Elysées 2012

Quelques petites réflexions sur le cas Mélenchon

L'homme est passionné, il le reconnaît lui-même et les journalistes ne se font pas prier pour jouer sur ce registre et le pourfendre, critiquer ou au moins l'interpeller sur son mode oratoire, ses mots - plutôt d'ailleurs que de le faire parler sur son programme.

D'où quatre réflexions

Personnalisation

C'est un des effets inévitable de l'élection au SU de la présidence de la République ; c'est sans doute aussi un effet de la presse, habituée à rechercher l'événement, le scoop retraduit en people : tout ceci conduit invariablement à déplacer le focus du programme au candidat.

On est à l'inverse ici d'une démarche démocratique, on frôle la tentation plébiscitaire qui conduit à solliciter non pas l'adhésion à un projet et l'appel à la participation à ce projet collectif, mais plutôt la confiance en un homme, providentiel en cas grave, bon gestionnaire en période calme, qui conduit inéluctablement le politique à se substituer au peuple et à le renvoyer dans ses foyers.

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De ce point de vue le désir de revenir à un authentique régime parlementaire, désir qui vient de loin et fut toujours le modèle de la gauche jacobine, plutôt qu'un régime présidentiel ou hybride comme celui de la Ve où elle voit tous les dangers. Et Mélenchon n'a pas tout à fait tort quand il relève combien cette hyperprésidentialisation a tendance à les rendre tous fous !

Parler cru

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Bon client, indéniablement, pour les médias, Mélenchon a le verbe haut, fort souvent, cru parfois, n'hésitant pas devant un bon mot, avec une passion incroyable qui détone fortement avec le parler calme et expert de pratiquement tous ses concurrents.

La passion d'abord, qui donne à son phrasé une puissance, une force mais qui en même temps épuise vite. On est aux antipodes ici de ce qu'on a appelé à une époque le politiquement correct tant dans la forme que le contenu et si, d'ailleurs, il y a cohérence dans son propos ceci tient précisément en la parfaite harmonie entre les mots d'ordre, le programme et l'invective d'une part, et la pulsion forte et avouée.

Toute la question, ici comme ailleurs, tient en ce point étrange de jonction, où trop de communication tuerait la communication, où, ici, précisément ce serait la passion évidente de sincérité qui finirait par cacher la forêt - celle du programme, celle des idées. Et le fait que les journalistes, ce soir-là, l'aient plus interpellé sur ceci que sur son programme, est révélateur du fait.

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Il n'est pas de réponse à cette question, sur cette savante alchimie qui sait relier la sincérité du propos - qui est quand même l'essentiel - avec les règles du bien parler, de la rhétorique qui est recherche de l'efficacité du propos. Il est un passage particulièrement précieux, de ce point de vue, où Mélenchon parle de culture, rappelant qu'elle consiste aussi dans l'héritage de l'histoire, mais encore dans la technique oratoire qui est importante, mais surtout où il se donne comme devoir, en tant que porte drapeau d'un courant et du peuple, de faire de son discours un symbole et, en réalité une incarnation.

Je lui donne un visage, je lui donne des mots, je lui donne un programme

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Je ne saurais trop oublier ce qu'Hugo disait à propos du génie - 95% de transpiration, 5% d'inspiration : Pujadas se révèle pour ce qu'il est - un journaliste - condamné qu'il est de ne scruter que les effets de discours, noyé qu'il est dans cette mode insane des éléments de discours au risque de formuler la remarque la plus absurde d'inculture qui se puisse. Vouloir opposer ainsi qu'il le fait les bons mots, assimilés à des postures, ou son art oratoire, assimilé à de la simple imitation, et la sincérité du propos est particulièrement étrange - et douteux ! qui relève d'une particulière ignorance de ce que peut être la parole, l'écriture - ou la culture en général.

Non, décidément, que le Verbe se fasse chair, ne relève vraiment pas de cette approche technicienne d'experts en communication et a bien à voir avec cette capacité à rendre vivante la parole en l'incarnant même si - et surtout si - cela passe par des subterfuges : cela revient effectivement à donner une image aux mots, une puissance à la parole où se joue sans doute toute la différence qui peut exister entre technique et art.

Reste le problème du parasitage ! mais au fond il n'a lieu que lorsque la technique est devant, et devient une fin en soi ! elle a lieu quand la passion n'est qu'une posture et devient une fin en soi ; quand le bon mot ...

Balzac disait fort à propos dans Beatrix que le génie d'un texte se reconnaissait à la simplicité qui le caractérisait, une simplicité telle qu'à le lire on pourrait croire pouvoir en faire autant et ... évidemment ne pas le pouvoir. Sans nul doute, le génie, la puissance de la parole tient-il à ceci, en cette épure extrême qui est, au fond, ce qu'il y a de plus difficile à atteindre ; en cet acharnement à toujours maintenir la technique en arrière, au service, et à propulser en avant la puissance c'est-à-dire la vie du verbe.

L'auditeur, toujours, sait y reconnaître les siens !

 

Presse

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De ces relations parfois difficiles avec la presse, on a sans doute à peu près tout écrit. Il n'est effectivement pas certain que Mélenchon ne se tire pas lui-même une balle dans le pied en risquant ainsi de se mettre à dos une corporation dont en tout état de cause il a besoin pour relayer son propos, sa candidature.

Néanmoins, force est de constater qu'il a raison trois fois :

- quand il affirme que les médias constituent la seconde peau du système, fo nctionnant comme un système protecteur, relayant toujours la parole du maître et visant, sous couvert de mots techniques et d'apparente neutralité, à expliciter combien il n'est pas d'autre solution que celle que l'on propose, qu'il n'est jamais d'alternative ...

- quand il affirme que la presse n'est jamais tant à la fête que quand elle peut écornifler tel ou tel pour ce qui serait dérapage ; ou exacerber telle ou tel conflit parce qu'elle ne vit que du sensationnel quitte à le créer ou l'exagérer. Qu'en jouant ce même jeu, cherchant à les prendre à leur propre jeu, Mélenchon risque toujours de se laisser prendre à son propre piège est possible, il n'empêche que l'analyse est juste.

- quand il affirme que c'est par les médias que le FN entre chez les gens et, effectivement, combien tout le discours, à partir des sondages, et de la supposée connivence entre les classes populaires et les idées du FN, est un discours dangereux, sans doute fallacieux où les médias ont leur part, sinon leur responsabilité. Caisse de résonnance, les médias ? Assurément, mais pas caisse de raison ! Le jeu sur la peur, la dramatisation, sont autant d'airs connus sur quoi peut vocaliser une extrême-droite d'autant plus friande qu'elle est absente des marchés, des banlieues, du réel social et qui a besoin qu'on dise qu'elle enfle pour le laisser accroire. Des médias qui jouent la flatterie du renard face au corbeau espérant que ce dernier, l'électorat, finisse par lacher sa proie pour la flatterie qu'on lui servirait.

Manipulation

Un livre que sans doute il faudrait relire, une question qui mériterait en tout cas un long exposé, qui n'est pas le lieu ici de mener. Rappelons en tout cas et pour faire court la théorie de l'illusion telle que Platon a pu la mener dans le mythe de la caverne qui ramène cette dernière à une double ignorance.

Celui qui assiste à un spectacle d'illusionniste n'est pas ignorant : il sait qu'il ne sait pas ; il sait qu'il y a subterfuge et ce qu'il achète et lui procure du plaisir c'est justement de ne pas voir ce qu'il sait exister.

Celui qui écoute un orateur, un homme politique, ne voit peut-être pas toujours le métier, les techniques qu'il y a derrière, mais il sait qu'elles existent, il sait d'où et pourquoi l'orateur s'adresse à lui : il n'est donc pas ignorant ! Il sait qu'il ne sait pas et, le sachant, sait faire le tri, décortiquer le propos et en retenir ce qui lui semble juste.

Qui, dans un dialogue, dans un échange, ne parle pas parce qu'il croit avoir raison et cherche en conséquence à en convaincre son interlocuteur ? qui ne cherche pas la meilleure manière de le dire pour être correctement entendu et être plus persuasif ? Faudrait-il vraiment, pour être honnête, parler comme un satrape, bredouiller et être confus, juste pour ne pas se laisser accuser de manipulation ?

En réalité, il y a manipulation quand justement, on met l'autre en position d'ignorance, quand on lui cache et l'objectif du propos, et le propos lui-même, pour ne laisser en avant que les techniques suaves et délicieuses de la persuasion. Le manipulatoire, c'est le discours qui ne se présente pas comme un discours, le discours qui cache son objet. C'est le cas de la censure ; de la propagande (au sens de Goebbels) ; ce n'est justement pas le cas de la publicité - qui se donne pour telle - ou du dialogue. Rousseau rappelait que la pensée naissait des idées comparées : or, précisément, ce qu'instaure le dialogue. Rousseau rappelait que la pensée naissait des idées comparées : or, précisément, ce qu'illustre le mythe de la caverne en indiquant que l'homme y est enchaîné, c'est précisément qu'il n'y est jamais confronté qu'à un seul type de réalité : il ne sait pas que les ombres ne sont que des ombres précisément parce qu'il n'a jamais vu qu'elles !

L'image, décidément, est trompeuse parce qu'elle se donne pour vraie. Et l'on peut comprendre les réticences anciennes - autant judaïques que grecques - à leur égard. Sauf à sombrer dans l'iconoclastie, il faut bien faire avec et il faut bien reconnaître que le vu à la télé ne saurait plus être un argument péremptoire : le public depuis 60 ans aura appris lui aussi à décoder. L'image ment ? mais pour qui sait être attentif, l'image montre elle-même qu'elle illusionne ! et pour cela n'est pas systématiquement manipulatoire.


Relire Breton : déclin de la parole

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