Elysées 2012

François Hollande à l'épreuve du Bourget

 

Dans le combat politique, comme dans toute compétition, c'est une erreur - une faute même - de sous-estimer l'adversaire. Ainsi, depuis des semaines, le président de la République et ses conseillers sont persuadés, ou veulent se convaincre, que François Hollande va " s'effondrer ".

Le candidat socialiste a beau être placé nettement en tête du premier tour et largement vainqueur du second dans toutes les enquêtes d'intentions de vote, ils n'en démordent pas : cette avance est aussi illusoire que provisoire. Bientôt, pronostiquent les augures élyséens, " les courbes vont s'inverser ". Comment pourrait-il en être autrement quand les plus aimables d'entre eux assurent que M. Hollande n'a pas l'étoffe présidentielle, tandis que les autres le jugent tout simplement " nul ".

Les semaines passent, pourtant, et le candidat Hollande ne s'effondre pas. Il est redescendu, certes, des sommets improbables où l'avaient propulsé sa désignation à la mi-octobre 2011 au terme de la primaire " citoyenne ". Mais il continue à flirter avec la barre des 30 % d'intentions de vote quand, au contraire, le président sortant s'érode et s'effrite, en dépit des initiatives tous azimuts qu'il a lancées depuis le début de l'année.

Chacun attendait donc avec impatience le grand meeting de François Hollande au Bourget, le 22 janvier, premier véritable temps fort de sa campagne. La droite escomptait qu'il ne serait pas à la hauteur de ce rituel initiatique de toute campagne présidentielle. Avant lui, en 2002 comme en 2007, Lionel Jospin et Ségolène Royal n'avaient-ils pas, chacun à sa manière, manqué leur entrée dans l'arène ?

Beaucoup, à gauche, le redoutaient, tant le candidat socialiste était apparu, depuis sa victoire dans la primaire, comme attentiste, irrésolu, ballotté par les cafouillages répétés de son équipe. Conforme, en quelque sorte, à l'image du candidat mou et flou que ses concurrents de la primaire avaient pointée sans aménité et que ses adversaires, à droite comme à gauche, avaient ensuite relayée à l'envi.

Trois défis attendaient M. Hollande au Bourget : séduire, rassembler, convaincre. Autant le dire simplement : il les a relevés. Evidemment, un tel rassemblement militant - 20 000 personnes autour de leur champion - est, presque par définition, enthousiaste et fervent. Donc aisément trompeur. Tout aussi évidemment, un tel meeting ne fait pas le printemps et ne scelle pas le sort d'une élection. Mais une chose est sûre, désormais : ce n'est pas sur cette épreuve-là que le candidat socialiste aura buté ; il y a, au contraire, trouvé l'élan indispensable, individuel et collectif.

Séduire, d'abord. Depuis des mois, François Hollande apparaissait comme le candidat le mieux à même de battre le président sortant, comme le candidat d'un rejet davantage que d'un projet. Compte tenu du discrédit compact dont souffre le chef de l'Etat, c'était et cela reste un atout essentiel mais non suffisant. L'enjeu du Bourget était donc clair : entretenir la volonté largement partagée de tourner la page Sarkozy, mais la dépasser pour faire naître un vrai désir de changement.

C'est affaire de charisme personnel, tant l'élection présidentielle suppose, d'abord, la rencontre d'un homme (ou d'une femme) et du pays, selon la vulgate gaullienne. Bien des postulants n'ont pas su, selon l'expression de Lionel Jospin en 1995, " fendre l'armure ". François Hollande a indéniablement trouvé les mots, au Bourget, pour parler de lui - son histoire, son parcours, son ambition de " servir " - et de la France, du " rêve " qu'elle incarne et qui " n'appartient pas qu'à la gauche ".

Rassembler, ensuite, car c'est la condition de la victoire. Rassembler les socialistes, bien sûr. Lionel Jospin, en 2002, avait cru possible et habile de faire campagne sans le PS, sur un projet qui n'était " pas socialiste ", avait-il imprudemment affirmé. On sait ce qu'il en advint. En 2007, Ségolène Royal avait imposé sa candidature contre le PS, ou presque, tant elle y suscitait de méfiance. Cette distance l'avait irrémédiablement handicapée.

Depuis sa désignation, François Hollande semblait faire campagne sous le PS, dominé par ses turbulences feutrées, prisonnier de ses équilibres instables. On l'a constaté, il y a quelques jours encore, lorsque " volontaristes " et " réalistes " se sont empoignés publiquement sur l'une de ses mesures phare, la création en cinq ans de 60 000 postes dans l'éducation nationale. Au Bourget, le candidat socialiste - et qui le revendique - s'est imposé à son parti. Cela reste à confirmer dans les trois mois à venir, mais le cap est fixé et l'autorité affirmée.

Au-delà des socialistes, François Hollande s'est en outre employé à rassembler la gauche, faisant de l'égalité et de la justice les principes cardinaux de son action, pointant " le monde de la finance " comme son adversaire principal et se posant en futur " président de la fin des privilèges ". Jean-Pierre Chevènement a d'ailleurs salué " un discours de gauche, authentique et sincère ", tandis qu'Eva Joly, la candidate écologiste, le jugeait " chaleureux et argumenté ". Même Jean-Luc Mélenchon ne saurait, logiquement, y trouver à redire !

Convaincre, enfin. Qu'une autre politique est possible que celle mise en oeuvre par l'actuel président. Que l'on peut combattre et surmonter la crise sans renoncer à rétablir, en cinq ans, l'équilibre des finances publiques. Qu'il ne s'agit pas de remplacer une austérité de droite par une austérité de gauche, comme dirait Henri Emmanuelli. Qu'enfin, l'on peut répondre aux attentes des Français avec sérieux, sans leur promettre la lune. Chacun pourra juger sur pièces, jeudi, lors de la présentation détaillée et chiffrée de son projet par le candidat socialiste. Mais il en a habilement dévoilé les grandes lignes au Bourget, pour mieux faire baisser l'attente et la pression.

François Hollande a donc franchi une étape importante. Cela ne garantit nullement sa victoire future, tant la campagne sera longue et rude. Mais cela ne présage certainement pas de l'effondrement prochain espéré à l'Elysée. Gageons, au contraire, qu'il aura, au Bourget, consolidé sa position de favori, imposé ses thèmes, marqué l'agenda. Et renvoyé sur les autres candidats le poids de l'imprévisible.

Gérard courtois