Elysées 2012

Curieuse une ...

Celle du Monde ce soir, faisant état des confidences de Sarkozy quant à son avenir en cas de défaite, ce qui était aussi une manière, nouvelle pour lui, d'en accepter sinon l'augure tout au moins l'éventualité . Et les autres médias de reprendre l'info, les députés d'y aller de leurs réactions, les politologues de leurs commentaires. L'information vaut ce qu'elle vaut ... sans doute pas grand chose mais on imagine mal que ces confidences soient impromptues, qu'il n'y ait pas ici comme une stratégie de communication qui, si elle est bonne, doit bien vouloir en même temps courir plusieurs lièvres à la fois :

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- l'affirmation d'une humanité ordinaire non pas tellement, non plus vraiment en tout cas, hantée par le politique, mais capable de se retirer et de mener une vie normale, capable de quitter la politique.

- le réalisme politique aussi de quelqu'un qui saurait lire, et c'est le moins, les contraintes d'une conjoncture et qui aurait d'autant plus de courage et d'abnégation à partir au combat qu'il saurait ce dernier incertain.

- un test visanr à mesurer l'onde de choc que produirait ou non la perspective d'un vide provoqué par son absence soudaine, lui qui aura occupé, et de quelle manière, tout l'espace politique depuis dix ans.

- une stratégie pour resusciter le désir, autant le sien d'ailleurs, que celui de ses troupes à son endroit. Ce qui est une manière implicite de démarrer sa campagne qui peut laisser à penser qu'il ne tardera plus longtemps à se déclarer explicitement.

En soi, ne l'oublions pas, ce n'est pas la première fois qu'il évoque la fin de sa carrière ; il avait même fait, avant même d'être élu, la confidence à D Jeambar qu'il ne ferait qu'un seul mandat et faire du fric après ; ne l'oublions pas encore, depuis la réforme constitutionnelle un second mandat sera de toute manière le dernier. Cet homme, quoique jeune encore, est confronté à la fin d'une vie, avec cette redoutable incertitude que ce peut être dans trois mois.

On peut seulement s'amuser d'une telle déconnexion par rapport au monde réel qu'il en vienne à évoquer une vie normale comme celle d'une semaine commençant le mardi et d'achevant le jeudi !

Ce qui m'intéresse ce n'est pas ici l'éventuelle rouerie de communiquant mais plutôt, à la fois, ce syndrome du second mandat qui tourne parfois à la malédiction ; c'est encore cette incapacité à pouvoir comprendre qu'après avoir été au coeur de l'événement on puisse subitement ne plus être dans le vent de l'histoire ; qu'après avoir été adulé on puisse se voir objecter une telle détestation.

On ne peut pas ne pas penser à Giscard d'Estaing et de ses étranges adieux en 81. A cette chaise vide qu'il laisse en nous tournant le dos, s'en allant. Tous alors nous ressentîmes ce que pouvait avoir de provocant son bonne chance , mais aussi ce que cette mise en scène de départ, mais du vide surtout, pouvait avoir de pathétique. Variation autour du après moi, le chaos, tout ceci révélait l'incompréhension hautaine de qui se croyait irremplaçable homme de la situation.

Le pouvoir est décidément chose délicate, étrange et bien dangereuse. Et l'on devine combien il doit être douloureux, après avoir été au centre de tout, victime de l'adulation mais donc aussi de la flagornerie courtisane, subitement de n'être plus rien. Dans un pays comme le nêtre, où prévalent des carrières politiques incroyablement H Schmidt longues (Mitterrand Chirac) et le toujours d'actualité cumul des mandats, des profils comme ceux de Giscard toujours vivant après une carrière brillante et précoce de 1960 à 81, mais vide depuis 30 ans atteste de la vanité de toute carrière politique. Des de Gaulle ou Mitterrand eurent peut-être de la chance de nourir vite après la fin de leurs parcours. Et sans doute peut-on préférer une icône comme celle de H Schmidt qui, à 90 ans, écrit et ne répugne pas à jouer les sages à l'occasion ... 1

autour du pouvoir

Mais derrière ces destinées individuelles qu camouflent mal ce qui peut se nicher de mégalomanie, parfois douce, souvent furieuse, sous toute ambition politique demeure, comme pour un acteur qui tarderait trop à faire ses adieux à la scène, l'incontournable angoisse du mandat de trop.

Les seconds mandats présidentiels, a fortiori lorsque ce furent des septennats et quoique jusqu'à la IVe ce fut plutôt une magistrature symbolique, furent tous interrompus. Mitterrans étant le seul a faire deux septennants complets quoique chacun fût écourté par deux ans de cohabitation.

Si le premier ne manqua ni de panache, ni de réussite ; ni de profonds bouleversements ni de réelles innovations, le second mandat de de Gaulle fut poussif et pour tout dire, raté. Quand au second de Mitterrand qui s'acheva dans le sordide et le morbide, il fut à proprement parler inutile. Le modèle de Cincinnatus évoqué par Mélenchon est aussi séduisant que peu approprié : remarquons simplement cette constante dans notre histoire qu'est la défiance telle à l'égard du pouvoir qu'on ne l'imagina jamais autrement que comme devant être limité dans le temps, comme dans son étendue. Le quinquennat vient de là, en dépit des dérives présidentielles paradoxales qu'il induisit ; le principe même du contrôle parlementaire aussi.

Le grand acteur de l'histoire reste celui qui sait conjuguer les passions individuelles avec la grande marche rationelle de l'histoire : nul doute que cette conjonction est rare, presque miraculeuse ; nul doute aussi qu'elle soit fugace. De Gaulle en 65 est un rempart, il n'est déjà plus une espérance ; Mitterrand en 88 aussi quoiqu'ayant affadi considérablement son propos sous le refrain rassembleur de Génération en excipant la menace d'un état partisan et clanique (l'état RPR) ; Chirac eût-il été réélu sans le 21 avril ? peut-être mais en rappelant en tout que que son premier mandat fut écourté par une cohabitation de cinq années.

On ne peut que demeurer rêveur devant l'incroyable écart entre l'hyperbole des ambitions et la modestie des traces. La tragédie gît ici aussi : on ne saurait sans doute se hisser aux cîmes qu'avec vette once de mégalomanie qui faisait de Gaulle parler de lui à la troisième personne ; on ne saurait l'exercer qu'avec un rempart solide d'humilité devant sa vacuité. Le pouvoir décidément a quelque chose de la quadrature du cercle.

Les fins de règne sont toujours maussades, parfois tragiques, souvent sinistres ; décidément. De comparer simplement les espérances chantantes des prémices d'avec les ressentiments menaçants des crépuscules, comment ne pas s'étonner devant la fascination toujours exercée par un pouvoir pourtant si illusoire, si fragile, si ingrat ? comment ne pas songer à Girard qui permet peut-être de mieux comprendre la cohérence anthropologique d'une présidentielle au suffrage universeil qui n'est après tout que la version moderne, symbolique sans doute mais pas si aseptisée que cela, du sacrifice antique ? Le peuple assemblée, confus, la multitude en crise déchirée par un conflit mimétique se trouve un bouc émissaire qu'elle va sacrifier, une multitude dès lors réunie dans sa détestation commune de l'émissaire ; une multitude bientôt divisée à nouveau qui devra demander recommencer. Que demain, après une période plus ou moins longue de purgatoire, le supplicié retrouve grâce aux yeux de l"histoire et soit en quelque sorte sanctifié ne fait que corroborer le processus. De Gaulle fait désormais figure de modèle même par ceux qui s'y opposèrent ; nul ne s'aventurerait à pourfendre la figure mitterrandienne ...

Mais c'est assez suggérer que les adversaires en réalité sont des doubles. Les grands le savent d'emblée et font avec ; les petits en souffrent. Il n'est de grands que par la dignité de la sortie.

Parce qu'avec le pouvoir il n'est d'autre choix qu'entre la tragédie ... et la farce !

 

 

 

 


1) Libé narre ce soir les différents parcours des anciens

2) lire par exemple la référence à la fois nostalgique et pathétique à l'histoire que fait Mitterrand à quelques jours de sa fin de mandat