gouvernements Mauroy directement issus de la victoire de la gauche en 81 ?

D'où les 35 heures ? sinon du gouvernement Jospin issu de la victoire aux législatives de 97 après la dissolution ratée de Chirac ?

Décidément je vois ce que nous tenons de la gauche ; de la droite ?

Alors Madame Royal, le gaullisme pour ce qu'il y va de nostalgie de grandeur et du passé, pourquoi pas ! Pour le reste, non vraiment !

 

Retour au politique

Sarkozy s'était vanté, après la campagne de 2007, d'avoir redonné goût à la politique aux français. Il est vrai, en tout cas, qu'ils s'abstinrent moins à ce scrutin qu'aux précédents (4) mais ce fut tellement au prix d'artifices communicationnels, de slogans sonnants de campagne quasi commerciale qu'on peut redouter qu'ils n'en reviennent.

Il avait gagné pour avoir su donner la - d'ailleurs juste - impression qu'il allait agir après une présidence Chirac plutôt indolente et une fin de présidence Mitterrand podagre !

Ce n'est certainement pas avec des paravents de pacotilles ou de complaisance que la gauche pourra gagner demain. Certainement pas en mettant, comme on dit, son drapeau dans la poche.

Mais au contraire, en étant résolument de gauche ! politique jusqu'au bout des ongles ! Et, sans doute, idéologique !

Non, décidément, Madame Royal, vous me semblez àbien triste dérive !

 

 

 

 

 



Royal veut rassembler jusqu'à la droite gaulliste par Nouvelobs 

 

1) lors de son discours de Toulouse déjà cité

Voeux du 31 dec 94 ( sur la fin)

 

2) et c'est bien pour cela que nous avons placé un portail de références historiques

3) sur le CNR voirmais aussi lire

Le texte du programme du CNR du 15 Mars 44

Le Conseil National de la Résistance à la Libération
De gauche à droite, au fond : Jacques Debû-Bridel (Fédération républicaine), Pierre Villon (FN), Robert Chambeiron (secrétaire), Pascal Copeau (Libération Sud), Jacques Lecompte-Boinet (CDLR), André Mutter (CDLL), Jean-Pierre Levy (Franc-Tireur), Pierre Meunier (secrétaire) ; sur le devant : Gaston Tessier (CFTC), Joseph Laniel (Alliance démocratique), Georges Bidault (président, démocrate-chrétien), Eugène Ribière (Libération-Nord), Daniel Mayer (CAS), Paul Bastid (Parti radical), Auguste Gillot (PC), Louis Saillant (CGT). http://enmemoiredelaresistance.unblog.fr/le-conseil-national-de-la-resistance/

 

 

4) Le premier tour de l'élection présidentielle 2007 a été marqué par une participation exceptionnelle avec un score de 83,77 %14,15 des inscrits. Ce chiffre est comparable au premier tour de l'élection présidentielle de 1965 qui était de 84,8 %15 et celle de 1974 qui était de 84,23 %