Elysées 2012

Petits crimes entre amis

Nicolas Hulot revient avec passablement d'amertume sur sa défaite aux primaires écologistes du 10 juillet dans le magazine Bretons.(1)

Outre les inévitables acrimonies de perdant s'offusquant de chicanes - volontaires - qui lui firent perdre une compétition qu'il n'aurait jamais du ou pu perdre :

On a tout fait pour me compliquer la tâche: le calendrier, le périmètre de vote. Moins d’un quart des gens inscrits sur mon site ont pu voter tellement la procédure était compliquée (…) Ensuite, on a commencé à voter immédiatement après la fin du premier tour, alors que dans n’importe quelle élection à deux tours, il y a toujours un délai. C’est de la folie

ces quelques remarques sur la personnalisation du pouvoir qui méritent qu'on s'y attarde.

La personnalisation de la politique, on peut la regretter. Mais dans ce cas-là, à quoi bon me faire la danse du ventre pendant des années pour que je vienne les rejoindre? C’est tout le paradoxe de leur attitude», poursuit Nicolas Hulot. «De Jean-Vincent Placé à Dany Cohn-Bendit, en passant par Cécile Duflot et Noël Mamère, ils n’ont eu de cesse de me demander de les rejoindre. Mamère m’a dit que j’étais le seul candidat possible. Et pourtant, il fut le premier à m’envoyer des banderilles à partir du moment où je me suis présenté. À un moment, je ne sais pas quel diplôme de psychologie il faut avoir pour comprendre leur fonctionnement

Un problème constitutionnel

Personnalisation, c'est un reproche que l'on adresse souvent au système de la Ve République, une dérive qui aurait contaminé jusqu'aux élections périphériques voire non officielles comme des primaires.

Par son histoire, la démocratie française aura effectivement été longtemps rétive à toute émergence, trop exacerbée, inutilement ostentatoire d'un élu par rapport aux autres. La faute ? Sans doute aux exemples révolutionnaires d'un Robespierre dont la Terreur a laissé de bien funestes souvenirs, mais surtout au précédent de Louis Napoléon Bonaparte dont on se souvient qu'il réussit un coup d'Etat en 51, transformant sans coup férir en empire la jeune république, qui l'empêchait de se présenter pour un second mandat. Exemple rédhibitoire d'un président élu au suffrage universel qui ne sera pas oublié par Grévy quand il accéda en 79 à la présidence, en en vidant, de fait, toutes les compétences. Empêchant notamment, le droit de dissolution de la chambre. Les textes eussent permis une présidence forte - ils sont en partie ceux que reprit la constitution de la Ve - la crainte du césarisme aura fait son effet : ce que l'on a appelé en son temps la constitution Grevy consista en l'affaissement de l'exécutif (présidence de la république et du conseil ) au profit du parlement.

Toute l'histoire de la IIIe - puis de la IV - aura été ainsi déterminée par le coup du 16 mai 79 qui lui fit prendre un tour plus parlementaire que prévu : ce n'est pas seulement la présidence qui fut vidée de toute substance, réduite à inaugurer les chrysanthèmes, selon l'expression de de Gaulle, mais aussi la présidence du conseil laissant le gouvernement pieds et poings liés face aux majorités parlementaires de circonstances.

Ceci explique notamment la si vive réticence des républicains à approuver l'élection du président au suffrage universel - et non par les deux chambres réunies - mais aussi l'hésitation de de Gaulle à la faire approuver dès 58, mais enfin qu'il choisit la voie référendaire et non parlementaire pour la faire adopter, avec les soubresauts que l'on sait. Ceci explique encore le refus d'un Pierre Mendès-France (2) de l'approuver et sa mise hors-jeu en 65 comme en 69 : il ne pouvait quand même pas se présenter lui qui contestait la puissance de la présidence de la république !

La Ve a effectivement pris le contre-pied systématique des deux républiques précédentes mais avec cette double conséquence que non seulement le judiciaire est désormais strictement séparé de l'exécutif mais lui est en réalité soumis, mais encore, du côté de cet exécutif, que c'est le rôle même du Premier Ministre qui a à pâtir de la prééminence du président. Si l'on put croire un moment que la dyarchie allait trouver son équilibre - De Gaulle sembla laisser en partie la main à Pompidou au moins sur les questions intérieures - il apparut très vite que Matignon était une place difficile à occuper - le pire ayant été atteint au début du quinquennat de Sarkozy allant même jusqu'à présenter Fillon comme son collaborateur !

La réforme du quinquennat et la fixation des législatives après les présidentielles contribuera à accentuer le phénomène. Les présidentielles sont désormais le seul enjeu national déterminant. Est de dimension nationale un parti en mesure de présenter un candidat ayant une chance raisonnable de l'emporter au second tour.

Mais cette personnalisation qu'évoque Hulot n'est pas le fait seulement des textes constitutionnels ou de l'usage que les présidents en firent qui, on le sait, compte au moins autant ou encore de la personnalité des uns ou des autres qui purent en atténuer ou accentuer la rigueur.

Elle tient aussi au mode de scrutin.

Avoir choisi pour les présidentielles comme pour les législatives, le scrutin uninominal à deux tours ne peut qu'accentuer le phénomène en distinguant d'emblée entre les candidats susceptibles d'être élus et ceux, de second ordre, condamnés à faire de la figuration au premier tour, à se saisir de l'opportunité d'une estrade ou à compter ses voix et mesurer son audience.

Le second tour aboutit à la starisation. Au 1e on choisit, au second, on élimine, nous dit-on : voire. En réalité une élection se joue toujours entre deux ou trois candidats, et cela d'emblée. En 2012, ceci se jouera entre Sarkozy et le candidat de gauche, avec éventuellement le risque de M le Pen en embuscade.

Les autres feront de la figuration - éventuellement spectaculaire - un tour de piste étonnant - comme Lecanuet en 65 ou Dumont en 74 - ou joueront les trublions - comme Taubira, Chevènement et consorts en 2002.

Qu'on le veuille ou non, politiquement les écologistes ne sont pas en mesure de figurer au second tour, encore moins de l'emporter. Ce ne sont que des candidats de tribune ; ce n'est qu'une candidature pour mieux peser aux législatives. D'où la position de Cohn Bendit.

Un problème médiatique

Les médias sont conditionnés par la façon traditionnelle de faire de la politique. Les électeurs aussi. Et plus que les électeurs, les militants. Ils aiment les formules, ils aiment les ennemis désignés. Prononcez cinq fois le mot Sarkozy dans un discours: vous provoquez des orgasmes [...]. Ce qui est très étonnant chez les écologistes, c’est que certains ne s’appliquent pas à eux-mêmes les valeurs qu’ils prônent pour les autres. La sensibilité écologiste dans la société ouvrait une voie royale à Europe Écologie. Mais, à mon avis, là, tel que c’est parti, c’est raté.

Que le pouvoir soit désormais incarné - et le mot n'est pas anodin - par une personne et non plus par une assemblée va évidemment dans le sens de la médiatisation de la vie politique. Politique spectacle a-t-on dénoncé en son temps, sans doute. Les médias ont besoin d'événements qui se voient et puissent se représenter par des événements ou par un individu. Rien n'est plus difficile pour la presse que de relayer des transformations sociales lentes parce que précisément elles sont imperceptibles, rarement spectaculaires. Le système leur convient donc parfaitement. Et des personnages haut en couleur, truculent, comme le fut de Gaulle ; sybillin et manoeuvrier comme le fut Mitterrand, ou excessif, omniprésent et donc susceptible de dérapage ou de déclarations fracassantes comme Sarkozy, sont évidemment d'excellents clients pour les plateaux télé.

C'est bien pour cela, et en ceci il n'a pas tord, qu'on avait suggéré à Hulot de se présenter : personnage médiatique par excellence, puisqu'il y travaille, issu de la société civile comme on dit, il avait tout pour faire un bon candidat de prestige, susceptible de rallier des voix hors de son camp, et notamment dans cette frange de l'électorat peu politisée et sensible aux problèmes environnementaux.

Il n'a pas tord quand il suggère qu'une campagne présidentielle, finalement, se ramène à une course de tiercé où les paris - les sondages - sont ouverts.

Politiquement c'est désastreux et contribue sans doute à la dépolitisation des débats, sinon du corps électoral : tout laisse à penser que programme, propositions, intentions comptent moins que la faconde, la présence ou l'événement.

Pour le reste ....

Amertumes du perdant ! Une petite vacherie par ci par là avant de se retirer des trétaux, de bonne guerre. Mais de là à jouer le moi ou le chaos non décidément.

Tout ceci illustre néanmoins ce que nous écrivions plus haut : le batteleur d'écrans cathodiques n'a évidemment pas la carrure d'un président, et il n'est pas certain qu'il eût celle de candidat : il y a de l'egolâtrie là-dessous ! Trop !

 

 


1) Libération du 29 juillet

2)

« Je n'ai jamais été partisan du gouvernement d'assemblée, c'est-à-dire d'un gouvernement exercé par cinq ou six cents personnes. L'exécutif, l'équipe qui agit, ne peut comporter qu'un nombre limité de personnes entre lesquelles règne une certaine homogénéité, une solidarité ; elles discutent entre elles mais elles doivent être assez proches les unes des autres pour pouvoir prendre des décisions rapidement et les respecter. C'est indispensable surtout dans un pays comme la France, où le gouvernement résulte forcément d'une coalition de volontés. C'est ainsi, seulement, qu'une équipe ( c'est le vrai mot ) chargée de la conduite quotidienne des affaires peut affirmer sa volonté, son autorité, disposer de la durée, de la stabilité. Ce qui manquait sous la IIIème et plus encore sous la IVème.

Mais, à côté de cela, il faut une instance, l'Assemblée, fidèlement représentative des tendances qui règnent dans le pays, qui les confronte publiquement et qui se prononce sur les options principales. L'exécution reste le domaine du Gouvernement et ce dernier agit au nom des forces politiques majoritaires dans l'Assemblée. Ainsi donc, deux pouvoirs : l'exécutif ( homogène ) et le représentatif ou législatif ( inévitablement composite ), dont chacun a son indépendance et sa mission.

Sous la IVème République, il n'y avait, en réalité, qu'un pouvoir : l'Assemblée ; le Gouvernement n'existait plus, il était dominé, écrasé, phagocyté * par le Parlement. Sous la Vème, il n'y a de nouveau qu'un pouvoir : l'exécutif, le Gouvernement ou plutôt le Président ; l'Assemblée ne joue aucun rôle, sinon de pure figuration. On est passé d'un extrême à l'autre.

Je ne pense pas qu'il soit sain et démocratique d'investir, comme aujourd'hui, de moyens aussi larges et aussi incontrôlés un seul homme et pour sept ans [...] Un homme élu par trente millions d'électeurs est forcément très puissant ; or, volontairement, on n'a prévu aucun contrepoids, aucun partage, aucune institution de contrôle ».

Pierre MENDÈS FRANCE, Choisir, pp. 85-86, Stock, 1974