Elysées 2012

I/ Constitution II: Les crises de la Ve III/ Une réforme possible ?
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Deux crises : 1972 et 1976

L'illustre le fait que, depuis 58, seules deux véritables crises gouvernementales se seront produites :

- en 1972, précisément, démission du gouvernement Chaban-Delmas : première véritable crise au sein de l'exécutif, mais crise feutrée, où rien ne se dit encore explicitement dans ces débuts de l'après de Gaulle où le régime finit de se roder. Un conflit, manifestement, entre un premier ministre enclin à des réformes structurelles ( la nouvelle société inspirée par l'aile démocrate-chrétienne dont un certain J Delors ) réformes rendues nécessaires non seulement par mai 68 mais par la modernisation rapide de la société et du corps social, et un président plus conservateur manifestement, plus prudent en tout cas que ces gages offerts à la gauche effraient, en tout cas inquiètent d'autant plus que les gaullistes historiques conservent à son endroit une hargne qui ne se démentira pas.

- en 1976, démission du gouvernement Chirac, prise de sa propre initiative et non sur demande du président Giscard d'Estaing. Là c'est une véritable crise, dans la mesure où il y a profond désaccord entre les deux têtes de l'exécutif, mais on remarquera précisément que ce n'est pas une crise d'origine parlementaire. Les gaullistes regimbent et ils le feront payer tout au long des cinq années restantes du gouvernement Barre (76-81) mais précisément la guérilla parlementaire ne sera qu'un moyen, elle ne sera jamais le centre de la crise, qui elle demeurera au sein même de l'exécutif. Une crise, au reste, qui trouvera son issue dans la défaite de Giscard et l'arrivée de la gauche au pouvoir.

La leçon de ces deux crises est à la fois politique et institutionnelle :

- politique, c'est tout simplement l'évolution et la pérennité du courant gaulliste qui se cherche une voie successivement après la fin du temps des fondations et après la perte du pouvoir au profit des centristes. A bien y regarder, ce combat a été perdu tant il reste bien peu, à la nostalgie des temps héroïques près, de ce qui définissait le gaullisme. Si les centrismes se seront ralliés au régime, en acceptant dès 69 ce qu'ils avaient refusé en 62 - l'élection du président au SU - en revanche ce sont plutôt les gaullistes qui auront fini par rallier les centristes libéraux en abandonnant toute idée de dirigisme économique et en succombant à la grande vague libérale

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institutionnelle
, c'est en tout cas l'aggravation du déséquilibre entre président et premier ministre. De Gaulle avait pourtant indiqué en 58 que seule la démission du premier ministre mettait fin aux fonctions d'un gouvernement et qu'en aucun cas un président ne pourrait le démettre faute de quoi aucun gouvernement ne pourrait valablement gouverner. C'est cela qui a été mis en cause par la crise de 72.

Sur quoi il faut décidément revenir. (7)

Conflit entre président et premier ministre

Pompidou, dans la conférence de presse de 72 qui suivit la démission de Chaban et la nomination de Messmer, s'appuyant à la fois sur la souplesse de la constitution et la prééminence de ses prérogatives, insiste longuement sur le fait qu'il n'est pas lié par le vote du Parlement même si évidemment il est amené à en tenir compte. C'est assez dire encore combien il s'agit d'un poids parlementaire allégé qu'il justifie en ceci que le gouvernement tient sa légitimité de sa nomination par le Président et non par une quelconque investiture par le parlement : ce qui effectivement change tout. Le parlement lui confère sans doute les moyens d'agir mais le premier ministre qui n'est, après tout que le premier des ministres - et à ce titre l'abandon de l'intitulé Président du conseil ne saurait être anodin qui signifie explicitement que le premier ministre ne préside rien mais assiste le Président - le premier ministre donc procède exclusivement de la présidence.

Il argue encore de ce que serait une mauvaise solution que d'envisager un gouvernement de législature, non seulement parce que les hommes s'usant, il s'avère nécessaire d'en changer pour réinsuffler de la dynamique dans l'appareil exécutif, mais aussi, et surtout, parce que, durant trop longtemps, un premier ministre n'aurait d'autre alternative que de devenir soit trop puissant et porter ainsi ombrage aux prérogatives présidentielles, soit trop féal et de n'être plus qu'un chef de cabinet - deux solutions que Pompidou place sur le même plan.

Ces deux motifs sont en parfaite conformité avec l'esprit de la Ve et si contradiction on peut supposer entre les deux têtes de l'exécutif, elle demeure entièrement liée à la nature même du régime qui aura fait le pari d'empiler dans un même texte une logique présidentielle et une logique parlementaire que tout a priori oppose.

En réalité, il se trouve une troisième raison, plus délicate, qui semble tenir aux circonstances, mais révèle pourtant un glissement accru sinon vers la prééminence de la présidence, qui était déjà acquise, en tout cas vers l'affaiblissement de la fonction gouvernementale - ce qui n'est ni dans les textes, ni semble-t-il ne fut dans l'esprit du général de Gaulle. Tous les changements antérieurs (démission Debré en 62 et son remplacement par Pompidou ; puis démission de ce dernier et son remplacement par Couve de Murville en 68) semblent bien avoir relevé d'un scenario conçu ensemble et donc avec l'assentiment du Premier Ministre. Ce qui ne fut pas le cas ici : quand bien même Chaban eût d'emblée reconnu qu'il était impossible politiquement à un premier ministre de se maintenir dès lors qu'il n'avait plus la confiance du président, quand bien même les textes le lui eussent permis et ce d'autant plus qu'il venait de recueillir une large majorité à la chambre, il apparaît bien que Chaban tenta dans un premier temps, nonobstant ses déclarations, de se maintenir et ne démissionna finalement que contraint et forcé. Or ceci change tout parce qu'ôte, dès lors, toute apparence d'autonomie entre les deux fonctions. C'est bien l'analyse que Le Monde fera à cette époque, qui n'est pas dénuée de toute espèce d'apparence et, d'ailleurs, c'est bien encore au nom de cette autonomie menacée que Chirac démissionnera en 76 estimant que la présidence ne lui accordait plus les moyens d'exercer ses fonctions dans la plénitude de ses attributions. Depuis 76, les changements de gouvernements se révéleront pour ce qu'ils sont : le fait du prince ! Avec, à chaque fois, un sens politique fort mais une détermination parlementaire nulle.

Conflit entre président et parlement

La crise entre Chirac et Giscard de 76 a ceci de différent que ce n'est pas le président qui la déclenche mais le Premier Ministre. On se trouve ici dans le cas - a priori plus grave - d'un conflit ouvert qui à terme va se traduire par un conflit entre le président et l'Assemblée Nationale. Il faut se souvenir que la chambre est celle élue en 73, sous Pompidou, chambre que Giscard n'a pas jugé opportun de dissoudre quoiqu'elle fût majoritairement gaulliste et pas giscardienne, qu'elle correspondît plus à la majorité présidentielle de Pompidou qu'à la sienne propre. Conflit étrange, quasi suicidaire dans la mesure où il précipita la chute de Giscard en 81, comme si Chirac n'avait pas hésité à pratiquer sinon la politique du pire en tout cas celle de la terre brûlée, conflit révélateur de ce que même une

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constitution solide ne peut garantir de stabilité quand les majorités souffrent de divisions intestines ; conflit riche encore d'enseignements pour aujourd'hui dans la mesure où il montre que si un président peut parfaitement rester en place quoique subissant un conflit larvé avec le parlement, en revanche il ne peut véritablement aller au terme de son programme, de ses projets sans une majorité à sa disposition. L'obligation qui fut faite à Barre, à de multiples reprises, de passer par le 49-3, pour passer en force montre paradoxalement, à la fois la solidité des institutions mais aussi la fragilité de la prééminence présidentielle en cas de conflit lourd avec le parlement - en tout cas l'Assemblée Nationale.

C'est au fond ce qui pourrait arriver à un Bayrou l'emportant en Mai ! Certes, comme il le souligne souvent la constitution offre une arme à deux coups : les législatives après les présidentielles. On voit mal le peuple se déjuger un mois après, certes ; mais on voit mal aussi le paysage bouleversé à ce point qu'il offre une majorité essentiellement centriste avec un appoint de l'ex-RPR.

Quelques leçons à en tirer

- si avec elle se termine la période glorieuse du gaullisme qui, dès lors, et pour plusieurs années, aura perdu et l'Elysée et Matignon, ce n'en est pas fini encore des gaullistes. Et tout le problème est là ! Avec Chirac le parti gaulliste, transformé en machine de guerre à son profit - le RPR - commence une longue guerre de tranchée, une longue et parfois bien tortueuse offensive qui le mènera une seconde fois à Matignon dans un gouvernement de cohabitation et, en 95, à l'Elysée non sans être passé préalablement à la fois par une longue cure d'opposition, inédite pour les gaullistes et une lutte fratricide. Mais sous ces soubresauts, une autre mue se sera opérée, bien plus déterminante, la conversion aux dogmes du libéralisme, aux canons européens ... bref à un renoncement en rase campagne aux dogmes gaullistes.

- une présidentialisation du régime, qui, en réalité commence à ce moment-là, pour ne plus s'arrêter. Ce que Fauvet a parfaitement vu, c'est combien Giscard, en nommant Barre, se privait du classique fusible que chaque président avait réussi à se ménager en la personne du premier ministre. Sans interface avec le parti majoritaire, il n'a ni le premier ministre de sa majorité, ni la majorité de sa politique. Commence alors une longue guérilla qui ne s'achèvera qu'avec le KO technique du parlement. A partir de 76, le président est à la manoeuvre partout, et tout lui est désormais le domaine réservé. Ce mouvement ne s'achèvera plus : Mitterrand laissera peut-être le champ parfois libre à certains de ses premiers ministres mais aucun n'aura plus la marge de manoeuvre, limitée peut-être mais réelle qu'eurent un Debré, Pompidou ou Chaban avant eux. Les cohabitations purent donner l'impression d'un mouvement contraire mais ce fut une illusion : le balancier restait du côté de l'exécutif même si provisoirement il glissait du côté de Matignon.
Chacun imprime sa marque par sa façon de présider mais le mouvement est profond que même l'indolent Chirac ne contrecarrera pas. De ce point de vue, si Sarkozy semblera trancher avec l'immobilisme de la période chiraquienne, en réalité il ne fera que prolonger le mouvement en l'accentuant plus encore et plus rapidement. La récente réforme constitutionnelle, sous couvert de redonner du lustre au parlement, aggravera simplement la stricte séparation des deux pouvoirs. La possibilité pour le président de se présenter devant le parlement, inédite depuis Thiers en 1873 n'en est que le symbole le plus parlant ; la constitution à l'Elysée d'une armada de conseillers formant un gouvernement-bis, la pratique des éléments de langage, la transformation des ministres en simples porte-paroles contribuent ensemble à rendre illusoire la responsabilité du gouvernement devant le parlement, et, franchement inutile, toute motion de censure qui ne pourrait plus désormais que s'en prendre au lampiste.
Etonnant Fillon, de ce point de vue, qui sera parvenu, en avalant bien des couleuvres, à passer entre les mailles du filet ; à sauver l'année dernière son gouvernement alors que tout le monde attendait Borloo, mais qui n'y sera parvenu qu'en faisant constamment profil bas et en jouant le félin attendant besogneusement que la proie soit prête. Au fond, chacun attend l'échéance ! C'est ceci, sans doute le meilleur signe de la présidentialisation : il n'y a plus qu'une seule échéance ; toutes les autres élections importent peu.

- la division de la majorité apparaîtra très vite comme un luxe que le régime ne peut se permettre, et, particulièrement, comme la cause principale de la défaite de la droite en 81. La leçon sera tirée - pas tout de suite - mais il n'est finalement pas étonnant que très tôt un Balladur intercéda pour la création d'un parti unique à droite et que ce fut la première réaction de Chirac après sa réélection en 2002 en dépit de la disproportion de la mesure avec le coup de tonnerre du 21 Avril. Le raisonnement était à courte vue, comme souvent avec Chirac, mais il correspondait cependant à la pleine conscience que la droite ne pourrait se maintenir désunie face à la fois à l'extrême-droite et à la gauche. Dès lors ne régime s'installe dans sa logique présidentielle : il n'y a plus qu'un président et un parti unique ; l'effondrement du PC réalisant le même processus à gauche, la seconde condition d'un régime présidentiel semble alors réunie : le bipartisme.

- le bipartisme, pourtant, correspond mal à l'histoire française qui distribua toujours ses sensibilités à gauche entre girondins et jacobins ; à droite entre légitimismes, parfois césariens, et orléanistes. Sans être grand devin il y a fort à parier que l'UMP ne survivra pas à 2012, soit qu'elle se transformera après dissidence des centristes en cas de victoire de Sarkozy, soit qu'elle éclatera en cas de défaite, avec un centre Modem tentant de tirer sa part du gâteau. A gauche, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que les divisions internes du PS durant les années 2002/2012, d'une part, la reconstitution à sa gauche de cette sensibilité qu'incarnait autrefois le PC seul (qui n'avait pas disparu mais s'était dispersée en attendant sur l'extrême-gauche voire les écologistes) sous l'égide du Front de Gauche en termine avec l'hégémonie du PS. L'existence, désormais évidente d'une extrême droite aux allures policées ou non qu'importe, mais recueillant entre 15 et 20% des voix selon les circonstances, achève définitivement le rêve de ce bipartisme à la sauce américaine, britannique voire allemande.

Au bilan

C'est en ce sens que le régime semble être à la croisée : il a poussé au plus loin dans la direction de la présidentialisation qui correspondait parfaitement à la technocratisation de ses élites en même temps qu'avec celle imposée par l'idéologie libérale. Mais il sera resté incapable de créer durablement l'autre pôle constitutif de tout régime présidentiel : un bipartisme durable, pérenne et correspondant à la sensibilité politique de la nation.

Je ne vois pas comment le régime pourrait aller plus loin dans la voie de la présidentialisation sans constituer ce bipartisme dont il semble incapable ; je le vois mal pouvoir concentrer plus encore les pouvoirs au sein d'une même personne - c'est pour cela que je ne m'étonne pas de voir refleurir les souhaits d'une refonte constitutionnelle.

Reste à en penser les modalités, mais aussi la possibilité. Ce pourquoi il faut revenir sur le rôle des partis politiques.

 

 


6) sur les pouvoirs présidentiels, à regarder ce docu de l'INA :

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7) sur ces deux crises on relira avec intérêt ces articles du Monde :

- Fauvet : Conflit institutionnel

- Fauvet : le fusible

- Ferenczi : la démission de Chaban

- Barillon : Dérapage