Palimpsestes

Présidentielles 2012
Le discours de Hollande au Bourget

Un discours qui ne manquait ni de panache ni de lyrisme même si, ça et là Hollande étonnamment buta sur les mots, lui dont pourtant l'art oratoire est loin d'être médiocre. Un lyrisme qu'épingla évidemment les archontes de l'UMP s'indignant aisément de ce que la France n'avait pas besoin d'incantations mais de solutions concrètes. C'est oublier, mais c'est de bonne guerre, que le discours d'investiture de Sarkozy en Janvier 2007 ne manquait lui non plus ni de panache ni de lyrisme où l'on retrouvait la patte de Guaino.

Un discours apparemment plutôt bien perçu par la presse et les militants. Celui qui s'était mis en retrait depuis les primaires, à mon sens intentionnellement, quitte à décevoir ses partisans et à laisser paraître des cafouillages, se présente désormais comme ayant pris la mesure de l'enjeu et avoir revêtu le costume.

Comme souvent, c'est après tout l'un des ressorts les plus classiques du discours de tribune, tout s'organise autour d'anaphores permettant à l'orateur à la fois de construire un crescendo mobilisateur et d'égrener ses thèmes. Ce qui est intéressant ici, c'est de considérer à la fois les trois thèmes ainsi repris et à quoi ils sont associés.

Présider

Habile trois fois de commencer par ceci, non seulement parce que c'est sa capacité à devenir président qui fut sans cesse remise en question par la majorité - mais parfois aussi par son propre camp. Habile une seconde fois parce que cela lui aura permis d'introduire, avec tous les marqueurs de gauche, la nécessaire confession intime que tous ses stratèges en communication lui avait conseiller de présenter ; habile enfin parce que cela lui aura permis de répondre implicitement mais de manière tellement claire aux reproches adressés par le Front de Gauche et par certains dans son propre camp, d'avoir un discours trop centriste ; pas assez de gauche.

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- La France présentée comme l'enjeu central

- l'intérêt général

- neutralité de l'Etat

- laïcité

- refus du pouvoir personnel

- affirmation du parlement

- démocratiser les institutions

- refus des privilèges, indépendance de la justice

- rassemblement

- valeurs de la France : liberté, droits de l'homme, attachement à la diversité

- la puissance de 'Etat au service du citoyen

Tous ces items font partie du génôme de la gauche, pas toujours exclusivement, mais par histoire autant que par projet. Les réaffirmer ici ne coûte pas grand chose et pourrait aisément être présenté comme de simples ornements de discours. En réalité, il n'en est pas un qui ne soit un réquisitoire implicite contre le président sortant qu'il ne nomme pourtant jamais ; en réalité chacun pris isolément implique autant de décisions à prendre demain ou de réformes à accomplir mais surtout chacun se conforme à la tradition politique issue de la Révolution : asseoir son action sur des principes hautement proclamés et en faire le critère d'évaluation de l'action future.

Bien sûr évoquer la laïcité, le refus de tout pouvoir personnel, le refus de tout privilège ne peut que flatter un public dont tout indique qu'il attendait cela : le rappel de la liberté, de l'égalité et de la fraternité comme un cadre irréfragable. Mais c'est en même temps, parce que ces valeurs sont celles de la France, et non pas simplement de la gauche, en appeler au rassemblement, au delà de ses terres conquises, en appeler au réveil, au sursaut de la France. Tout à l'encontre d'un Sarkozy qui n'en appelle q'au sang-froid et à la résistance ; ou d'un Bayrou qui en appelle à l'effort et au sursaut.

 

L'égalité

Reprise elle aussi onze fois, sauf erreur, elle est associée à l'âme de la France et à toute son histoire

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- égalité devant l'instruction

- lutte contre les aristocraties et les privilèges

- associée à la justice et la solidarité

- devant la retraite, la santé, le logement,

- parité homme-femme

- devant la sécurité (mise au même niveau de la délinquance urbaine et financier)

- devant la culture

On remarquera ici encore combien Hollande par ce jeu d'associations relie ses propositions à ce qu'il y a de plus profond dans notre culture politique : les valeurs de la République son histoire et son rayonnement. Au delà des mesures que ceci impliquera demain, et comme pour éviter ce que cette anaphore pouvait supposer de catalogue, on trouve un appel assez habile finalement aux valeurs. Cet homme qui se voulait normal, se révèle celui de la norme. Il parle avec un discours d'homme d'ordre et de morale mais le fait sur le registre de la gauche. Qu'il y ait ici aussi comme un reproche implicite au dévoiement du précédent quinquennat, une mise en perspective avec l'insolent cynisme avec lequel la majorité sortante aura géré les affaires, est évident mais il ressort bien que c'est ici le thème central de la campagne de Hollande : en se plaçant sur le terrain des valeurs, il indique au pays qu'il s'est fourvoyé ; que le chemin pris n'était pas le sien ! Il indique que le parcours n'est pas celui d'un gestionnaire qui irait déconstruire ce que son prédécesseur aura fait, ou en corriger les dégâts collatéraux ; il signifie au contraire que la lutte pour l'égalité reste le devoir commun et combien rien n'est plus étranger à la culture républicaine que cette antienne libérale qui au nom de la liberté, tue l'égalité et épuise l'Etat ; qui au nom de la responsabilité et du mérite laisse se constituer des féodalités, et laisse se creuser sans rien y vouloir faire, le fossé des inégalités.

De ce point de vue, l'anaphore est remarquable qui s'adresse à la fois au peuple de gauche et à ceux des républicains - notamment les centristes - qui ne désavouent pas, au nom de la modernité, la modernité de l'idéal républicain, ne se reconnaissent pas dans le modèle anglo-saxon qu'on aura essayé de nous vendre.

 

Le rêve

La France n'est pas un problème, la France est la solution

C'est, me semble-t-il, la phrase la plus réussie de ce discours parce que, derechef, il met la France au centre de ses préoccupations, qu'il disqualifie par avance cet étrange sentiment de culpabilité et d'infériorité qu'on aura instillé au modèle français par rapport au modèle anglo-saxon, allemand ; en réalité libéral.

Quadrature du cercle évidemment que de parler de rêve quand on aura préalablement indiqué combien la situation était grave, la dette immense, combien chacun se devra de faire un effort. Mais parce que ce rêve est intimement associé au récit républicain qu'il s'agit de reprendre, de continuer à porter plutôt que de l'abandonner, il lui donne tout le réalisme des progrès antérieurs que la République aura portés. C'est bien sur le mode de la mémoire et du récit que Hollande en appelle à la République, utilisant tous les ressorts du storytelling, récit qui exhausse ses auditeurs autant que le narrateur, qui emporte l'enthousiasme autant que l'espérance, récit qui s'appuie sur la grandeur passée pour fonder la future.

Le rêve ici est associé à :

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- l'espoir de vivre mieux dans un monde meilleur, au progrès

- l'émancipation comme fruit d'une société de liberté
égalité fraternité

- la marche républicaine vers l'égalité humaine

- l'identité même du pays, au delà de la gauche et de la droite

- la confiance dans la démocratie

- la promesse de la dignité humaine

- aux valeurs universelles : solidarité, justice et égalité et pas seulement du travail et du mérite

- respect de la diversité

Dès lors, le rêve n'est plus cette futile divagation d'irresponsable, ou bien encore l'imposture de celui qui n'oserait dire la vérité aux électeurs et lui préférerait la démagogie sereine des promesses sans lendemain, mais se révèle, au creux même du politique comme le point de départ de ce qui constitue le fait politique : la volonté sur laquelle il a insisté à plusieurs reprises. Le rêve devient celui de cet homme qui tout au long de son parcours dit non et tente d'inventer face à la nature, un monde qui lui ressemble. La référence à Shakespeare n'est pas anodine non plus que celle faite, fugacement, à Mendès France. Les deux ensemble lui permette de jouer à la fois sur le registre de la rigueur, du réalisme et sur celui, politique, du projet, de l'ambition et de l'espoir. Lui permettent de jouer sur les deux registres de ce peuple si contradictoire qui sait être si conservateur et s'offrir la grandeur de si cruciales colères révolutionnaires.

Car c'est bien de ceci dont il s'agit ici : les items associés au rêve, en font un thème nationaliste par excellence en même temps que républicain. Car il n'est évidemment pas un hasard du tout si Hollande tient ici à rappeler que ce rêve n'est pas que celui de la gauche mais celui de tous les républicains ; pas un hasard du tout s'il termine son discours par la France.

De ce point de vue ce fut effectivement un discours de présidentialisable.