Elysées 2012

De la question morale

Ce que les récents sondages disent à propos de DSK mérite d'être souligné. Certes, le gavage médiatique produit lassitude et écoeurement ; l'essentiel n'est pourtant pas là. Certes, le suicide politique de celui qui était promis aux plus hautes destinées aura eu de quoi fasciner et fantasmer : quand la tragédie copule avec rumeurs et conspirations, les feuilles de choux se repaissent allègrement. Mais la lassitude du lectorat et de l'électorat est plus profonde que cela.

Apreté du combat : Internet, presse et rumeurs

On lui a tellement promis une campagne dure, où tous les coups seraient permis que ces affaires de moeurs ne pouvaient pas ne pas en paraître les prolégomènes. Ce n'est certainement pas un hasard si la première réaction de Fillon (1), juste après l'arrestation de DSK en affirmant que le PS peut ravaler ses leçons de morales. Inutile de dire que les récentes rumeurs sur M Aubry concernant à la fois son supposé alcoolisme et son conjoint ne purent que conforter la crainte d'une campagne ras des pâquerettes. On est tellement loin désormais d'une presse qui, dès 81, connut l'existence de Mazarine mais la tut au nom du respect de la vie privée.

Prix à payer des techniques modernes ? Sans doute. Si la campagne de 2007 * avait vu les débuts de l'irruption d'Internet dans le déroulé des événements, où d'ailleurs S Royal aura été plutôt en pointe, mais Sarkozy pas vraiment à la traîne, force est de constater que l'exemple d'Obama aidant, on assistera sans doute à la première véritable campagne Internet en France. Or, Internet c'est aussi cet espace virtuel où tout circule si vite, informations comme rumeurs, où tout est aussi vite affirmé que réfuté, que les risques sont évidents de campagnes rugueuses. B Thieulin n'a pas tort en affirmant que l'Internet accéllère les rumeurs mais permet aussi de les combattre (2). Sans doute ce qui autrefois n'aurait pas dépassé la porte du bistrot du coin bénéficie-t-il aujourd'hui d'une caisse de résonnance incroyable. C'est d'ailleurs tout le problème de la presse. Elle dont l'avenir n'est plus assuré, qui se voit concurrencée à la fois par la presse gratuite et par Internet, devrait, mais en partie commence à le faire, s'interroger sur son rôle. Le péché mignon de la presse française fut, depuis toujours, de savamment mais aussi dangereusement, entremêler faits et opinions ; le fait brut circule désormais très vite. Il faut attendre de la presse qu'elle fasse son travail de vérification au prix d'une investigation sérieuse au lieu de se contenter, comme trop souvent, de la relayer sans trop de prudence. A elle aussi de prendre du recul, de prendre le temps de l'analyse et de la mise en perspective. Il m'arrive parfois de penser que la division du travail est déjà entamée : à la presse gratuite et à Internet, le fait brut ; à la presse écrite, l'investigation et l'analyse. (3) En même temps ne pas jeter l'enfant avec l'eau sale du bain : Internet est aussi l'opportunité de débats directs, citoyens. Le fera-t-il ? Le pourra-t-il ?

L'exigence d'un débat démocratique

Le pays se sent à la croisée : entre une crise financière qui ne finit pas de menacer, une crise économique interminable, une crise sociale qui aura accru les inégalités et creusé plus que de raisonnable les écarts en laminant les couches moyennes, une crise énergétique qui pointe, sans compter les menaces sur l'environnement, réchauffement climatique et autres catastrophes nucléaires ... non décidément le paysage n'est pas rose. Sans nécessairement sombrer dans le catastrophisme non plus que dans les craintes millénaristes, le pays se sent à la croisée.

Devant lui, il le sait, il le sent, une classe politique sinon désemparée en tout cas déconnectée qui n'a finalement que des recettes éculées à lui proposer qui ont largement fait la preuve de leur inefficacité. Et le sentiment diffus de son impuissance. Comme si le réel tout à coup nous échappait, leur échappait, qui de complexité en complexités paraissait marcher tout seul dans le mur sans que plus rien ne puisse arrêter l'imminence d'un verdict tragique. Alors quand cette classe politique, en sus, se vautre dans les délices d'un remariage ou d'une énième paternité, ou patauge dans le lucre ancillaire, ou dans la fascination pour les Porsche, c'en est manifestement trop. Cette classe politique, supposée représenter le pays réel, apparaît subitement pour ce qu'elle est : une caste, cantonnée quelque part entre Neuilly et le 7e arrondissement, qui a confisqué pour son propre profit et celui de ses proches ce qu'il restait d'avenir, laissant au pays la culpabilité de n'avoir pas réussi, la honte de n'avoir pas de travail, l'indécence de n'être même pas riche ! Cette caste ne parle pas au pays, elle ne parle que d'elle-même, de sa propre mise en scène sans trop deviner son indécence.

Privé de débat en 2002, dupé par la thématique de la rupture en 2007, qui ne fut en réalité que la continuité insolente des mêmes prébendes, privilèges et provocations, le pays gronde d'une colère encore muette mais pour combien de temps, d'une colère dont la courbe catastrophique de popularité de Sarkozy est un des symptôme.

Je le crois, le pays attend un débat de fond, sain, un débat tranché et tranchant et refuse toutes ces diversions. Je crois, j'espère que ces rumeurs et scandales pèteront à la figure de ceux qui les lancent. Non, le pays n'est pas devenu pudibond pour autant. La morale qu'il attend de ce débat n'est pas celle réactionnaire d'un repli sur soi, mais au contraire celle, dynamique, qui rende hommage à sa dignité et à la hauteur des enjeux.

 


1)Libération du 28/05/11 ou Le Point

 

* revoir ce documentaire d'Arte réalisé au moment de la campagne de 2007

lire encore cette cartographie de la blogosphère publiée sur le site du Monde

2) Libération du 11/07/11

3) nous y reviendrons