Elysées 2012

Crises ...

retour sur le mot crise singulière une mutation
déréalisation notes vidéos

 

M Aubry fait paraître dans Libération une tribune intitulée L'audace ou l'enlisement.

Crises financières, crise de la dette, crise de l'euro ...: tout a l'air de se passer comme si, depuis 2008, le monde ne parvenait plus à se sortir de l'impasse au point de donner des arguments aux détracteurs de la globalisation. Car c'est bien de cela dont il s'agit, d'une crise du modèle même de la mondialisation

Le spectre de 29 hante, évidemment ! Celui de 2008 se prolonge. Et tout semble se passer comme si les leçons n'avaient pas été entendues.

Crises qui se succèdent et ne passent pas ; crises qui reviennent ... crise est certainement le mot qui revient le plus souvent dans les discours politiques depuis 40 ans.

Mais le plus étrange, à revoir les conférences de presse de de Gaulle entre 58 et 69, c'est-à-dire durant cette période mythique, rêvée et, pour certains nostalgique, des Trente Glorieuses, reste encore que le terme y dominait aussi, comme si nous avions toujours été en crise, ou que cette dernière fût l'ordre normal des choses.

Κρίσις **: retour sur le mot

haut de page

Κρίσις : tel qu'il est utilisé aujourd'hui le terme désigne la dégradation d'une situation, un état de pénurie, une tension qui s'aggrave ou une situation de déséquilibre.

On est assez loin finalement du sens étymologique : Κρίσις désigne en fait :

- la faculté de distinguer ou de séparer

- l'action de séparer d'où la contestation

- l'action de décider, d'où lutte et jugement mais aussi ce qui décide de quelque chose c'est-à-dire issue, dénouement, résultat

Le radical Κρί désigne précisément le choix, le tri. Ce qui pourrait sembler ironique tant l'usage moderne du terme crise évoque plutôt ce que l'on subit plutôt que ce que l'on choisirait. En réalité, tout en grec comme en latin, se joue dans le passage de cet objet concret qu'est le sas ou le tamis à la faculté -sensible puis intellectuelle- de discerner. L'acte suprême de la volonté n'est-il pas, sur la foi des données de la raison, de juger c'est-à-dire de discerner entre le faux que l'on récuse et le vrai que l'on adopte ?

C'est le même radical qui donnera κρινω séparer distinguer mais aussi décider (on en retrouve la connotation dans le verbe trancher) d'où κριτηριον le critère et κριτησ le juge et le critique.

La crise c'est finalement un moment où les choses se dénouent, où ce qui était confus, indécis, subitement devient clair. Discernable. La crise c'est toujours un peu ce que l'on aurait dû prévoir et qui ne devient pourtant évident, qu'après coup. Elle est le déterminé pur, et néanmoins l'indéterminable.

Gaston BachelardLa connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n'est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n'est jamais « ce qu'on pourrait croire » mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l'appareil des raisons a été mis au point. (2)

La crise fait indéniablement penser à la théorie des petites perceptions de Leibniz : ce que nous voyons et entendons est fait de ce que nous ne ne percevons pas distinctement mais qui est néanmoins perçu. Autrement dit, la nature ne connaît pas de rupture, ne fait pas de bond ; autrement dit encore, la mutation, la rupture, le déséquilibre ne sont jamais que la résultante de forces accumulées. Sous la discontinuité, le continu.

La crise n'est jamais alors que la résultante brusquement visible d'une conjonction de phénomènes depuis longtemps à l'oeuvre. Ce qui fait d'elle effectivement ce qu'on aurait du pouvoir anticiper et qui nonobstant surprend toujours.

De ce point de vue elle est passage, d'un état à un autre ; d'un registre à un autre. Subitement la corde rompt, le vase déborde ; mais celle-là seulement sous le coup de forces accumulées, celui-ci uniquement par le truchement des gouttes accumulées. La crise rend visible ce qui ne l'était pas.

Déséquilibre sans doute, mais de longtemps commencé ! Dégradation, peut-être : elle est violence continuée.

Mais la crise est aussi sas, tamis : ce qui sépare ! et permet donc de discerner à défaut de cerner. On peut en avoir une lecture dialectique et considérer avec Marx par exemple que la crise n'est pas une exception du système mais son mode même de fonctionnement et de développement. Une logique de la discontinuité et du conflit, en tout cas du rapport de forces où les contradictions internes d'un système se révèlent ; où sa difficulté grandissante à se reproduire se manifeste ; où l'entropie semble l'emporter. On peut en avoir aussi une lecture non-dialectique, à la Girard par exemple, qui y verrait plutôt la montée aux extrêmes d'une violence mimétique aux conséquences dès lors incontrôlées.

Au même titre que dans les sciences où les phases de ruptures épistémologiques représentent de fabuleuses occasions de tout reprendre à zéro, de repenser autrement le problème et d'avancer là où l'on croyait reculer, on pourrait effectivement considérer que la crise est ce qui nous fait avancer vers un nouvel ordre mondial. Mais c'est encore une approche dialectique. Toutefois, on peut aussi se souvenir avec E Morin que c'est au moments les plus désespérés, les plus graves que surgissent les issues les plus improbables.

C'est que la crise est bien un mouvement où subitement la décision se fait, se prend : la crise est croisée ! Et si l'on devait prendre le registre médical - où la crise a pris une signification centrale - il faut bien admettre que la résolution de la crise ne permet jamais de revenir à l'état antérieur. La biologie nous a appris que le vivant ne revient jamais en arrière, ne reproduit jamais le statu quo ante mais, au contraire, invente toujours après une crise, une nouvelle organisation, un nouvel équilibre tenant compte de la nouvelle donne.

C'est en ce sens que l'on peut dire, après une crise et pour peu qu'elle soit profonde, c'est-à-dire engage effectivement notre rapport au monde, que plus rien ne sera comme avant. En histoire c'est bien ce qui se passe avec des événements fondateurs comme la Révolution de 89 qui achève le XVIIIe, ou la guerre de 14/18 qui termine le XIXe - pour ne citer que des événements politiques ; mais c'est aussi ce qu'on pourrait avancer avec la quasi disparition de la paysannerie qui achève la révolution néolithique. Comme souvent, les crises profondes sont muettes, et lentes, qui ne se traduisent pas par un événement spectaculaire, montrable, médiatisable, mais engagent sur un temps plus long, l'ensemble des rapports humains, sociaux...

A ce titre tout événement n'est pas crise, et toute crise n'est pas événement. C'est bien ce que voulait dire P Valéry :

"Tout le monde consent que Louis XIV soit mort en 1715. Mais il s'est passé en 1715 une infinité de d'autres choses observables, qu'il faudrait une infinité de mots, de livres, et même de bibliothèques pour conserver à l'état écrit. Il faut donc choisir, c'est-à-dire convenir non seulement de l'existence, mais encore de l'importance du fait ; et cette convention est capitale. (.) L'importance est à notre discrétion comme l'est la valeur des témoignages. On peut raisonnablement penser que la découverte des propriétés du quinquina est plus importance que tel traité conclu vers la même époque ; et, en effet, en 1932, les conséquences de cet instrument diplomatique peuvent être totalement perdues et comme diffuses dans le chaos des événements, tandis que la fièvre est toujours reconnaissable, que des régions paludéennes du globe sont de plus en plus visitées ou exploitées, et que la quinine fut peut-être indispensable à la prospection et à l'occupation de toute la terre, qui est, à mes yeux, le fait dominant de notre siècle." Valéry, Variétés, Essais quasi politiques, Discours de l'histoire

C'est dans les profondeurs qu'il faut aller chercher les mutations qui, en réalité, sont toujours lentes, l'événement spectaculaire n'étant que la face, subitement visible, de ces mutations. Leibniz a raison : la rupture qu'est la crise n'est pas une cause, elle est déjà un effet de l'intégrale des forces continûment à l'oeuvre.

Une crise singulière ?

haut de page

C'est ce dont on pourrait douter de prime abord, tant elle n'est que la poursuite des précédentes et, en quelque sorte, le prurit de croissance d'une mondialisation qui serait allée trop vite pour ne pas requérir quelque ajustement, quelque correction, d'autant plus brutale que le mouvement fut précipité.

Spectaculaire elle l'est, ne serait-ce que du fait de l'intrication exceptionnelle de toutes les économies mondiales. Au point que le rêve de Laplace (4) semblerait s'être réalisé : ah cette ruade d’un cheval dans la campagne française qui dérange le vol d’un papillon dans les Iles de la Sonde ! On le sait, principe d'indéterminisme d'Heisenberg et théorie du chaos auront bien mis à mal ce délicieux rêve du déterminisme universel ; pour autant il nous hante encore.

C'est celui d'une intelligence aux yeux de qui passé comme futur seraient présents. C'est-à-dire d'une abolition du temps, de la singularité, de l'imprévu - et donc de l'imprévisible - d'un réel où tout se ramènerait au même, à quelques lois bien connues et donc maîtrisables. Ce rêve de la connaissance absolue, c'est celui d'un dieu ou d'un démon ; mais c'est aussi celui du pouvoir absolu. Failli du côté de la pensée, ce phantasme reste encore bien vivant du côté du politique voire de l'économique. Identique désir de tout ramener au même; identique illusion de croire parvenir à abolir les différences, lever les barrières, supprimer les différences ; identique mégalomanie d'imaginer que le passage du local au global fût une avenue rectiligne sans chicane !

C'est le propre de cette logique que de ne s'offrir jamais qu'une seule grille de lecture, qui, depuis un demi-siècle au moins est l'économie. J'allais écrire l'économisme. Le discours d'expert est truffé de ces références et connotations qui toutes trahissent la volonté de réduire passé et futur dans leur présent.

Singulière ? mais il n'est qu'à lire l'article Krach de Wikipedia pour déceler la tendance spontanée à n'expliquer le phénomène que sur un seul registre :

Cependant, si le krach est brutal, son apparition suit un mécanisme qui s'installe sur une période plus longue. Le phénomène débute par une hausse des cours fondée sur une croissance avérée de l'économie. Cela attire un grand nombre d'investisseurs, souvent des particuliers, qui souhaitent bénéficier de cette hausse. L'investissement peut alors se faire en masse sur un grand nombre de valeurs (effet grégaire). L'afflux de capitaux frais entraîne une envolée boursière. Le phénomène peut alors s'amplifier si les investisseurs s'endettent pour continuer à profiter de la hausse. Or cette hausse supplémentaire se décale progressivement des résultats réels de l'économie : c'est alors une bulle spéculative. On arrive alors dans une phase attentiste où seuls les investisseurs les plus avertis sortent de cette bulle. La publication d'une statistique sur la surévaluation du marché donne souvent le signal d'alarme qui conduit au krach : les investisseurs, souvent des petits porteurs, vendent en masse leurs titres et une course à la liquidité s'ensuit.

Lot cyclique mais incontournable de l'expansion économique, lit-on ici, le krach boursier est le résultat d'une déconnexion de l'économie financière d'avec l'économie réelle, tout juste renforcé par le mimétisme des investisseurs et l'automatisme provoqué par l'informatisation des échanges.

Pas une crise ... une mutation

haut de page

Le sentiment que nous pouvons avoir d'une crise analogue aux précédentes dont celle-ci pourrait être le prolongement, accentué peut-être, mais la suite néanmoins dont les causes autant que les conséquences pourraient se lire au filtre des précédentes vient sans doute, ici encore, de ce que nous restions l'oeil collé à l'événement, l'oreille rivée au fil des nouvelles distillées par la presse ; qu'encore une fois nous ne lisions l'événement que d'un point de vue strictement technicien, sous la grille exclusivement économique voire boursière.

En réalité, à prendre un peu de recul et de champ, on réalise que la période est celle d'une profonde mutation. C'est en tout cas ce que développe M Serres durant le forum des Etats Généraux mais qu'il avait déjà indiqué dans Hominescence.

Pour autant que l'on puisse appeler d'autant plus nouveau le phénomène qui mettrait un terme à une séquence très longue, il est en effet un certain nombre de mutations que nous ne saurions négliger et qui modifient notre être-au-monde.

- la disparition de l'agriculture

- la prolongation de l'espérance de vie

- les progrès de la médecine

- les nouvelles technologie

Chacune de ces révolutions bouleverse notre rapport au monde :

- la disparition de l'agriculture qui, nous enfermant dans les espaces étroits des cités, nous amène à un rapport consumériste à la nature et nous fait perdre le sens du temps, pour n'entrevoir plus que l'urgence, la précipitation ou même l'abolition du temps par le biais du temps réel.

- la prolongation de la vie change nos rapports sociaux (famille, nation,guerre.).

- les progrès de la médecine modifient notre rapport au corps en suspendant notamment la douleur.

- les progrès technologiques nous font basculer dans un nouvel espace, où l'autre est toujours proche et accessible mais où, aussi, tous les rapports politiques, le droit, les échanges doivent être réinventés.

Ce qui est nouveau c'est que ce monde que nous avions perdu subitement se rappelle à nous. Les périls écologiques, subitement, nous rappellent que nous sommes du monde, et que nous l'avons totalement oublié dans nos projets quels qu'ils soient. Que désormais c'est un jeu à trois qu'il faut inventer, non seulement concevoir les règles des rapports entre nous, mais aussi mais surtout avec le monde.

Et cette révolution-ci est centrale.

Serres comme Morin espèrent que de la gravité de la situation émerge une issue ! Il est en tout cas avéré comme l'usage médical le révèle, que la situation qui sortira de cette crise ne ressemblera en rien à l'ancienne.

Tout semble se conjuguer pour laisser à penser que, effectivement, sous cette crise, se niche une mutation à venir, une métamorphise à venir.

Est-ce une illusion récurrente que de penser que nous serions à l'aube d'une mutation profonde ? Sans doute, au long de son histoire, l'humanité l'a-t-elle souvent cru ; pour autant il me semble avéré que ce soit bien pour ne pas prendre la mesure des périls et de toujours se contenter d'une vision à courte vue et très technique de la réalité sociale et politique que nous nous empêchons de pouvoir sortir de ce qui se révèle parfaitement être un cul de sal.

Une déréalisation

haut de page

Remarquable enfin dans les mécanismes de cette crise financière reste toujours la perte de repère, de critère - de cribrum. En finance, comme en morale, tout n'est finalement qu'une question de valeur. Sur quels critères évaluer l'acte de quelqu'un, mais aussi la valeur d'une marchandise, mais encore la valeur d'une monnaie.

On sait que depuis l'abandon du Gold Stock Exchange, nos monnaies sont évaluées entre elles en vertu d'un système de change flottant ; que nos économies sont évaluées entre elles également sur la base d'agence de notation. On se retrouve donc bien devant un système qui ne trouve aucun référent extérieur à lui-même, qui sous prétexte d'auto-régulation, se fait à la fois juge et partie. La crise fait baisser l'évaluation d'une agence de notation qui elle-même précipite la crise etc ad libitum.

Ce qui l'autre versant de notre perte du monde. Les monnaies sont supposées refléter le développement de l'économie en même temps que cette économie est tout entière dépendante, surtout dans le développement de ce capataisme financier, du marché monétaire.

Système qui se mord la queue, qui tourne en rond ! On comprend la nostalgie d'un de Gaulle en appelant dès 65 au retour à l'étalon-or *** même si le système n'a pas que des avantages, même si surtout un retour en arrière semble impossible désormais.

Nul doute néanmoins que cette perte d'un référant concret, tangible liée non seulement à la mondialisation des échanges mais à l'informatisation des échanges surtout, contribue au sentiment que beaucoup ont que cette sorte de grand casino virtuel qu'est devenu la bourse où l'investissement est moins productif que spéculatif, que le rôle trouble joué par les banques depuis quelques années, que cette image délétère du trader prenant des risques inconsidérés, ou très exactement faisant prendre aux autres des risques - et ceci pour des émoluements faramineux n'est pas pour rien non seulement dans la crainte suscitée, mais aussi, mais surtout dans la rancoeur nourrie à l'égard du monde de la finance, toujours gagnante, toujours impunie, rancoeur qui fait le lit du populisme, qui le nourrit et qui s'en nourrit. (5)

Car le problème est ici, tout comme pour l'environnement : chassez le monde par la porte, il reviendra par la fenêtre ! Tout à l'air de se passer comme si le prix des folies spéculatives de quelques uns, des grandes institutions financières mondiales devait se payer : le problème c'est que c'est l'économie réelle - admirons l'expression - qui paie et donc, les salariés. (6)

 

Alors oui : audace ou enlisement.

Ce sentiment toujours entêtant d'être à la croisée.

C'est ceci même qui définit la crise.

 

 


1)Libération du 5 Août

 

2) Gaston Bachelard La formation de l'esprit scientifique

3) Leibniz Essais sur l'entendement humain

D’ailleurs il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou bien trop petites et en trop grand nombre ou trop unies en sorte qu’elles n’ont rien d’assez distinguant à part, mais jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire effet et de se faire sentir au moins confusément dans l’assemblage. C’est ainsi que l’accoutumance fait que nous ne prenons pas garde au mouvement d’un moulin ou d’une chute d’eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelques temps. Ce n’est pas que ce mouvement ne frappent toujours nos organes et qu’il ne se passe encore quelque chose dans l’âme qui y réponde, à cause de l’harmonie de l’âme et du corps, mais ces impressions qui sont dans l’âme et le corps, destitués des attraits de la nouveauté, ne sont pas assez fortes pour s’attirer notre attention et notre mémoire, attachées à des objets plus occupants (...) Et pour juger encore mieux des petites perceptions que nous ne saurions distinguer dans la foule, j’ai coutume de me servir de l’exemple du mugissement ou du bruit de la mer dont on est frappé quand on est au rivage. Pour entendre ce bruit comme l’on fait, il faut bien que l’on entende les parties qui composent ce tout, c’est-à-dire les bruits de chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connaître que dans l’assemblage confus de tous les autres ensemble, c’est-à-dire dans ce mugissement même, et ne se remarquerait pas si cette vague qui le fait était seule.

4 ) Pierre-Simon Laplace, Essai philosophique sur les probabilités (1814)

LaplaceNous devons donc envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé, serait présent à ses yeux. L’esprit humain offre, dans la perfection qu’il a su donner à l’astronomie, une faible esquisse de cette intelligence. Ses découvertes en mécanique et en géométrie, jointes à celle de la pesanteur universelle, l’ont mis à portée de comprendre dans les mêmes expressions analytiques, les états passés et futurs du système du monde. En appliquant la même méthode à quelques autres objets de ses connaissances, il est parvenu à ramener à des lois générales les phénomènes observés et à prévoir ceux que des circonstances données doivent faire éclore. Tous ses efforts dans la recherche de la vérité tendent à le rapprocher sans cesse de l’intelligence que nous venons de concevoir, mais dont il restera toujours infiniment éloigné.

5) voir notamment

6) Les deux éditoriaux successifs de N Demorand dans Libération sont à cet égard tout à fait révélateurs :

Pifomètre
Liberation du 8 Aout

Dans l’instant de chaos et donc de vérité qu’est une crise, il faut remonter aux idées fondatrices. Qu’est-ce que la démocratie ? Un système par lequel le peuple souverain délègue son autorité à ceux qui le représentent et exercent le pouvoir. Pour ces derniers, les échecs se payent cash : les élections sanctionnent les gouvernants et donnent une chance à leurs successeurs. Le coup de tonnerre de la dégradation des Etats-Unis par une agence de notation démontre qu’il y a désormais un pouvoir infiniment supérieur au pouvoir politique. Un pouvoir capable d’ajouter la défiance à la défiance, de semer la zizanie sur les marchés, de court-circuiter le processus de décision démocratique. Et de contraindre les pays qui passent dans le collimateur à courber l’échine et filer droit. Car, en maîtrisant la chaîne complexe qui permet aux Etats de se procurer de l’argent, les agences de notation disposent ni plus ni moins que d’un pouvoir de vie et de mort. Mais qui les composent ? Comment travaillent-elles ? Quelle idéologie, quelle vision de l’économie sous-tendent leurs décisions ? Au nom de quoi exercent-elles un pouvoir qui est, de fait, politique ? Quelles autorités les sanctionnent quand elles se trompent, comme sur les subprimes, ce poison violent doctement noté AAA mais qui a vérolé l’économie mondiale et précipité la crise ? Comme, encore, sur la dette américaine, dégradée au terme d’une petite erreur d’addition de 2 000 milliards de dollars ! Les agences voudraient être le thermomètre implacable de l’économie. Elles ne sont qu’un pifomètre au pouvoir exorbitant, ayant prospéré depuis trente ans sur le vide, le retrait et l’abandon du terrain par l’autorité publique elle-même. Maintenant que cette dernière est dos au mur, si elle veut éviter que le chaos ne se propage, que les dégradations ne frappent d’autres pays, à coup sûr en Europe - peut-être la France -, la première mesure devrait être de durablement démonétiser ces agences en ne tenant plus compte de leurs oracles. Car ce sont bien les banques centrales qui leur accordent du crédit pour faire fonctionner ce poumon qu’est le circuit du refinancement bancaire : en deçà d’une certaine note, pas d’argent. Depuis la crise de 2008, la BCE, a ponctuellement rompu avec le système : pourquoi ne déclare-t-elle pas qu’elle le fera désormais définitivement ? Quant aux politiques, à défaut d’interdire ces agences ou d’en créer rapidement d’autres capables de briser l’oligopole de Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s, ils doivent prendre conscience que la crise financière débouchera sur la crise démocratique : au moment où les citoyens comprendront que ceux qu’ils ont élus n’ont plus aucun pouvoir sur la réalité.

Social
Libération du 9 Aout

La panique boursière a le mérite, dans une société d’image, dans une économie totalement numérisée et donc dématérialisée, de rendre la crise visible. De la rendre tangible et donc compréhensible, avec des indices qui plongent et des courbes orientées vers les gouffres. Evénementielle et donc médiatisable, avec unité de temps, de lieu, d’action, moments forts cinq jours sur sept, sur tous les continents, au fil des fuseaux horaires. Cette dramaturgie masque pourtant le double fond du problème : la récession économique, partiellement cause et très probablement conséquence de la panique boursière ; la crise sociale, qui se propage également dans les pays frappés de marasme. Nos économies ne parviennent en effet toujours pas à redémarrer, les emplois ayant été détruits depuis trois ans semblant l’être pour longtemps, voire définitivement. Et le triste privilège européen de la croissance faible et du fort chômage caractérise désormais l’Occident tout entier, à commencer par les Etats-Unis. Les gigantesques et nécessaires plans de relance de 2008 n’ont eu pour effet que de différer ce moment de vérité. Et de ruiner les Etats qui les ont mis en œuvre et qui, pour peu qu’ils en aient le désir, n’ont plus les moyens de protéger leurs citoyens, premières victimes du cocktail de pauvreté croissante et d’injustice face à une situation dont ils ne sont pas responsables. D’où les crises sociales, profondes, parfois pacifiques, parfois violentes à Dublin, Athènes, Madrid, Tel-Aviv, peut-être aussi Londres. Que les spécificités peut-être irréductibles de chacun de ces mouvements n’empêchent pas de voir ce qui fait leur profonde unité : ils dessinent, déjà, une géographie du désespoir.

 

ce que nous en écrivions en 2008

Roger Pol Droit Aristote à Wall Street

Fukuyama La chute d'America Inc.

Alain Métaphysique financière

La finance sous le regard de l'éthique

 

Une étude avait été faite en 2009 sur les mots de la crise ds le cadre d'un colloque du Centre d'Analyse stratégique

sur le sens du mot crise et ses prolongements on entendra avec intérêt l'intervention de M Serres aux Etats Généraux du Renouveau (Janvier 2011)

(retour)


1929

 

 

 

 

De Gaulle en Février 65

(La totalité de la conférence de presse est visible ici ) le passage est à partir de 24:26


De Gaulle échange les dollars contre l'or par capetien_cherifien 

 

Analyse de discours politiques autour de la crise :