Elysées 2012

I/ Constitution II: Les crises de la Ve III/ Une réforme possible ?
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Régime parlementaire ?

Des partis

La clé de la compréhension de l'esprit de la Ve tient évidemment dans la méfiance absolue que de Gaulle entretenait à l'égard des partis où il voyait à la fois la source de l'instabilité gouvernementale, de l'affaissement de l'Etat et de la division nationale.

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Enoncer comme il le fit que la grande nouveauté des institutions résidait dans l'émergence de la majorité nationale et de l'institution du président, il faut le prendre au mot : l'une comme l'autre sont, dans ce dialogue direct qu'ils entretiennent l'une avec l'autre, autant de moyens de court-circuiter la représentation parlementaire, quand il est nécessaire, et les partis - toujours.

On se situe donc, explicitement, aux antipodes du modèle républicain tel qu'il présida aux destinées de la France entre 1870 et 1958, à l'intermède vichyste près.

Ce modèle c'est celui du parlementarisme c'est-à-dire d'un parlement bi ou mono-caméral source de la légitimité démocratique, qui investit l'exécutif, le contrôle et qui vote la loi. Ce système qui ne cesse de se méfier de tout exécutif fort, s'accommode d'une présidence faible, symbolique et récuse par avance comme attentatoire aux libertés tout exécutif qui prétendrait réunir sur sa tête l'essentiel des pouvoirs.

La grande faiblesse de ce système aura assurément tenu tout au long de la IIIe et de la IVe à un éclatement excessif des partis et à l'impossibilité en conséquence de former des majorités stables, que la IIIe n'aura connue que dans les années 80 avec Ferry, 90 avec Combes, 20 avec Poindre et la IVe jamais au moins qu'on pût considérer qu'un gouvernement se prolongeant au-delà de deux années fût une exception, voire un miracle.

Le mode de scrutin

On peut assurément reprendre l'argument utilisé par Mendès France, avançant que si on avait poussé le curseur un peu trop loin du côté du législatif sous les IIIe et IVe, on l'aura exagérément tiré du côté de l'exécutif sous la Ve.

D'aucuns estiment d'ailleurs, et Mélenchon en fait partie, qu'il aurait suffit qu'on instituât le scrutin majoritaire à deux tours pour que fût réglée la question de l'instabilité sous la IIIe et IVe, et qu'on instituât au contraire la proportionnelle sous la Ve pour compenser l'hyperbole de l'exécutif. Au point de vanter le mode de scrutin de 86, quitte à le moduler de majoritaire pour s'assurer de la stabilité.

L'argument vaudrait à coup sûr si l'on ne se souvenait que la IIIe connut assez peu le scrutin proportionnel et que le majoritaire ne suffit pas alors à assurer la stabilité ministérielle. Si l'on ne se souvenait encore que si le mode de scrutin de 86 permit d'atténuer la défaite de la gauche, et de permettre une représentation parlementaire à l'extrême-droite, il n'empêcha nullement le primat de l'exécutif durant cette première cohabitation non plus qu'il ne permit réellement le renforcement du parlement.

Il est donc, de ce point de vue, insuffisant d'espérer trouver dans le mode de scrutin le remède aux excès de quelque régime que ce soit, même s'il est sans conteste que le régime gagnerait assurément à proposer une représentation plus équitable des forces politiques et qu'à bien y considérer ce soit vraisemblablement du côté d'un scrutin proportionnel à dose majoritaire qu'il faille chercher la solution que demandent non seulement les centristes et les écologistes qui y ont intérêt mais même, désormais, quelques voix à droite.

Les partis : des machines électorales

Il n'est certes pas difficile de montrer que désormais les partis se sont vidés de toute substance : ils ne sont plus vraiment des lieux de débats ; ont souvent délégué à des clubs ou officines extérieures la fonction de machine à idées à projets ; ils ne sont même plus le lieu de désignation des candidats ( les primaires remplissent désormais cette fonction) : ils sont devenus des machines de notables, des clubs d'élus et de grosse machine à recueillir les finances et les bras pour mener les lourdes campagnes électorales.

Traditionnellement intermédiaires, relais entre le peuple et la représentation nationale, les partis, qui n'ont longtemps eu aucun statut juridique en France ni aucun moyen clair de financement, qui se sont constitués finalement assez tard dans notre histoire (début du XXe) peinent manifestement à se trouver une voie qui les légitime.

La constitution ne leur reconnaît que celui de contribuer à l'expression de la volonté nationale : même ceci leur devient difficile. Les relais existent ailleurs : au delà de la presse en tant que telle, la télévision aura contribué à rapprocher la nation de ses hommes politiques - pour le meilleurs et souvent pour le pire - leur ôtant toute dimension sacrée ou même seulement toute solennité.

Vertus et vices cachés de la Ve

Ce qu'il y a de profondément enraciné dans la culture de gauche tient finalement à trois principes pas toujours clairement conciliables :

- un humanisme chevillé au corps qui fait considérer non seulement le peuple comme la seule source de souveraineté possible mais le citoyen comme celui en qui il faut avoir résolument confiance et qu'il importe de convaincre plus que de séduire.

- une méfiance, assez rousseauiste finalement à l'égard de tout pouvoir qui tend naturellement à s'interposer comme volonté particulière face à la volonté générale ce pourquoi il importe non seulement de ne pas confier de pouvoir sans prévoir de solides contrôles et contre-pouvoirs, mais surtout d'entendre ce pouvoir comme la résultante d'une collégialité et de débats.

- le vote n'est pas une délégation simple de pouvoir qui impliquerait que le citoyen rentre chez lui et cesse de s'occuper des affaire publiques mais au contraire est plutôt le premier acte d'un engagement dont les autres seraient la participation à la vie publique que ce soit sous la forme des partis, des associations etc.

A ce titre, effectivement, rien n'est plus conforme à l'héritage républicain qu'une assemblée devant quoi le gouvernement serait responsable.

Toute la question demeurera toujours de l'équilibre des pouvoirs - en réalité d'un dispositif qui empêche l'un de phagocyter ( pour utiliser la formule de Mendès France) l'autre. Or, manifestement, si sous la IVe c'est le législatif qui aura étouffé l'exécutif au point de le rendre impuissant, sous la Ve ce sera bien l'inverse, on l'a vu, avec un parlement qui, en dépit de certains rééquilibrages, n'aura cessé de voir son rôle amoindri - pour ne pas dire dégradé.

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Il faut entendre les arguments utilisés par Mendès France - qui est loin d'avoir été un extrémiste - contre le régime gaulliste ; un Mendès qui préféra la fidélité aux principes parlementaires plutôt que de se soumettre à la logique gaulliste. Des deux arguments qu'il a toujours utilisés, si le premier - l'argument de la crise algérienne - est plutôt circonstanciel mais non dénué de pertinence (après tout même l'aura, le charisme et l'autorité de de Gaulle n'auront pas suffi à régler vite la question mais durent se jouer de pas mal de ruses, de faux-fuyants et de reculades pour parvenir au bout de quatre ans à une solution dans le sang et les larmes qui pour souhaitable qu'elle fût ne se sera pas non plus réalisée dans les meilleures conditions possibles) c'est surtout le second qu'il faut entendre et qui garde sa force.

L'argument de la technique

Le second reproche concerne bien l'organisation des pouvoirs dont il estime qu'au contraire de les rééquilibrer, la Ve ne faisait que reproduire, mais à l'inverse, la monopolisation du pouvoir mais cette fois-ci au profit de l'exécutif, mais encore entre les mains d'un seul. Le contraire de la démocratie, dit-il !

L'argument traditionnel utilisé pour justifier ce type d'organisation est toujours le même : indifféremment et parfois ensemble, celui de la crise, de la guerre par exemple, qui seraient suffisamment graves pour justifier la concentration des pouvoirs ; celui de la complexité croissante des affaires qui justifierait qu'on confiât le pouvoir aux spécialistes.

Ce n'est rien d'autre que le grand argument qui présida à la naissance de ce qu'on nomme la technocratie, pensée politique qui naît dès les années 1825, dont on trouve trace éminente par exemple chez A Comte, et qui trouve évidemment aujourd'hui, avec la main-mise de l'économie et de la finance sur le politique, des expressions fortes et évidentes. Ce mouvement, dont il faudrait ici faire l'histoire si ce n'était trop long, tente dès Saint Simon d'asseoir le pouvoir sur le savoir et le savoir-faire et donc les sciences et les techniques reprenant l'antienne platonicienne. Justifiée par les soubresauts inévitables de la démocratie balbutiante qui s'inventa à partir de 89 en même temps qu'elle tentait d'avancer, justifiée aussi par la médiocrité souvent flagrante du personnel politique, la pensée technocratique n'a pas de difficulté à considérer que les affaires du monde sont devenues trop complexes, trop enchevêtrées aussi, pour être confié à la seule logique du grand nombre, non plus qu'à soulever le problème aujourd'hui évident, d'un pouvoir politique de toute manière rogné, rongé par la nécessité que tous auront de s'appuyer sur l'avis d'experts et de spécialistes de tout poil.

Le savoir contre la liberté ! au motif, comme l'écrivait Comte qu'il n'y avait pas de liberté d'examen et de conscience dans les sciences mais seulement l'observation des faits et la soumission aux lois que la démarche scientifique permet de dégager.

Il faut se souvenir que le fascisme lui-même, dès lors que l'on relit Maurras ce devient évident, est un mixte de ces deux arguments puisqu'il se joue à la fois de la nécessaire compétence et d'un charisme - souvent d'origine militaire - du détenteur du pouvoir. N'oublions pas, à ce titre, que de Gaulle est à la fois un militaire et idéologiquement un maurrassien : même s'il ne fait aucun doute qu'il fut démocrate et éminemment respectueux de la démocratie, on peut néanmoins avancer qu'en promouvant un pouvoir fort, individuel, assis sur le charisme, il se situe plus volontiers de ce côté-ci que de l'autre ; qu'il reste un démocrate mais ne fut en réalité jamais un républicain.

De la distinction entre démocratie et république

Le fossé est ici : par notre histoire, sans doute, notre culture est républicaine et pas seulement démocratique et l'on aurait tort de n'y considérer que de simples synonymes. En tout cas, un des éléments qui fonde assurément la culture de gauche de celle de droite tient à ceci : la gauche est nécessairement républicaine ; la droite a parfois tendance à n'être que démocrate.

Intrinsèquement liée à l'idée de république, celle que le politique est certes affaire de projets, et de volonté pour les réaliser, mais, surtout, qu'elle est affaire de débats, de partage. Qu'il ne saurait y avoir de projet individuel et que le politique est affaire de collectif.

Que le débat ne se situe pas seulement entre élus, mais aussi avec le peuple, d'où la nécessité de relais comme les partis ou les associations, ou les syndicats est une évidence ; qu'il faille établir le dialogue aussi avec les experts, spécialistes et autres administrations, est une évidence mais où ce débat-ci ne doit jamais prendre le pas sur ce débat-là !

Rien à ce titre n'est plus révélateur de la pensée de droite que cette méfiance à l'égard des partis, exclusivement perçus comme des parasites, venant invariablement troubler la relation entre le peuple et le chef ! Rien, au reste, n'est plus étranger à la gauche que ce culte du chef ! du guide ! De Gaulle avait sans doute raison de considérer que les partis ne pouvaient conduire les affaires de la Nation : ils ne le peuvent assurément pas seuls ni sans contre-poids faute de quoi leurs divisions finissent par l'emporter. Parce que, sans doute, il est le lot de tout intermédiaire d'un jour parasiter la relation qu'il est pourtant supposé établir et maintenir. Parce que c'est sans doute ici la loi invariable de l'entropie. Mais ceci n'est incontournable que lorsqu'on envisage le politique comme un dialogue privilégié et quasi-sacré entre le peuple et un thaumaturge ! mais parfaitement contournable sitôt que l'on envisage le politique plutôt comme la souveraineté d'un peuple s'exerçant via ses mandataires mais avec ses mandataires, d'un peuple présent et actif, d'un peuple que l'on écoute en même temps que cherche à convaincre, un peuple dont on favorise l'action dans toutes les sphères de la vie sociale.

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Ce qu'il y a de profondément républicain c'est la conception du politique comme un dialogue et donc comme une rationalité qui s'exerce par le biais du dialogue et ce à tous les niveaux de la vie publique. Rien n'est plus révélateur que ce passage où Mendès France témoigne de cet humanisme profond qui lui fait éprouver confiance en l'homme et donc dans le souverain populaire au point de se refuser à toute démagogie, à toute séduction pour lui préférer le discours souvent difficile de l'effort, de la difficulté, de la mobilisation. Il est vrai que Mendès se fit une spécialité de ce discours de la rigueur et de l'effort au point de paraître plus Pythie que réellement acteur. Il est vrai aussi, loi de genre pour cette élection où la crise financière occupe toute la place, que presque tous les candidats en appellent à l'effort, au refus de toute promesse irréaliste, et se drapent ainsi sans trop d'inconvénient d'autant de vertus que de sérieux.

Il y a une différence de taille - mais c'est toujours la même - qui tient à la posture que l'on se donne à droite d'un sauveur qui protège et demande de fournir des efforts et de faire preuve de sang froid, à résister, quand à gauche on mobilise, participe et débat.

Précédent historique

Peut-on pour autant imaginer un retour à une constitution parlementaire ? Il faut rappeler quand même que la question s'est déjà posée à la France dans l'immédiat après-guerre quand, après le départ de de Gaulle en 46 on proposa en référendum une constitution parlementaire, monocamérale, à tout prendre furieusement jacobine qui portait la marque d'un équilibre politique où SFIO et PC dominaient. Mais, fait inédit, cette constitution a été refusée. Certes, les circonstances ont évidemment changé depuis 46, il n'est pas certain pour autant que les français soient plus enclins aujourd'hui qu'il y a 65 ans à en accepter les augures. D'autant qu'avec toutes ses faiblesses, la constitution a fait preuve de sa souplesse et réserve, sans doute à cause de sa double inspiration présidentielle et parlementaire, la possibilité de lectures, et surtout de pratiques, très différentes.

Il y a donc tout lieu de penser qu'il soit plus aisé, demain, par une pratique adéquate et une réforme bien pensée et préparée, d'aménager dans un sens plus parlementaire une constitution qui a fait ses preuves, plutôt que d'en préparer une autre.

Sans doute faut-il relire R Rémond et tenter de comprendre comment et pourquoi la réforme précipitée du quinquennat aura aggravé la dérive présidentielle, pourquoi toucher à la constitution ne saurait être qu'une oeuvre mûrement réfléchie, préparée, savamment expliquée tant il reste vrai qu'il n'est pas de constitution qui vive qui ne recueille un vaste assentiment.


sur la question voir le site de l'Assemblée Nationale

voir les différents vidéos et lire quelques textes de Mendès France