Elysées 2012

Sondages fin Juillet

L'échappée belle pour Hollande c'est ainsi que France Soir (1) interprète ces résultats.

Ca n'est pas, ne peut pas encore être une question de fond, de programme. Il est trop tôt.

Certes celui-ci est parti tôt en campagne et laboure profond les campagnes et les fédérations. Certes celle-là, soutenue par une grande partie de l'appareil, se joue en tout cas de sa légitimité quand celui-ci ne peut arguer que de son expérience passée et de sa manifeste profonde envie. Mais en tout état de cause ce ne peut être une question de programme : ils ont le même et leurs inflexions respectives sont encore bien trop ténues pour qu'elles puissent les démarquer, les départager.

Pourtant, à lire les sondages, à entendre ce qui se dit ici et là, je soupçonne qu'il s'agit d'autre chose : d'image, de phantasme, de préjugés.

Tout le monde le devine : gagne celui qui est susceptible de grignoter hors de son camp. En son temps, Mitterrand ! Un peu plus tard, Delors l'aurait pu mais il sentait que si la victoire eût été possible en 1995 il n'aurait en tout cas pas eu les marges nécessaires pour réunir, après coup, une majorité parlementaire et donc gouverner. DSK, jusqu'à l'affaire, passait pour en être capable, même si, en même temps il agaçait l'aile droite de son parti.

Préjugés

Celui du sérieux, de la rigueur, de l'expérience. Dans les représentations qu'on se fait ainsi d'un présidentialisable, il y a cette minutie scrupuleuse, cette prudence méticuleuse. Etre un grand banquier international, avoir été Commissaire européen pendant 10 ans ... voici qui pose son homme.

le banquier vu par DaumierCe qui se cache derrière cette représentation, c'est l'idée tenace que si la gauche est généreuse, idéaliste et soucieuse du progrès social, en revanche elle serait économiquement inconsciente, mais surtout incompétente ; incapable. Vieille distribution des rôles et du travail que nous traînons depuis les tout débuts du socialisme en France, et, sans doute depuis Jaurès. A droite, la rigueur scrupuleuse et le réalisme du chef d'entreprise, du banquier, à gauche le doux rêve, sympatique, tellement calamiteux du tribun, de l'avocat, du politique.

Nous ne sommes peut être pas encore vraiment sortis de ces antiennes vénérables qui, de Gambetta, ardent défenseur de la Nation mais qui compromettrait l'avenir en ne sachant pas terminer une guerre, à Blum, sans doute estimable inventeur des 40H, des congés payés etc mais qui aurait mis la France par terre économiquement et eût dangereusement compromis la préparation de la guerre contre Hitler (2)... A bien y regarder, le seul, à gauche, qui trouve grâce aux yeux des gens sérieux, reste encore Mendès-France. Certes, il a bradé l'Indochine mais sa compétence économique, son sens de l'effort eut de quoi séduire, au moins a posteriori, les gens de droite.

Oui décidément à gauche on serait bien gentil mais pas sérieux, pas réaliste !

Un phantasme.

Celui de la puissance, du pouvoir malaisément compatible avec la représentation de la femme. Derrière tout homme de pouvoir, il y a la brute épaisse nantie de son gourdin, quelque chose comme d'ultimes rémanances reptiliennes venant téléscoper le vernis policé de notre libéralisme post-moderne.

Non, décidément le pouvoir est affaire d'hommes, et la puissance de vertu, de cette virtus qui est encore une flexion de la virilité. Avec cette délicieuse division des tâches où l'homme nomade part à l'extérieur conquérir, chasser, au risque parfois de se perdre, de s'emporter ou de succomber, quand la femme, gardienne du temple et de l'intériorité aurait ce réalisme du quotidien quoique plombée par un atavique sentimentalisme. Partage de l'ordre et du progrès, soigneux système de compensation où c'est l'homme, quand même, qui emporte le morceau de la dynamique, appuyé qu'il serait, en sous-main, discrètement comme il siérait aux femmes, par la triviale mais amoureuse féminité. (2) A ce titre, aussi étonnant que ce puisse paraître, c'est l'homme qui fait rêver ; pas la femme. A l'homme, la réalisation de grandes choses, d'exploits, d'invention, de création de richesses ; à la femme, le quotidien, la besogneuse gestion du ménage, des enfants, de la cuisine et, un peu plus noble, de la défense des valeurs.

Ce phantasme est évidemment un cliché mais il a la vie dure.

Il y aurait chez Hollande quelque chose à la fois de terrien, petit homme rond, mais prompt au changement et à l'irruption - qu'il eût maigri et changé de compagne est un signe - mais d'agile aussi ; ce que son humour rhétorique confirme. Ses lunettes toute de rigueur barrées surlignant avec élégante discrétion un sourcil généreux ouvrant vers une calvitie prometteuse, l'amplitude d'un front où pensée, recul et projets le disputent à maturité et sagesse ordinaire, oui décidément, Hollande s'est fait une tête de président du conseil de la IVe, une tête de Queuille, une tête de corrézien ; une tête de Chirac.

A l'inverse Aubry, sérieuse assurément, mais triviale, désespérément. Sérieuse, engagée et entêtée, oui, colérique même, dit-on, mais prosaïque à en étouffer le moindre rêve. Elle ressemble à s'y méprendre à la ménagère de de Gaulle (3). C'est une femme oui, mais surtout une mère ; pire encore une belle-mère dont elle paraît tour à tour épouser tant l'acrimonie besogneuse que l'irrégragable sens du devoir. Lui respire le désir d'y aller quand elle exhale le scrupule, le pensum, la probité, certes, mais la corvée.

Sans doute traîne-t-elle encore comme un boulet cette image de candidate par défaut, qui n'avait pas envie d'y aller après la défection de DSK, d'une candidate par devoir. Sans doute mène-t-elle encore campagne mezza voce, à sa façon, quand Hollande aura débuté bien plus tôt et ratissé les campagnes. Néanmoins, en dépit de la référence au care qu'elle n'a reprise qu'en demi-teinte et qui lui valut en son temps une volée de bois vert, en dépit des références à la solidarité, à une société plus humaine du vivre ensemble, elle ne parvient toujours pas à faire rêver non plus qu'à l'emporter par son sérieux. Est-ce son phrasé de percheron fatigué, son lyrisme de redressement fiscal ? toujours est-il qu'elle peine à convaincre les hommes, mais ne fait pas non plus de scores extraordinaires chez les femmes.

Une image

Alors non, je ne m'étonne pas que la droite s'y retrouve mieux dans celui-ci que celle-là, qui coïncide mieux aux clichés conservateurs.

Telle que l'a voulue Ch de Gaulle, dans l'esprit même de la Constitution de 58, l'élection présidentielle, au-dessus des partis qu'il méprisait tant et lui semblèrent toujours avoir dressé un rempart entre le peuple et la nation, est une rencontre entre un homme seul et le peuple. Réalité toujours un peu faussée : l'histoire depuis 65 aura montré qu'un homme si prestigieux soit-il, mais non appuyé par un parti puissant n'a aucune chance de réaliser un score correct (4)

Il n'empêche une campagne est une rencontre qui se fait ou non, une histoire qui se raconte, qu'on se raconte et même si le storytelling a quelque chose d'abusif, il n'en reste pas moins exact qu'elle échaffaude une représentation, une thématique, une illusion qui prend ou ne prend pas, quelque part entre les mois de janvier et de février.

C'est donc une image de président qu'il faut construire c'est-à-dire de quelqu'un qui est prae c'est-à-dire devant, de quelqu'un qui non seulement siège devant mais serait capable de vous entraîner en avant, et donc d'entremêler exigence du progrès et soucis de l'ordre. En son temps quelqu'un comme Coty avait su devenir populaire par son absence de charisme, sa vertu non populaire mais ordinaire. Mais c'était un temps où les présidents n'ayant aucun pouvoir, où ceci n'avait nulle importance. Mais ce pays qui n'en est pas à une contradiction près, n'a pas désappris d'espérer un héros qui tels Clemenceau ou de Gaulle lui permette de se dépasser et de reconquérir une place à la hauteur de sa prestigieuse histoire. En même temps qu'il rêve d'une période calme et donc de temps, sinon de président ... ordinaires.

Ce qu'en son temps Max Weber nommait charisme. (5)

Pas plus qu'une réélection ne se fait sur un simple bilan, une élection ne se peut réussir sur la seule admonestation du sortant, ou la répulsion qu'il engendrerait. On aura reproché à de Gaulle son pouvoir personnel, à Giscard sa dérive monarchique, à Mitterrand son byzantinisme. Mais ce n'est pas suffisant.

Préjugés idéologiques, avanies misogynes et construction ambivalente d'une image tout ceci, pris ensemble, peut expliquer qu'aujourd'hui un Hollande puisse apparaître plus acceptable, en tout cas moins répulsif qu'une Aubry pour cette frange de l'électorat centriste voire droitier qui pourrait flotter encore.

Pour autant Aubry, une fois sa candature posée, demeure plutôt discrète. Ce qui est une autre manière de se préserver et de prendre de la hauteur.

 

 

 

 

 


1) IFOP pour France Soir

2 ) C'est bien ce que Vichy allait lui reprocher justifiant son procès que d'ailleurs le régime ne poursuivra pas jusqu'au bout

3)

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

C'est à sa façon ce qu'en 65 encore illustrait un de Gaulle lors de la campagne pour sa réélection lors d'un de ses entretiens, entre les deux tours, avec le journaliste M Droit.

 

4) Ce fut le cas notamment de Michel Debré en 81 qui, en dépit qu'il fût le premier des Premiers Ministres de la Ve, rédacteur de la constitution, n'obtint que quelque 1,66% au premier tour

5) Il existe en principe trois raisons internes qui justifient la domination, et, par conséquent il existe trois fondements de la légitimité. Tout d'abord l'autorité de "l'éternel hier", c'est-à-dire celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l'habitude enracinée en l'homme de les respecter. Tel est le pouvoir traditionnel que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois. En second lieu l'autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu (charisme), elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le chef. C'est la le pouvoir charismatique que le prophète exerçait ou - dans le domaine politique - le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d'un parti politique. Il y a enfin l'autorité qui s'impose en vertu de la légalité, en vertu de la croyance en la validité d'un statut légal et d'une "compétence" positive fondée sur des règles établies rationnellement, en d'autres termes l'autorité fondée sur l'obéissance qui s'acquitte des obligations conformes au statut établi. C'est là le pouvoir tel que l'exerce le serviteur de l'État moderne, ainsi que tous les détenteurs du pouvoir qui s'en rapprochent sous ce rapport.*